Il faut espérer que la volée de bois vert reçue de la presse incitera Navin Ramgoolam à suivre le proverbe connu : tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de faire une déclaration. Cette volée de bois vert, amplement méritée, est un des épisodes du feuilleton de la surenchère que se livrent, depuis des années, Navin Ramgoolam et Pravind Jugnauth pour tenter de s’approprier — d’autres disent carrément d’acheter — les votes du troisième âge. Le premier épisode eut lieu dans les années ‘90 du siècle dernier, quand Navin Ramgoolam était à la recherche d’une mesure populaire susceptible de marquer les esprits — dans la lignée de l’éducation secondaire gratuite accordée par son père à la veille des élections de 1976. Une mesure populiste annoncée pour essayer de voler la victoire au MMM, ce qui n’advint pas. Mais le vol électoral et le détournement des résultats eurent lieu quand même grâce à une alliance de la dernière minute entre les ennemis jurés d’hier, le PTr et le PMSD. Une mesure populiste qui donna du fil à retordre aux fonctionnaires non informés et non préparés qui eurent à la réaliser, du jour au lendemain. Dans les années ‘90, Navin Ramgoolam trouva sa mesure populiste : la gratuité du transport par autobus pour les personnes du troisième âge. Une autre mesure populiste dont la mise en application fut un véritable casse-tête chinois et dont la rentabilité économique reste à démonter. Certains se souviennent encore de ces personnes du troisième âge qui, profitant de la mesure, allèrent acheter leur paquet de cotomili au bazar de Port-Louis, alors qu’elles habitaient à Phoenix !
C’est pour séduire à son tour l’électorat du troisième âge que des années plus tard, Pravind Jugnauth promit, à quelques jours des élections de 2019, qu’en cas de victoire de son camp, il augmenterait le montant de la pension de vieillesse. Les membres du troisième âge, qui sont comme tous les Mauriciens sensibles aux promesses électorales, tendirent l’oreille et firent leurs calculs. Pour bénéficier de l’augmentation promise, les nanis, matantes et autres tontons votèrent orange comme un seul homme. Selon certains observateurs, le vote du troisième âge fut un apport déterminant dans les 37% des suffrages qui ont permis à Pravind Jugnauth et à ses alliés de remporter la victoire électorale. Oubliant ce qu’il avait fait avec la gratuité du transport public, Navin Ramgoolam et tous les autres partis de l’opposition dénoncèrent la promesse d’augmentation de pension de vieillesse et la qualifièrent de « bribe électoral ». C’est d’ailleurs un des exemples évoqués dans les pétitions électorales des candidats battus de l’opposition pour affirmer que les élections de 2019 n’ont pas été « free and fair ». Depuis, les membres de l’opposition ne ratent pas une occasion pour revenir sur le « bribe électoral » de Pravind Jugnauth en dénonçant son recours à la démagogie. En oubliant, un peu facilement, qu’un acte de corruption nécessite deux partenaires : celui qui fait la proposition et celui qui l’accepte. Depuis ces élections, marquée par le « bribe électoral », Pravind Jugnauth veille sur l’électorat du troisième âge comme on veille le lait sur le feu, et Navin Ramgoolam essaye de trouver un argument choc pour le (re)conquérir.
C’est dans le cadre de cette bataille que Pravind Jugnauth a mis en garde les membres du troisième âge. Si par malheur Navin Ramgoolam arrivait au pouvoir – sous-entendu si vous avez le malheur de voter pour lui et ses alliés — sa première mesure sera de couper la pension de vieillesse. Un argument de poids en ces temps de crise économique, où le gouvernement n’a pas jugé bon d’accorder une compensation aux plus âgés des Mauriciens. Pour répondre à cette annonce, qualifiée de démagogique, Navin Ramgoolam a choisi un terrain que tous les politiciens mauriciens, à plus forte raison les leaders politiques, maîtrisent bien : la démagogie. Non, a déclaré celui qui voudrait redevenir Premier ministre, en cas de victoire, non seulement il ne touchera pas à la pension de vieillesse, mais en plus il offrira aux membres du troisième âge des vacances en avion à La Réunion ! De l’autobus à l’avion gratuit, il n’y avait qu’un pas que Navin Ramgoolam a allégrement franchi. Avant de recevoir la volée de bois verts mentionnée et qui l’a obligé de tenter une piteuse opération de rétropédalage pour essayer de faire croire que ses propos ont été mal interprétés. On se demande comment Navin Ramgoolam va faire pour essayer de faire oublier sa promesse démagogique. Une promesse qui n’a pas été commentée et encore moins dénoncée par les leaders des partis avec qui il est — ou sera bientôt en alliance pour les prochaines élections. Des leaders qui ne ratent pas une occasion pour dénoncer le recours à la démagogie de Pravind Jugnauth. Faut-il interpréter leur silence par un autre proverbe connu : qui ne dit mot consent ?