Il est comme cela des personnes qui donnent envie, dans notre monde cynique et exploiteur, de croire que la solidarité, la justice et l’humanisme peuvent s’incarner. Qu’il ne s’agit pas que de mots que l’on prononce sans réellement y croire. Gandhi, Nelson Mandela, l’Abbé Pierre, Mère Theresa sont de ceux-là. Aux yeux de nombreuses personnes, le Père Pedro de Madagascar est aussi de ceux nous disent que les « miracles », parfois, peuvent être le fait d’hommes et de femmes qui croient en l’humain…
Au milieu des scandales, des guerres, de l’exploitation, des injustices, au milieu du chaos général du monde et du fatalisme voire de la désespérance de plus en plus marquée qui l’accompagne, il est incroyablement beau, parfois, de voir la solidarité en action.
Dimanche dernier, dans une grande salle de Trois Mares, à l’île de La Réunion, une centaine de bénévoles, dont une grande partie de jeunes, étaient réunis pour coordonner un rendez-vous très particulier : orchestrer un déjeuner caritatif réunissant 600 personnes, répondant à l’appel de la PAM. Sous ce sigle, l’association Partage avec Madagascar, créée en 1999 par Raphaël Hoareau, suite à sa rencontre avec le Père Pedro, et que font perdurer aujourd’hui sa femme Liliane, son fils Stéphane et toute leur famille et amis. Dans une joyeuse ambiance où l’on déguste de délicieux carris au son des chansons de Mélanie, Vivien, Lionel et Manu, arrive soudain cet homme, ce Père Pedro qui incarne en toute simplicité une formidable aventure solidaire. Et il se passe là vraiment quelque chose de fort.
Il est comme cela des personnes qui donnent envie, dans notre monde cynique et exploiteur, de croire que la solidarité, la justice et l’humanisme peuvent s’incarner. Qu’il ne s’agit pas que de mots que l’on prononce sans réellement y croire. Gandhi, Nelson Mandela, l’Abbé Pierre, Mère Theresa sont de ceux-là. Aux yeux de nombreuses personnes, le Père Pedro est aussi de ceux-là.
Pedro Pablo Opeka naît le 29 juin 1948 en Argentine, où se sont installés ses parents, d’origine slovène, qui ont fui la Yougoslavie après la Seconde Guerre mondiale, menacés de mort par les partisans du maréchal Tito. Son père y exerce d’abord comme maçon, et Pedro apprend les métiers du bâtiment en l’aidant.
Après ses études secondaires, avec un groupe d’étudiants catholiques, il se rend dans la Cordillère des Andes, pour vivre avec les Indiens mapuches, puis au sein de la tribu de Matacos, près de la frontière bolivienne. Il s’y trouvera conforté dans son choix de se consacrer aux plus pauvres et à Dieu. Il entre ainsi en noviciat pour devenir prêtre en 1966 et entame, à dix-sept ans, le séminaire chez les Pères Lazaristes. Il sera ordonné prêtre en 1975.
L’année suivante, alors âgé de 28 ans, il repart pour Madagascar où il s’était déjà rendu en 1970. Devenu curé de la paroisse de Vangaindrano, il vit pendant 13 ans aux côtés des paysans pauvres du sud-est de la Grande Ile, travaillant dans les rizières, ou comme maçon. Très vite, il va se révolter contre les conditions de vie qui sont imposées à cette population, livrée à la famine et où chaque jour des enfants meurent de faim. Appelé à Antananarivo pour devenir directeur du Scolasticat de Saint Vincent de Paul et former les séminaristes, il découvre Andralanitra, la décharge de la ville. Là, il rencontre des milliers d’enfants qui, aux côtés de leurs parents, disputent une maigre subsistance aux chiens et aux cochons.
Pendant six mois, il va s’y rendre chaque jour, et finit par convaincre 70 familles de quitter la décharge pour aller ensemble créer un nouveau village sur une terre mise à sa disposition par les autorités, à 60 kms de la capitale. Ce village sera baptisé Antolojanahary (don de Dieu).
En janvier 1990, avec une douzaine de jeunes malgaches, le Père Pedro crée une association humanitaire qui prend le nom d’Akamasoa (les bons amis). Une association qui vise à permettre aux plus pauvres de reconquérir une vie digne et humaine. Ce en ayant un toit, un travail rémunéré, une école pour les enfants et un dispensaire pour garantir l’accès aux soins.
