C’est un fait que ceux qui ne sont pas dans les petits papiers du régime actuel font l’objet d’une traque bien orchestrée de la part des autorités, police, Mauritius Revenue Authority et autres délivreurs de licence qui font les difficiles lorsque le profil du demandeur ne correspond pas à « nou dimoun ». Tout se décide selon le positionnement du radar du leader du MSM. L’instrument dont il semble tirer une grande fierté ne fonctionne décidément que dans une seule et même direction.
Son radar ne lui a apparemment pas indiqué que son propre gouvernement avait autorisé, dans des conditions très suspectes, l’importation de 25 000 paquets de 22 millions de feuilles, « petits papiers » ou « tipapye » dans le langage courant, au coût de Rs 460 millions. Qui servent, de manière assez marginale, à rouler du tabac, mais qui sont essentiellement utilisées pour la fabrication de joints et la confection de drogue synthétique.
Les sous-fifres marionnéttisés qui se succèdent ces jours-ci pour ânonner sur le Dangerous Drugs (Amendment) Bill, sans maîtriser le sujet, n’ont rien eu à dire sur les petits papiers. Leurs interventions, télécommandées, qui paraissent souvent contraintes, tellement elles sont superficielles, ne servent, en fait, qu’à faire un éloge appuyé de leur patron, présenté comme le pourfendeur historique des trafiquants de drogue.
C’est en tant que grand champion des victimes des marchands de la mort que Pravind Jugnauth vient d’accueillir dans son bureau politique Roubina Jadoo-Jaunbocus, alors qu’elle n’a été que partiellement exonérée par l’ancien chef juge Asraf Caunhye et la juge Nirmala Devat. « It’s like coming back home ! » avait-elle réagi, enthousiaste, à l’occasion de son « grand retour » au Sun Trust fin juillet dernier. « It’s like coming back home ! » c’était aussi la tendance, entre 2008 et 2009, avec les 66 visites que l’avocate du MSM avait effectuées dans les prisons à des individus impliqués dans le trafic de drogue.
La drogue n’est pas une plaisanterie, un dossier que l’on traite, avec sérieux ou avec désinvolture, selon que les impliqués sont « nou dimounn » ou ses adversaires avérés ou supposés. C’est un vrai problème dans ce pays. Il ne suffit pas de grandes envolées incantatoires et des mises en scène grotesques pour dire que l’on combat la drogue. Entre les cargaisons qui dégonflent de la saisie à la pesée, les records balancés et les sommes astronomiques revendiquées, reste ce que l’on appelle le « bottom line », le résultat net, l’ultime conséquence, qui est le nombre de barons arrêtés et condamnés, et la somme de leurs biens confisqués.
Ce n’est qu’à cette aune-là que l’on pourra juger du succès ou non d’une politique contre la drogue, de la capacité de mettre hors d’état de nuire les marchands de la mort, de l’efficacité du programme de réhabilitation des consommateurs et du traitement des malades. Pour l’heure, à part les saisies effectuées sur des mules, des passeurs et de trafiquants qui essayent d’introduire des substances illicites sur le territoire, ce qui est un tout petit volume du trafic international de stupéfiants intercepté, il ne semble pas qu’il ait eu des suites concluantes dans les cas des bonbonnes bourrées d’héroïne saisies depuis 2017, de la tractopelle avec ses 95 kilos de cocaïne datant de 2019 et les milliards de drogue déterrés à Pointe-aux-Canonniers au début de l’année dernière.
Des arrestations certes, des chiffres pour impressionner oui, mais c’est clairement pour donner l’illusion que le combat est sans relâche, sujet de la propagande permanente du MSM. Lorsqu’on passe au crible les cibles visées par les agences censées traquer les trafiquants de drogue, cela fait douter de la sincérité des autorités.
Il y avait l’ADSU, dont le démantèlement avait été préconisé par la commission Lam Shang Leen et à laquelle a toujours résisté Pravind Jugnauth. Il y a aujourd’hui ce qui est connu comme la Police Headquarters Striking Team. La perception qui se dégage jusqu’ici, c’est qu’elle semble avoir eu pour mission de confondre ceux qui se dressent sur la route du chef du MSM. Après Akil Bissessur, homme de loi qui ne fait pas mystère de ses affinités avec le Parti travailliste, dont on attend toujours des éclaircissements indiscutables et convaincants de part et d’autre, c’est au tour de Bruneau Laurette, qui a exercé comme garde du corps de Kavi Ramano aux élections générales de 2019, d’être interpellé pour trafic de drogue allégué. Vu les circonstances de cette affaire, il est évidemment trop tôt pour se faire une idée précise de ses tenants et aboutissants.
Le volet politique est, par contre, extrêmement intéressant. Lalit, dont on doit saluer bien bas la clairvoyance, avait décortiqué avec une minutie chirurgicale le profil de l’activiste dès septembre 2020 lorsque tout le pays avait cru voir émerger un genre de messie, d’homme providentiel capable de régler tous les problèmes du pays. Là où les plus organisés, les plus aguerris et les plus respectés en tant que gestionnaires étaient présentés comme des fossoyeurs nationaux.
La réponse en forme de boutade qu’a eue le leader de l’opposition hier est, à cet effet, très éloquente. Invité à donner son point de vue sur l’arrestation de Bruneau Laurette, Xavier Duval a ainsi réagi « bann premye dimounn ki bizin koze se bann politicien ki ti al dan miting », comprenez le rassemblement de samedi dernier à Port-Louis. Une manière très juste de dire qu’il y a une limite à l’opportunisme, que l’on peut être résolument contre le gouvernement et les méthodes autocratiques de Pravind Jugnauth sans chevaucher n’importe quelle cause et s’acoquiner avec n’importe qui du moment que cela sert ses intérêts immédiats et personnels.
En ces temps de dégradation des mœurs politiques, où ce sont des malfrats qui tiennent le haut du pavé et que de petits trafiquants sont même promus jusque dans la presse, il faut sans doute s’arrêter et saluer ceux qui ont gardé un certain sens de l’honneur et de la dignité.
JOSIE LEBRASSE