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À bas la presse !

C’est un moment important que célèbre la presse mauricienne cette semaine. Ce 13 janvier 2023 marque le 250ème anniversaire de notre presse, et cela n’est pas rien. Car cette presse a toujours été intimement mêlée à l’histoire et à l’évolution démocratique de notre pays. Et se retrouve aujourd’hui confrontée à une situation inédite qui met gravement en péril sa survie même.
On fait remonter les débuts de cette presse au 13 janvier 1773, lorsque Nicolas Lambert lance Annonces, Affiches et Avis Divers pour les colonies des Iles de France et de Bourbon. Ce qui ferait de Maurice le pays ayant la plus ancienne presse de l’hémisphère sud. Soit avant l’Inde en 1778, l’Afrique du Sud en 1800, l’Australie en 1803, le Mozambique en 1854.
Annonces, Affiches et Avis Divers paraît, donc, en pleine ère coloniale française. Il sert surtout à faire passer des annonces, de la publicité, diverses informations pratiques. Depuis, la presse mauricienne a paru sans interruption au cours de ces 250 dernières années. Une presse multiple, qui a participé aux grands débats comme celui autour de l’Indépendance. Une presse vivace, souvent critique et, comme il se devrait dans une démocratie saine, pas forcément « aimée » par le pouvoir.
Aucun gouvernement n’aime qu’on se penche de trop près sur sa façon d’exercer le pouvoir, si c’est pour mettre en lumière ses abus et errements. Et les relations peuvent parfois être très conflictuelles, voire haineuses.
En 1996, Edwy Plenel, alors directeur de la rédaction du journal Le Monde (avant de créer Mediapart), écrit un livre choc intitulé Un temps de chien. Il fait référence aux mots du Président François Mitterrand devant le cercueil de son ex-Premier ministre, Pierre Bérégovoy. Le 1er mai 1993, ce dernier s’est donné la mort, sans un mot d’explication, le long d’un chemin de halage près de Nevers dans la Nièvre. Affecté par la défaite aux élections législatives du Parti socialiste dont il avait mené la campagne, Bérégovoy est aussi touché par l’exposition dans la presse d’affaires politico-financières auxquelles son nom est associé, et qui mettent en cause son intégrité. Lors des funérailles le 4 mai, François Mitterrand s’attaque violemment à ceux qui ont « livré aux chiens l’honneur d’un homme, et finalement sa vie ». Mise en cause directe des journalistes qui, dans les mois et semaines précédents, ont publié des articles sur Pierre Bérégovoy.
C’est, donc, en réponse à cette accusation qu’Edwy Plenel publie Un temps de chien, réflexion sur les rapports jugés « maladifs » que le pouvoir entretient avec la presse en France, mais qui vise aussi à relancer le débat sur la fonction des journalistes et des intellectuels dans la société.
« Il était une fois, en France, un Président de la République qui crut bon de dénoncer, non loin du cercueil d’un de ses Premiers ministres qui s’était suicidé, les “chiens” médiatiques auxquels aurait été “livré l’honneur d’un homme”. Par-delà l’épisode qui annonçait alors une fin de règne crépusculaire, la réalité demeure : la vie publique tombe à la rubrique des chiens écrasés, le débat d’idées cède la place à la chronique des prévarications, les grandes ambitions affichées dévoilent des secrets de fabrication peu honorables.
Cette réalité encombre et dérange ceux qui font profession de journaliste. On peut choisir de faire l’autruche, refuser de se salir les mains et de prendre des coups. On peut aussi penser que si nous voulons remplir notre mission, qui est de rendre intelligible le présent pour maîtriser l’avenir, il nous faut bien visiter les coulisses du spectacle. Ce choix est le sujet de ce livre, réflexion paradoxale sur le journalisme : réponse à ses détracteurs et critique de ses compromissions. Quand la République se résigne à être scandaleuse, quand la démocratie ne se veut plus vertueuse, quand l’éthique laisse place au cynisme, quand la marchandise dicte la loi, on ne peut prétendre à la neutralité. Acteur autant que spectateur, le journaliste doit choisir son camp » , écrivait Edwy Plenel.
Des propos polémiques, qui prennent un écho particulier aujourd’hui…
