Le judiciaire, considéré à juste titre comme le dernier rempart contre d’innombrables abus et dérives, se retrouve dans une forte zone de turbulences. Le désormais fameux communiqué signé du commissaire de police, Anil Kumar Dip, émis ce 28 février, suscite son lot d’interrogations et de commentaires. Sous la véranda des boutiques comme dans les autobus, dans les files d’attente au supermarché comme dans les bureaux, le “talk of the town” est invariablement : est-ce qu’une crise au sommet s’annonce, avec un “tug of war” entre police et judiciaire ? Comment éviter un malaise et comment dénouer cette situation déjà très tendue, qui menace de devenir explosive ?
L’épisode débute en cour de Moka, quand est annoncée la libération sous de très strictes conditions de Bruneau Laurette, activiste social et politique, et quand une représentante du bureau du DPP signifie une éventuelle décision de contester cette libération. Quelques jours plus tard, soit le 27 février, le bureau du DPP annonce, par le biais d’une communication claire et explicite, qu’il n’avait aucune objection à la libération sous les conditions ultra-strictes de la magistrate Jade Ngan Chai King du citoyen concerné. Résultat : Bruneau Laurette retrouve la liberté après avoir passé presque quatre mois derrière les barreaux. Et s’il est hors des murs de sa cellule de Melrose, la prison de haute sécurité où il était incarcéré, Bruneau Laurette est toutefois contraint de respecter une foule de conditions ! En somme, il n’est plus cloîtré entre quatre murs, mais est toujours « enfermé » par les clauses très strictes de cette remise en liberté.
Coup de théâtre, 24 heures plus tard, le commissaire de police, via un communiqué, émet des opinions sur la décision du bureau du DPP ainsi que sur celle de la magistrate, s’agissant de la libération de Laurette. L’usage de la formule « Evil Precedent » à l’encontre du judiciaire et du Barreau jette un froid et une consternation… inédits. Les dés sont-ils jetés ?
S’il est vrai que Me Rashid Amine, le successeur de Me Satyajit Boolell dans le fauteuil du DPP, était attendu au tournant, nul ne voyait venir, néanmoins, une crise de cette envergure. Le Conseil des Religions a parfaitement raison de jouer aux pompiers et d’évoquer le grave danger que représente une telle situation pour l’harmonie sociale. Satyajit Boolell n’est pas resté insensible non plus, et a également donné sa lecture des faits, soulignant que la sortie du commissaire de police dans ce contexte précis est « inappropriée ». Me Boolell a, avec beaucoup de justesse, lancé un appel visant à « apaiser les esprits ». Il va sans dire que dans une situation aussi délicate, la priorité de tout Mauricien averti va évidemment dans ce sens, et donc à l’apaisement et au souci de déjouer les tensions.
Au moment où le pays s’apprête à souffler ses 55 bougies – dirait-on d’âge mûr, empreint de maturité –, aucun Mauricien lucide ne souhaite voir basculer le pays dans le chaos ! Février 1999 n’est pas qu’un souvenir lointain. Certaines plaies sont encore bel et bien ouvertes… Mais, plus important encore, à un moment où la quasi-totalité de nos institutions est sérieusement pointée du doigt et traverse une sévère crise de confiance, ne devrait-on pas davantage opter pour une sortie de crise plutôt que de chercher à l’envenimer ?
À la veille de ce présent 12 mars, notre nation subit des secousses rudes. La posture à adopter n’est ni de rester les bras croisés, à attendre que la vague se meurt, ni de se ruer en avant en hurlant au « sauve-qui-peut ». Les possibilités de se retrousser les manches et de reconstruire une paix sociale durable, en consolidant le tissu social qui s’effrite dangereusement, sont toujours là. Pourquoi ne pas s’y mettre ?
Il ne s’agit pas que de nos lendemains à nous, mais aussi à ceux que nous léguerons. Que répondrons-nous à nos petits-enfants quand ils nous réclameront des comptes ? Le Mauricien n’est pas lâche de nature. Ni bête et méchant. Comme tout être humain, il est doté d’un puissant instinct de survie qui, même poussé dans ses derniers retranchements, lui injectera suffisamment de force et d’espoir pour sortir ce qu’il peut de plus beau et de meilleur.