Une relecture de l’objectif de 1,4M d’arrivées pour juillet 2022-juin 2023 nécessaire, estiment les hôteliers
Incertitudes persistantes dues à la géopolitique et au ralentissement économique généralisé…
Si 2022 a été de bon augure, avec l’objectif fixé d’un million d’arrivées quasiment atteint, et un rebond pour le secteur, l’industrie du tourisme entame 2023 avec une confiance mitigée. D’une part, le manque de main-d’oeuvre ainsi que la capacité aérienne demeure problématique pour le secteur. D’autre part, en ce début d’année, l’industrie est fortement touchée, comme partout dans le pays, par le manque d’eau. Le secteur devra ainsi faire face à ces nouveaux défis pour rester résilient et amorcer la courbe des 1,4 million de touristes fixée pour juin 2023 par les autorités. D’où la confiance mitigée affichée par les opérateurs.
Il faudra attendre ce début de semaine pour connaître les chiffres officiels des arrivées touristiques pour le mois de décembre 2022 et cumulés pour l’année écoulée. Mais dans l’ensemble, les acteurs de l’industrie s’accordent à dire que 2022 s’est achevée sur une très bonne note, avec les indicateurs clés par lesquels se mesure la performance de l’industrie touristique affichant un bilan satisfaisant — les arrivées (autour de 71,5% de 2019, soit environ un million de touristes) ; la capacité aérienne (70% des sièges de 2019 déjà recouvrés à fin novembre) ; et les recettes (95,5% à fin octobre).
Certes, un bilan en dessous de la performance avant-Covid, mais tout de même honorable dans le contexte. « Conformément à nos espérances, le tourisme a permis la reprise économique du pays post-Covid, et nous ne pouvons qu’en être satisfaits », commente l’AHRIM (Association des Hôteliers et Restaurateurs de l’Île Maurice).
D’autant que sur le plan de l’hébergement hôtelier, la progression a également été constante. « À fin septembre, le taux d’occupation moyen des chambres d’hôtel affichait 57% pour les neuf premiers mois », indiquent les hôteliers, qui estiment que bien que cette performance soit nettement en dessous des 70% enregistrés pour la même période en 2019, la situation s’améliore régulièrement depuis octobre et les prévisions jusqu’à fin janvier sont très positives. Par contre, la reprise est plus lente et plus inégale pour les opérateurs non-hôteliers, qui représentent environ 37% de la capacité d’hébergement touristique de l’île, observent les professionnels du secteur.
Dès lors, c’est avec une confiance mitigée que les acteurs touristiques entament l’année 2023. Certes, la satisfaction d’avoir atteint les objectifs pour 2022 amène beaucoup d’espoir pour le tourisme local, disent-ils, mais reste que les prochains mois s’annoncent pleins de défis, certains étant inédits.
En effet, outre le problème de main-d’oeuvre qui, selon les professionnels de l’industrie, a un impact conséquent sur la capacité d’accueil, se greffe désormais sur les défis auxquels ont à faire face les opérateurs le problème de manque accru d’eau. Certes, certains groupes hôteliers disposent de leur propre unité de dessalement d’eau. Il n’empêche qu’avec la situation dans le pays, le manque d’eau se fait aussi sentir dans les hébergements et autres espaces d’accueil des touristes, même si à ce stade il n’y a aucun rationnement pour les hôtels.
Ainsi, si les différents acteurs du tourisme, agences de voyages ou spécialistes des locations de vacances, se font l’écho de solides réservations pour le début d’année, les opérateurs s’accordent à dire qu’à partir de février, l’industrie aura beaucoup d’efforts à fournir pour maintenir cette tendance positive. « Nous entrons dans une période compliquée. Outre les incertitudes qui persisteront par rapport à la géopolitique, le ralentissement économique généralisé semble déjà poindre son nez, nourri par des appels incessants aux ménages à plus de rigueur dans la tenue de leurs porte-monnaie », souligne l’AHRIM. Les hôteliers sont ainsi d’avis que tout ceci aura d’abord une incidence sur le monde du voyage.
« Il est clair que nous devrions déjà effectuer une relecture de notre objectif de 1,4 million pour la période juillet 2022-juin 2023. Non seulement le climat ne sera pas aussi favorable que l’on voudrait, mais il y aurait obligatoirement fallu retrouver une progression qui tend vers 100% de recouvrement sur 12 mois pour réussir cet objectif. Or, les chiffres de juillet à novembre 2022 ne sont qu’à environ 84% du niveau de 2019 et il est quasiment impossible de faire plus de 100% de recouvrement sur sept mois consécutifs de décembre 2022 à juin 2023 », analyse l’AHRIM.
D’autant que l’aérien n’a pas été pleinement rétabli à ce jour, ajoute l’association, prenant le mois de novembre dernier en exemple, avec le taux de recouvrement qui n’est que de 94% comparé à novembre 2019. « Et pour ce même mois, les arrivées connaissent aussi un ralentissement (91% de recouvrement en octobre mais seulement 83% en novembre). Rattraper le retard ainsi accumulé devient tâche impossible », estiment les hôteliers.
