C’est un sentiment qui hante de plus en plus de compatriotes. Autant ceux qui sont au pays que ceux qui se sont exilés, histoire d’aller tenter leur chance ailleurs avec, toujours au fond du cœur, cette conviction de revenir au bercail au bout du compte. Akoz nou rasinn antere isi, comme on le dit si bien ici. D’aucuns, en effet, n’en finissent pas de marteler autour d’eux qu’il fait de moins en moins bon vivre à Maurice.
Île paradisiaque ? Havre de paix où cohabitent en harmonie remarquable plusieurs communautés de confessions différentes ? Clichés et stéréotypes de cartes postales ! La crainte que notre vivre-ensemble légendaire ne se résume bientôt qu’à un artefact, à ranger dans un musée, ou à déclarer patrimoine immatériel par l’Unesco, gagne de plus en plus de Mauriciens, hélas !
L’usage de la répression et de la force envers les activistes sociaux, citoyens, avocats et membres des médias, qui critiquent le pouvoir en place, interpelle. Pourquoi s’acharner à museler la voix de la rue ? Parce qu’elle répercute la colère de la masse ? Parce que certaines vérités écorchent les oreilles des uns et des autres, qui préfèrent vivre dans leurs bulles et ne veulent plus descendre de leurs petits nuages roses ?
D’ici quelques années, de nombreux Mauriciens concéderont et reconnaîtront que sous Pravind Jugnauth, une foule de développements infrastructurels ont été réalisés. Que ce pays a gagné en développement immobilier. Qu’en comparaison avec de nombreux autres pays du continent africain, dont nous faisons partie – n’oublions jamais cela –, notre pays dispose de logistiques et d’avancement matériel importants qui placent le pays parmi les plus modernes. Soit. Mais à quel prix se fait ce développement ?
Davantage dans le sillage de la pandémie de Covid-19, qui a lourdement impacté et pénalisé de nombreux foyers autour du pays, ce régime que dirige Pravind Jugnauth n’aurait-il pas dû « put people first » ? Si cela avait été le cas, comment expliquer, par exemple, qu’on se soit retrouvé avec des bébés abandonnés par leurs parents biologiques, placés dans des centres qui ne répondent pas aux normes, et qui ont atterri aux urgences dans un hôpital ? Pourquoi ce gouvernement n’a-t-il pas autant à cœur le développement humain que celui des infrastructures ? Uniquement parce que, économiquement parlant, ce n’est pas viable, tandis que l’immobilier, ça rapporte ? Ou peut-être qu’il y a d’autres nuances et raisons ?
Dans un gouvernement où siègent des élus qui se respectent, qui pratiquent des métiers honorables et qui ont des parcours riches de par leurs grands-parents et arrières grands-parents, qui ont forgé cette nation, aurait-on eu droit aux tristes et terribles amendements apportés à la Mauritius Citizenship Act ? Dans quelle île Maurice prend-on en otage la liberté de ses habitants ? Sommes-nous toujours dans une démocratie, ou avons-nous déjà basculé dans une dictature pure ?
Des générations de nos aïeux, épris de liberté et pétris d’une fraternité sans bornes, nous ont inculqué notre fameux vivre-ensemble, qui a fait naître le sourire mauricien mythique. Sur lequel se sont basées toute une politique et une industrie touristique. Ce qui a fait les beaux jours de ce pays quand notre zone franche a commencé à péricliter.
Ces temps-ci, le sourire devient graduellement rictus. À l’ère de la frayeur et de la peur, qui sont distillées à coups d’interpellations, d’arrestations et d’autres expressions destinées à intimider, les uns et les autres, hier téméraires et audacieux, souhaitant livrer bataille pour une île Maurice meilleure pour nos enfants, se sont réfugiés dans le silence. Telle une mort sociale imposée, inévitable.
Nous ne sommes plus à la croisée des chemins. Le temps file et si nous ne réagissons pas rapidement, le wagon pour un meilleur lendemain aura soit déjà quitté la gare, soit ne démarrera jamais. Mais nous avons encore la possibilité de changer la donne. It’s now or never…