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La « respiration » du DPP

L’affaire Kistnen, qui a occupé la une de l’actualité pendant des mois l’année dernière, revient sur le devant de la scène grâce aux conclusions de l’enquête judiciaire menée par la magistrate Vidya Mungroo Jugurnath. Grâce surtout au lanceur d’alerte anonyme qui a fait fuiter une copie de ce rapport qui était, visiblement, destiné aux oubliettes. C’est ce qu’indique la chronologie des évènements autour de ce document remis au Directeur des Poursuites Publiques, en novembre de l’année dernière. Ce n’est que deux mois plus tard que le DPP le fera parvenir au Commissaire de Police avec ses recommandations. Qui, semble-t-il, n’ont pas été mises en pratique tout de suite puisque ce n’est que la semaine prochaine que Yogida Sawmynaden , dont les agissements ont été décortiqués par la magistrate, sera interrogé par le CCID. Sans la publication du rapport il est vraisemblable que cet interrogatoire n’aurait pas eu lieu. Dès la publication du rapport par Tele Plus, le ministre de la Justice a parlé d’un document falsifié – donc à partir de l’original – en accusant le bureau du DPP d’être à l’origine de la fuite. Et puis mardi, au Parlement, sous prétexte que la copie du leader de l’Opposition n’avait ni en-tête ni signature, Pravind Jugnauth décréta que c’était un faux document, ce que certifia immédiatement le Speaker, épargnant au premier ministre de répondre aux questions parlementaires sur le sujet. Dont probablement celles-ci : comment Pravind Jugnauth peut prétendre ignorer l’existence de ce rapport alors qu’il est ministre de la Police ? Comment croire, une seule seconde, que dès réception du rapport du DPP le Commissaire de Police ne l’a pas transmis au premier ministre. D’autant plus qu’un de ses ex ministres, Yogida Sawmynaden, était directement mis en cause dans la rapport. Un ministre dont Pravind Jugnauth avait clamé l’innocence à partir, avait-il affirmé, d’une enquête qu’il avait personnellement réalisée. Sans doute comme celle qui, en 2015, le poussa à séquestrer deux étrangers avec la complicité de Ravi Yerigadoo et de Roshi Bahain. Ce qui valut au trio le surnom d’inspecteurs gadjets. Mercredi sur les ondes de Tele Plus en voulant suivre la ligne Jugnauth qualifiant le rapport de faux, Ivan Collendavelloo, qui se comportait comme un chatwa, ne fit que se ridiculiser.
Depuis le début de la deuxième affaire Kistnen, seules deux personnes peuvent authentifier le document : la magistrate qui l’a écrit et le DPP qui en était le destinataire. Si pour des raisons évidentes la magistrate ne peut pas le faire, ce n’est pas le cas du DPP. D’autant plus qu’il ne rate aucune occasion de proclamer qu’il travaille pour la vérité et l’intérêt de la justice. D’autant plus qu’il avait plus ou moins explicitement authentifié le rapport en parlant de ses « findings » en opposition au terme « purported findings » utilisé par le ministre de la Justice. Dans cette affaire le DPP a adopté un comportement en dents de scie en faisant du « soufflé mordé », pour reprendre une expression mauricienne. Il a mordu comme il le fallait quand le ministre de la Justice a accusé un des membres de son bureau d’être à l’origine de la fuite. Le DPP a non seulement remis le ministre de la Justice à la place qu’il n’aurait pas dû quitter, mais il l’a menacé de le traîner en Cour. Mais le DPP a commencé à souffler quand il s’est agi de mettre ses menaces à exécution. Les démarches auraient été entamées mais stoppées en cours de route, pour des raisons non révélées. La peur du passé ou celle de l’avenir ? Le DPP a continué à souffler, vendredi quand la presse lui a demandé, lors d’une conférence légale, s’il avait l’intention de rendre le rapport public pour mettre fin à la querelle sur son authenticité. La réponse du DPP fut digne d’un politicien qui refuse de prendre position, tout en essayant de faire croire le contraire : « Less lanket la respiré ek nou atan ban developman ». L’enquête à laquelle se réfère le DPP est l’engagement pris par le Premier ministre pour une enquête professionnelle de la police sur cette affaire. Que peut-on attendre d’une enquête « professionnelle » initiée par un premier ministre qui avait proclamé l’innocence de son ministre en se basant sur son flair ou son radar ? Que peut-on attendre d’une enquête d’une police dont la magistrate Vidya Mungroo Jugurnath a écrit : « I consider the conduct of the police in the present case to be abhorrent. The manner in which the enquiry was conducted fell so below what can be considered reasonable that it marks a new level of incompetence.”
Pendant que le DPP demande « less lenket la respiré », la Justice est en train de s’étouffer.
Jean – Claude Antoine

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