Le contexte économique fragilisé aura aussi une incidence sur la santé financière de l’hôtellerie, disent-ils, faisant ressortir que comme les autres secteurs économiques, les opérateurs touristiques appréhendent l’effet de l’inflation généralisée, du taux d’intérêt galopant, mais aussi du taux de change sur leurs revenus nets.
« Comme on le sait, avec la crise COVID, les dettes du secteur ont progressé de plus de 30% pour atteindre les Rs 55 milliards, et renouer avec la profitabilité est une urgence pour les hôteliers. Se rajoute à ces obstacles la hausse prochaine des tarifs d’électricité ; avec une moyenne de 28% d’augmentation, le secteur se voit ponctionner d’au moins Rs 575 millions de plus. »
Pour l’AHRIM, les perspectives pour 2023 ne sont donc pas aussi favorables qu’elle aurait souhaité. Tout en faisant face à ces vents contraires, il va falloir s’attaquer à une problématique de fond : le manque d’effectifs qui continue d’affaiblir la capacité d’accueil, dit-elle. « Nous avons l’obligation de trouver ensemble des solutions, car la destination ne peut pas mettre ainsi à risque sa réputation d’excellence », insistent les opérateurs.
Voyage : engouement des Mauriciens mais…
L’engouement des Mauriciens pour le voyage est palpable. Constat des voyagistes en fin 2022 et en ce début de 2023. Les vols sont surbookés. Kuala Lumpur, Dubaï, La Réunion et l’Afrique du Sud sont parmi les destinations les plus prisées. La reprise aérienne a d’ailleurs permis aux opérateurs du secteur d’atteindre presque 75-80% des chiffres d’affaires de 2019, soit avant la pandémie. Si les voyages ont de beaux jours devant eux, au vu de la tendance de ces derniers et des prochains mois, les opérateurs du secteur restent prudents. « Les perspectives sont bonnes, mais avec un climat économique fragile et les hausses prévues pour ce début d’année, ainsi que la situation sanitaire qui reste problématique, nous ne savons pas si cette courbe ascendante, entamée depuis juillet dernier, se maintiendra », disent-ils.
Après deux années difficiles, les agences de voyages, sérieusement touchées par les conséquences du Covid-19, sont aujourd’hui au même niveau qu’en 2019, avant la pandémie. Les Mauriciens ont repris goût aux voyages. Se déconnecter du train-train quotidien, profiter d’un bon moment en famille, visites aux proches à l’étranger, visites culturelles, découverte exotique, farniente sur la plage en couple ou entre amis… Autant de raisons qui incitent les Mauriciens à voyager. Si les destinations de proximité sont prisées, les destinations traditionnelles sur l’Europe ne sont pas en reste. Autre tendance notée, les pays du Moyen-Orient, notamment Istanbul en Turquie et Dubaï aux Émirats arabes unis, mais aussi la Malaisie et l’Afrique du Sud. Cet engouement incite d’ailleurs les opérateurs à étoffer leurs offres pour répondre à la demande.
« De janvier 2022 à la fin de novembre, il y a environ 200 000 Mauriciens qui ont voyagé. Les Mauriciens ont envie de voyager », note Charles Ng, directeur d’Atom Travel, une des plus importantes agences de voyages à Maurice. Malgré l’augmentation du prix du billet d’avion, les Mauriciens n’ont pas hésité à débourser pour voyager, dit-il, indiquant que la raison derrière cet engouement relève du fait que les Mauriciens ont envie de voir autre chose n’ayant pu voyager pendant deux ans. Ce sont notamment des étudiants qui sont partis pour leurs études, les Mauriciens qui se sont accordé des vacances, des immigrants ou encore des commerçants qui ont renoué avec le voyage ces derniers mois, dit Charles Ng. « Il s’agit d’un phénomène mondial, car les gens ont une soif de voyager, de sortir des quatre murs de chez eux et de découvrir autre chose, ou encore de revoir leurs proches », dit-il.
Reste qu’une certaine incertitude pèse sur le secteur. Surtout avec une situation économique fragile dans le monde. Et la hausse des prix probable dès le mois de février avec l’augmentation des tarifs d’électricité risque de venir alourdir les ailes de ce secteur en dépit de l’engouement noté en ce début d’année. « Actuellement, les Mauriciens ont envie de voyager, mais dans un mois ou deux, la situation peut évoluer. Ceux qui ont besoin de voyager pour des raisons professionnelles ou pour rejoindre leur université le feront, mais les touristes mauriciens freineront peut-être la frénésie », disent certains voyagistes.
Si Charles Ng souhaite que 2023 continue sur la même lancée que 2022, il se demande également si la récession dans le monde aura un impact sur les voyages des Mauriciens.
Parallèlement, le retour des touristes chinois, si attendu, ne sera pas pour l’immédiat, note notre interlocuteur. Du moins pas pour le Nouvel an chinois, qui sera célébré dans quelques jours et période durant laquelle les Chinois voyagent beaucoup. Cela, du fait que si désormais les Chinois sont accueillis à nouveau dans plusieurs pays, dont Maurice, qui n’imposera aucune restriction à ces voyageurs, les opérateurs chinois n’ont pas eu le temps de préparer ces voyages, explique Charles Ng, qui reste toutefois confiant que ces touristes seront très prochainement en visite dans notre pays.