Il y a une douzaine d’années à peine, la question du dérèglement climatique faisait encore froid dans le dos. Il faut dire qu’au début des années 2010, le monde commençait à enregistrer les premiers gros records de chaleur, et les experts ne manquaient alors jamais de superlatifs pour décrire les désastres à venir. « Catastrophes », « apocalypse », « températures létales », « point de non-retour », « extinctions de masse »… Des mots et des expressions qui auront marqué les esprits. À commencer par les plus jeunes qui, quelque temps plus tard, finiraient par descendre dans les rues afin de défendre leur habitat : notre planète !
Douze ans plus tard, qu’est-ce qui a changé ? Le message s’est aseptisé, le mouvement écoresponsable essoufflé ; les discours politiques sont devenus plus rassurants, et les concessions environnementales plus timides… C’est qu’entre-temps, le Covid et la guerre en Ukraine seront passés par là, avec pour effet d’opérer un changement dans nos priorités du jour. En résumé, le changement climatique sera devenu une question secondaire, un ensemble de phénomènes avec lesquels nous apprendrons, du moins croyons-nous, à composer au quotidien. Sauf bien évidemment qu’il n’en est rien. Et qu’à force de banaliser la question, et de continuer de croire que nos modestes actions et l’incommensurable génie humain suffiront à nous sauver, le réveil promet d’être encore plus brutal.
Si la question de la protection de l’environnement, et d’une manière générale du vivant, ne nous interpelle pas, c’est peut-être parce qu’à force d’avoir assis notre hégémonie sur l’ensemble de notre écosystème, en plus de nous savoir le prédateur ultime, nous avons fini par nous penser au-dessus des lois dictées par la nature. Autrement dit la physique et la chimie (la physique parce que notre planète n’est pas extensible, et la chimie parce que l’ennemi à abattre – et qui voit chaque jour qui passe grossir son armée – s’appelle notamment CO2 et CH4). Or, c’est bien de survie dont il est question, et plus particulièrement de la nôtre (puisqu’il n’y a qu’elle qui, visiblement, nous intéresse).
En quelques années, la question de notre extinction semble en effet avoir disparu. Non pas que les experts aient cessé de nous le rappeler – bien au contraire –, mais parce qu’elle s’est à ce point banalisée qu’elle n’apparaît aujourd’hui que comme une lointaine menace, à laquelle nous ne voulons d’ailleurs pas trop croire. C’est oublier, comme le clament nombre d’experts, que les changements climatiques (« les » car la Terre en a déjà connu quelques-uns) conduisent toujours à des extinctions de masse. Telle est notamment l’opinion du paléontologue écossais Thomas Halliday, pour qui comprendre comment la vie a répondu aux bouleversements climatiques passés est crucial pour l’avenir.
Ainsi, pour lui, la question la plus importante n’est pas le réchauffement promis de la planète en soi, mais plutôt la vitesse à laquelle la Terre se réchauffe. Autrement dit à la spontanéité du phénomène, anthropique devons-nous le rappeler. « Le changement climatique actuel est bien trop rapide. Il existe bien un cycle naturel qui fait varier le climat, mais celui que nous connaissons actuellement n’est absolument pas naturel », explique-t-il. Avant de dresser un parallèle avec ce qui s’est produit il y a 250 millions d’années, à l’ère du Permien et du Trias, où le climat avait soudainement changé, précipitant l’extinction d’une multitude d’espèces. « C’est la plus grave extinction que la Terre ait connue. L’activité volcanique relâchait de grandes quantités de méthane et d’autres gaz à effet de serre. En Sibérie, 95% de la vie a disparu. L’océan s’est aussi acidifié, et beaucoup de ces phénomènes se produisent maintenant », poursuit le paléontologue.
En résumé, même si l’homme est à l’origine du changement climatique actuel, tout cela s’est déjà produit dans le passé, bien que d’une manière différente. Avec comme dénominateur commun d’avoir conduit à une extinction massive de la vie. Croire que l’homme, parce qu’il s’agit justement de l’homme, sera l’exception à la règle est une totale ineptie. Au final, notre choix reste le même : soit nous rétablissons l’équilibre perdu entre Sapiens et son environnement, soit nous mettrons un terme définitif à l’ère anthropocène de la manière la plus radicale qui soit.