Cautions

La liberté est la norme et sa privation, l’exception. C’est ainsi que l’on peut résumer les observations du conseil privé lorsqu’il s’agit d’accorder ou non la liberté conditionnelle à un prévenu. Le cas de Bruneau Laurette interpelle pour deux raisons : les conditions de sa liberté conditionnelle décidées mardi dernier par la Magistrate Jane Ngan Chai King, qui sont extrêmement restrictives, et l’annonce subséquente et immédiate du bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) de faire appel de sa décision.

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Les cautions imposées par la magistrate pour accorder la liberté conditionnelle à Bruneau Laurette sont sans précédent : Rs 1 million et Rs 50,000 et des reconnaissances de dettes de Rs 50 millions et de Rs 200,000, avoir un seul et unique lieu de résidence, se présenter deux fois dans une journée au poste de police de la localité où il vit, une interdiction de sortie entre 20h le soir et 5h du matin, une obligation d’informer la police de tout projet de déplacement, interdiction de communication internationale et de s’approcher à 500 mètres du littoral.

L’activiste politique, qui aurait pu satisfaire ces exigences et même, semble-t-il, les cautions financières très élevées qui y sont attachées, n’a toutefois pu retrouver la liberté parce que le DPP a interjeté appel. Les raisons seront exposées en détail dans le document qui sera déposé demain devant le greffe de la Cour suprême. Il sera très intéressant de le parcourir pour comprendre la position du DPP.

Cela pourrait aussi jeter un éclairage nouveau ou différent sur les éléments de l’enquête de la police et déterminer si elle a vraiment progressé. Parce que de nombreuses zones d’ombre subsistent. Elles commencent à être partiellement levées par Bureau Laurette lui-même qui a donné un début d’explication un peu rocambolesque sur son sinueux trajet de la nuit du 3 au 4 novembre 2022.

Si la décision de faire appel du jugement peut surprendre, elle est pourtant en conformité avec la position constante prise par la poursuite publique dès le début des débats sur la motion de remise en liberté de Bruneau Laurette. Les arguments des avocats de l’activiste se sont systématiquement heurtés aux objections de la poursuite.
On voit mal des officiers du bureau du DPP venir avec des arguments relevant d’un agenda individuel et personnel dans une affaire aussi retentissante. La position adoptée ne peut qu’être le fruit d’un examen du dossier par plusieurs cadres de haut niveau du bureau dirigé par Rashid Amine.

Le néo-Labour Neelkant Dulloo, qui nous a habitué à des déclarations aussi tonitruantes qu’incongrues a, cette fois, raison lorsqu’il rappelle que chacun fait son boulot et que le bureau du DPP est dans son droit lorsqu’il décide d’interjeter appel, la représentante de la poursuite Manjula Kumari Bhoojarut, tout comme son collègue Roshan Santokee qui avait paru dans le volet de l’enquête policière, ayant été l’objet de pires insultes et calomnies sur les réseaux sociaux où tout le monde se pose en expert en droit pénal.

Lorsque le bureau du DPP fait appel du jugement de la Cour suprême dans l’affaire Medpoint, c’est le mécontentement dans les rangs des partisans du Sun Trust et la joie de ceux qui sont contre le MSM. C’est la même réaction lorsque le DPP conteste les décisions de la Cour intermédiaire d’acquitter Navin Ramgoolam dans l’affaire des coffres-forts. Ça jubile chez les opposants au PTr et ça grogne à la base travailliste.

Qui aurait pu obtenir confirmation du degré de pourrissement de nos institutions si le DPP n’avait pas confié à la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath une enquête sur les circonstances du décès de Soopramanien Kistnen ? Même si la police de Pravind Jugnauth choisit de continuer à pratiquer son cover-up et à tout faire pour qu’elle tombe dans l’oubli, la majorité des Mauriciens raisonnables a, elle, déjà tiré ses propres conclusions.
Les Mauriciens doivent décider de ce qu’ils veulent. Soit ils reconnaissent l’état de droit, qu’ils respectent le cours de la justice et les recours qu’elle prévoit jusqu’au Privy Council, soit ils décident de constituer un tribunal populaire, de juger eux-mêmes et d’exécuter les coupables désignés au Champ de Mars. S’il faut, certes, tout remettre en question dans un pays qui s’est considérablement dégradé, ces dernières années, il ne faut pas pour autant jeter le soupçon sur tout et sur tous.

C’est une autre forme de caution qui nous a aussi interpellé, cette semaine : celle qu’a choisi d’accorder Roshi Bhadain à Pravind Jugnauth, sa cible constante et personnelle dans l’affaire Angus Road dont les tenants et les aboutissants restent à être établis, de nombreuses questions étant demeurées jusqu’ici sans réponse satisfaisante. Mais catégorique et définitif même, le dénonciateur avait décrété que «li finn tassé» et que c’est le scandale qui «allait faire tomber Pravind Jugnauth.»

Or, le leader du Reform Party est sorti d’une période de discrétion pour annoncer publiquement avoir, par émissaire interposé, fait parvenir un dossier au Premier ministre avec des informations sur un de ses ministres qui s’apprêterait à toucher un pot-de-vin de Rs 27 millions. Et on ne sait pas si le dossier a atterri directement à Angus Road.
Pourquoi s’être adressé à Pravind Jugnauth, hier jugé par lui-même comme un infréquentable, au lieu de mettre toutes les pièces du dossier sur la table devant les journalistes, afin qu’ils puissent faire leurs propres investigations et mettre la pression pour que la vérité éclate ? C’est une question tout à fait légitime qui est posée par ceux qui sont engagés dans la lutte contre la corruption sous toutes ses formes.

Roshi Bhadain, qui aime bien les expressions piquantes, a-t-il jamais entendu parler du fameux adage de «met lisien vey sosis». Il est urgent qu’il s’y penche ! Sinon, sa posture pourrait donner lieu à bien des conjectures et à de multiples spéculations, comme celle du retour à la mode du baise-main.
Josie Lebrasse

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