Pour cela, il va les encourager à casser la colline qui se trouve à côté de la décharge. De ses pierres, ils fabriquent les moellons, les pavés et les gravillons qui vont être vendus et aussi directement utilisés par les membres maçons et charpentiers pour construire leurs propres maisons et créer les villages Akamasoa. Ils mettent aussi en place un atelier de métallique-soudure-électricité qui fabrique des poteaux en béton et installe l’électricité dans les villages. L’atelier de menuiserie forme les jeunes et fabrique les meubles des maisons et des écoles. Il y a également un atelier consacré à l’entretien d’une pépinière et au reboisement, avec chaque année des milliers d’arbres plantés par les écoliers. Depuis 2014, l’association gère aussi un projet autour de la spiruline, algue à très haute valeur nutritive (fer, vitamines, protéines) destinée à combattre la malnutrition.
Aujourd’hui, l’association Akamasoa a donc 33 ans. Elle est venue en aide à plus de 500 000 Malgaches, donnant une aide temporaire d’urgence à toutes les familles démunies qui se présentent à son Centre d’Accueil. Son rapport d’activités pour l’année 2021 indique ceci :
22 villages
35 384 personnes passées dans le centre d’accueil
18 889 bénéficiaires permanents sur le site d’Antananarivo
17 252 enfants scolarisés sur 2021-22 et 83% de réussite aux examens de fin de cycle secondaire
3 601 logements
3 145 emplois salariés (carrières, maçonnerie, artisanat, santé, professeurs, cantines, personnel d’entretien des villages).
Mais tout cela a un coût, pas toujours facile à assurer. Et bien que reconnue d’utilité publique par l’Etat malgache en 2004, l’association ne bénéficie que ponctuellement d’une aide matérielle de l’Etat. D’où les voyages entrepris deux mois par an par le Père Pedro pour tenter, à La Réunion comme à travers le monde, de lever des fonds pour qu’Akamasoa puisse continuer à exister.
S’il affiche un visage serein, l’homme rencontré dimanche dernier à Trois Mares n’en cache pas moins qu’il est préoccupé pour l’avenir. Il fait ainsi écho aux propos exprimés sur le site de l’association : « Akamasoa a encore beaucoup à faire pour atteindre l’objectif d’autofinancement total, et pour répondre aux besoins permanents, et de plus en plus fréquents, des vieillards sans ressources, des femmes et des enfants abandonnés, ainsi qu’aux secours d’urgence sollicités par les démunis».
Connu pour son franc-parler, le Père Pedro dresse un constat sans fioritures. « Depuis un quart de siècle, nous n’avons pas constaté d’amélioration des conditions de vie de la population malgache. Au contraire, à ce jour, 9 Malgaches sur 10 vivent avec moins de 1,5 $ par jour, en-dessous du seuil de pauvreté tel qu’il a été défini par la Banque mondiale. Tous les ans, nous nous demandons comment il est possible qu’un pays aussi riche, aussi intelligent, avec une jeunesse aussi forte, puisse patiner autant dans la boue de l’extrême pauvreté. Le fait est que de nombreux dirigeants ne se sont jamais préoccupés du sort de leur peuple, de leur jeunesse et de leurs propres enfants. Il y a un laisser-aller et une indifférence inexcusables. Face à cette injustice, nous sommes plus que jamais déterminés à poursuivre notre combat, encouragés par les réalisations passées, indignés par la pauvreté qui s’accroît autour de nous, convaincus que l’on peut faire reculer cette pauvreté à condition de mettre en place des structures durables et solides. Si l’Etat ne fait pas plus d’efforts pour instaurer plus de justice sociale visible et agir plus vite en faveur de la population la plus fragile, on court vers une explosion sociale. Il est urgent de prendre conscience que c’est maintenant le moment de changer les mauvaises habitudes, de vaincre la corruption et d’agir enfin. La population est désabusée, elle ne croit plus à grand-chose, il est urgent d’avoir des leaders qui l’aideront à avoir davantage de droits sociaux pour pouvoir vivre dignement ».
Les propos du Père Pedro ne peuvent que nous interpeller. Et si certains s’arrêtent à la dimension religieuse de son action, il n’en reste pas moins une vérité très forte : c’est qu’avec lui, des milliers de personnes se sont levées pour refuser une supposée fatalité, contourner l’inaction des pouvoirs politiques à leur égard, prendre en main leur vie et se construire une vie digne.
Cela est fort. Cela est réel.
Cela nous dit que les « miracles », parfois, peuvent être le fait d’hommes et de femmes qui croient en l’humain…