Re-bienvenue en mafialand

Il y a quatre mois, ici même, nous choisissions le titre, nullement hyperbolique, de « Bienvenue en Mafialand ». C’était dans le sillage de la révélation des conclusions de la magistrate Vidya Mungroo-Jugurnath sur le meurtre de Soopramanien Kistnen. Celles-ci mettaient en exergue le degré d’incompétence des services de police, les mobiles politiques apparents derrière ce drame et ses ramifications avec les contrats publics. Bref, tout ce qui caractérise un régime mafieux. Depuis, rien, le rapport de l’enquête judiciaire a, sans doute, été rangé dans un tiroir des Casernes centrales, où les différentes équipes d’enquêteurs sont bien trop occupées à convoquer des opposants politiques pour des raisons futiles. Une expression banale par-ci, un rassemblement pacifique par-là, cela suffit pour que le défilé des opposants au quartier général de la police soit ininterrompu.

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Cette police qui aime exhiber de manière jubilatoire ses saisies de drogue en insistant sur leur volume et leur valeur marchande n’a, pour des raisons bien mystérieuses, pas encore jugé utile d’éclairer le public sur ce qu’elle a entrepris depuis que les autorités réunionnaises ont condamné deux trafiquants de drogue à une peine de sept ans de prison en 2021. L’un, Nono, s’est volatilisé, tandis que l’autre, Franklin, a continué son business de la mort en étalant ses biens mal acquis, sa puissance, son insolente impunité et la protection à toute épreuve dont il jouissait. Jusqu’à ce que cette méchante presse, à qui des agents du MSM se permettent de faire la leçon, ne fasse le travail qui est normalement attendu d’un gouvernement, de sa police et des organismes qui sont censés traquer ceux qui se sont enrichis de manière illicite.

Ce n’est que lorsque le dossier a été porté sur la place publique que les autorités ont commencé à bouger. Ou à faire semblant. Et ne craignant pas de passer pour plus ridicules qu’elles ne le sont déjà, ces autorités ont laissé entendre qu’elles étaient déjà sur la piste de Franklin depuis presque huit ans. Soit c’est un aveu d’incompétence, soit c’est un aveu implicite de connivence.

Autre aspect de cette affaire qui est troublant : le sort de Nono. On a probablement laissé disparaître le complice de Franklin de la carte ouest ou on a peut-être même organisé une liquidation type Soopramanien Kistnen pour que le boss Franklin et son plus grand boss puissent continuer à prospérer et à arroser leurs amis politiques et policiers. Allez savoir. Il ne faut plus s’étonner de rien. Parce que c’est exactement comme ça que les mafieux opèrent. Re-bienvenue en Mafialand.

Il y a les consommateurs, les petits dealers, qui se font souvent prendre, les trafiquants qui font tout pour ne pas être repérés et qui se baladent avec Rs 500 000 en liquide dans des Ford Raptor pour être prêts à arroser la première patrouille qui passe, et il y a les grands parrains, ceux qui peuvent procéder à un montage financier conséquent pour se procurer la came et la revendre à dix fois le prix acheté.

Avec l’affaire Franklin, les méthodes mafieuses ont définitivement atteint un autre palier. On n’est plus dans le scénario macabre made in dodoland de Soopramanien Kistnen, mais dans un cas de trafic régional de drogue avec un pays voisin qui a creusé minutieusement le dossier, qui a interpellé, qui a établi les contacts téléphoniques, identifié les protagonistes et, surtout, remonté jusqu’au commanditaire et au financeur des opérations.

On voudrait nous faire croire que la police, l’ICAC, la FIU, l’IRSA ou la MRA n’auraient pas eu vent de ce que tout le monde sur la côte ouest savait sur ce train de vie aussi ostentatoire, ce bunker reconnaissable entre tous à La Gaulette, ces voitures en série, cette grande ferme sur le littoral où, curieusement, l’ICAC n’a pas pensé rendre une petite visite pour établir s’il s’agit d’une acquisition et avec quel argent, d’un bail à combien ou d’un squat toléré. Et vérifier si ce n’est pas à partir de ce point de chute que les va-et-vient en hors-bord avec La Réunion s’opéraient.

La réponse à toutes ses questions ? Des interpellations tardives, les protagonistes ayant eu tout le loisir de faire disparaître des documents et des preuves à part la maison, les voitures et le hors-bord. Et une nouvelle sortie ridicule du gouvernement, du Premier ministre et de l’Attorney General. Pravind Jugnauth, qui se délectait en exhibant au Parlement les photos de Bruneau Laurette en compagnie de Navin Ramgoolam, sans savoir que ses collègues étreignaient, eux, frénétiquement l’activiste, a pris ombrage de la publication d’une photo de lui en compagnie du prêt-nom de Franklin, Rikesh Sumboo.
Il a mobilisé son avouée personnelle Sharmila Sonah-Oree et le conseiller légal du gouvernement Maneesh Gobin pour aller menacer ceux qui feraient un « dangereux amalgame » à partir de cette photo. Pourquoi cette soudaine frilosité concernant des photos ? Parce que la dernière est celle de trop, après les clichés le montrant en la joyeuse compagnie de Geanchand Dewdanee ou à proximité de Shakeel Baulum, arrêté avec Rs 30 millions de cannabis ? Parce que cela commence vraiment à faire un peu beaucoup ? Et que les interrogations légitimes se posent sur l’histoire d’un MSM qui, depuis 1983, entretient de bien drôles de liens avec des gens peu fréquentables. Voilà pourquoi les gesticulations du moment sont prises avec d’énormes pincettes par un public habitué aux coups d’éclat sans lendemain, sans aboutissement et sans condamnation ferme.

Quant à la prestation de Maneesh Gobin, elle est tout bonnement burlesque. On se demande pourquoi il accepte d’aller aussi souvent au casse-pipe. Venir dire qu’il a besoin de l’autorisation de la France pour parler du dossier Franklin pendant que les autorités réunionnaises se montrent, elles, très volubiles à ce sujet est franchement risible. Les images de sa fuite à une rencontre avec la presse qu’il a lui-même organisée sont terribles et elles disent tout de la posture qui est celle du gouvernement en ce moment. Prendre ses jambes à son cou à la première contradiction. Bonne course…

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