Plus que jamais, il importe de se rendre compte qu’aucun organe de presse n’est jamais « neutre ». Et que la presse se trouve au cœur d’un vaste système de pouvoir auquel elle n’échappe pas.
Aux États Unis, Fox News incarne le clivage politique américain. À ce titre, un sondage réalisé en 2019 par NBC-Wall Street Journal est très parlant. À la question « Le président Trump est-il honnête et sincère sur l’enquête russe ? », 84% des Américains qui regardent la chaîne de droite Fox News ont répondu oui. En revanche, 76% des gens qui s’informent par MSNBC (le pendant à gauche de Fox News) et 99% des téléspectateurs de CNN estiment qu’il a menti. Lors de l’émission politique Meet the Press, le sondeur Fred Yang expliquait : « Cela nous dit que la réalité dans laquelle on vit dépend de la chaîne que l’on regarde », a-t-il résumé. Et ce ne sont pas les dirigeants politiques mauriciens qui assurent une main de fer sur l’info de la station dite nationale de radio-télévision, notre chère MBC, qui diront le contraire…
Depuis 1974, le scandale du Watergate demeure l’épitome de ce que peut une enquête journalistique : celle menée par les deux journalistes Bob Woodward et Carl Bernstein, portant sur une sombre affaire d’espionnage politique, mènera à la démission forcée du Président américain Richard Nixon en 8 août 1974.
Depuis, l’affaire Cambridge Analytica en 2018 a montré comment l’info sur les réseaux peut, à l’autre extrême, servir à « faire » un Président. Ou comment les données personnelles d’environ 87 millions d’utilisateurs de Facebook avaient été collectées et exploitées sans consentement et livrées notamment à cette firme liée à la campagne présidentielle de Donald Trump en 2016, afin d’orienter le vote des électeurs américains en faveur du candidat républicain.
Les défis auxquels la presse est confrontée aujourd’hui sont multiples et décuplés. Et il importe, pour le grand public, d’en être pleinement conscient.
Il y a le défi politique, dont Reporters sans Frontières note qu’il s’est accru, même dans les pays dit démocratiques, avec la pandémie de Covid-19. Qui a agi comme un « facteur multiplicateur », des dirigeants utilisant éhontément le contexte de crise pour accentuer leur pouvoir et contrôle.
Il y a le défi économique d’un secteur dont les recettes de vente ont drastiquement baissé, laissant les revenus publicitaires occuper la place prépondérante dans l’économie de la presse. Avec tout ce que cela implique et entraîne en termes de non-liberté, voire de manipulation.
Il y a encore le défi internet qui, à partir des années 1990, a considérablement modifié le paysage médiatique, démultipliant les sources d’information de presse en ligne. Aujourd’hui, la diffusion de l’information n’est plus seulement l’apanage des médias officiels et des journalistes attitrés. Dans Le choc du futur, Alvin Toffler met en lumière ce qu’il appelle « l’hyperchoix » que génèrent les nouveaux médias. Soulignant que « Très informé n’est pas mieux informé ».
À Maurice aujourd’hui, nous sommes au cœur d’une situation où la presse s’impose comme un des acteurs majeurs et cruciaux face à un régime de plus en plus autocratique. Mais son indépendance économique est aussi plus que jamais en péril.
D’où l’importance pour cette presse d’arriver à se « muscler » davantage, en termes de formation, de qualité, d’exigence vis-à-vis d’elle-même, de moyens d’approfondir son indépendance. Sachant que mettre la presse à terre équivaudrait aussi à mettre notre démocratie à terre.
250 ans, et des défis renouvelés…

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SHENAZ PATEL« Quand la République se résigne à être scandaleuse, quand la démocratie ne se veut plus vertueuse, quand l’éthique laisse place au cynisme, quand la marchandise dicte la loi, on ne peut prétendre à la neutralité. Acteur autant que spectateur, le journaliste doit choisir son camp » , écrivait Edwy Plenel. Alors que la presse mauricienne célèbre ses 250 dans un contexte de menace politique et économique pire qu’à toute autre époque, cette position semble être au cœur de ce que le pouvoir politique reproche à notre presse. De ne pas choisir le camp du gouvernement, d’être « antipatriotique »… Jusqu’où ira cette guerre ?

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