« C’est l’arrogance qui rend un politicien impopulaire. » C’est ce que soutient le président de la Federation of Parastal Bodies and Other Unions (FPBOU). Pour le syndicaliste, les politiciens dans leur ensemble doivent réapprendre à communiquer avec les gens pour la bonne marche des relations entre le peuple et eux. Dans l’interview qui suit, Deepak Benydin, qui est aussi le vice-président de la Confederation of Independant Trade Union (CITU), parle de son combat au sein de plusieurs corps parapublics en vue d’améliorer les conditions des employés. Sur le plan social, il se dit inquiet de la hausse continue du coût de la vie et demande au ministère des Finances, Renganaden Padayachy, de réviser à la hausse l’allocation de Rs 1 000 et de baisser le prix du carburant.
Peut-on savoir depuis quand vous pratiquez le syndicalisme ?
C’est dans le sillage de la fermeture de la défunte Central Housing Authority (CHA), en 1993, que ma carrière de syndicaliste a pris son envol. Il faut rappeler que c’est le premier organisme parapublic qui, à la suite d’une décision gouvernementale, décide de licencier « brutalement et sauvagement » tout son personnel, 800 au total. Le rôle de la défunte CHA est finalement confié à la National Housing Development Company Ltd (NHDC).
Il n’y avait aucun leader syndical à l’époque pour soutenir ces pauvres travailleurs, et c’est justement là que j’interviens. Pour moi, le rôle de la défunte CHA a été « volé » par la NHDC, car derrière cette histoire on retrouve des protagonistes qui ont changé de camp. C’est sur les cadavres de ces malheureux travailleurs que la NHDC a pris naissance.
J’avais donc décidé de mener croisade en faveur de ses travailleurs qui s’étaient retrouvés sur le pavé du jour au lendemain. J’avais décidé d’enchaîner avec des manifestations de rues pendant au moins deux à trois ans à travers l’île. Le leader du MMM, Paul Bérenger, n’est pas resté insensible face aux cris des travailleurs. Il avait à l’époque présidé un comité interministériel pour redéployer bon nombre de licenciés dans d’autres départements et des indemnités de licenciement raisonnables avaient été offertes à ceux qui avaient dépassé la cinquantaine.
Je suis reconnaissant envers Paul Bérenger par rapport à la façon il a traité ce dossier. Les visages de ces travailleurs licenciés sont encore frais dans ma mémoire. Certains avaient fait le déplacement en larmes à mon domicile, et ma défunte épouse a vu cette scène horrible et m’a encouragé à me battre jusqu’au bout en leur faveur pour que, demain, ils ne viennent pas cracher sur moi pour n’avoir rien fait pour eux.
Dans quelle circonstance avez-vous pris la présidence de la Fédération syndicale des corps constitués, connue aujourd’hui comme la Federation of Parastal Bodies and Other Unions (FBOU) ?
Au fait, il y avait à l’époque un changement à la tête de la FSCC et celui-ci coïncidait avec ma lutte en faveur des ex-travailleurs de la défunte CHA. Puisqu’il avait plusieurs candidats à la présidence de la FSCC, les membres de l’assemblée générale ont voulu écouter les arguments de chaque prétendant au poste de président avant de faire leur choix démocratique.
Mon discours a plu à plus d’un et mon Will Power a fait la différence. Avec mon élection à la présidence de la FSCC, j’ai pu donner un nouveau souffle à cette fédération syndicale et je suis devenu, par la suite, le premier vice-président du Mauritius Labour Congress (MLC).
La fermeture de la Development Works Corporation (DWC) est un autre dossier explosif sur lequel je me suis penché. Il faut dire cependant que je n’étais pas le seul syndicaliste à avoir pris position contre ce licenciement de masse. Les travailleurs, dans leur grande majorité, ont pu, par la suite, être redéployés dans d’autres corps para-étatiques à la suite d’une importante manifestation dans les rues de Port-Louis. Mais il n’y a pas eu que cela. Des manifestations journalières devant l’hôtel du gouvernement avaient également été organisées durant cette période de revendications.
Depuis que j’occupe la présidence de la FSCC, nous avons enregistré une série de victoires. Je cite, entre autres, le droit des travailleurs de la SICOM à se faire syndiquer, la réintégration des employés licenciés dans divers corps parapublics… Je suis d’avis qu’il y a des syndicalistes qui s’appliquent à fond, mais aussi certains venus faire du syndicalisme pour des gains personnels. Ce genre de personnes veulent que chaque année, ce soient eux qui assistent à la conférence internationale de l’Organisation internationale du Travail (OIT). J’ai toujours été contre la dictature au sein des centrales syndicales.
Certains n’hésitent pas à créer la division pour mieux régner au sein des grandes formations syndicales. Ce genre de politique a fini par diminuer le Membership des grandes formations syndicales. Il faut être sincère lorsque vous pratiquez le syndicalisme. Il ne faut pas se demander « ki mwa mo pou gagne ? » lorsqu’on vient faire du syndicalisme à Maurice. Lorsqu’on fait du syndicalisme, il faut plutôt se demander ce que l’on peut faire pour les travailleurs.
Au lieu de faire campagne contre la privatisation des services essentiels et le maintien de l’État providence, certains syndicalistes ont préféré caresser le problème dans le sens du poil. Je regrette que la division se soit installée dans le monde syndical. Je ne vis pas sur l’argent des travailleurs et, à ce jour, je suis un employé du gouvernement.
La FPBOU s’est associée maintenant à la Confederation of Independent Trade Union. Pourquoi cette alliance ?
À travers cette alliance, la CITU est devenue la confédération la plus représentative du pays. Je ne suis pas l’opinion politique de chaque personne. Je ne suis pas non plus contre le fait que certains utilisent le syndicalisme comme cheval de bataille pour faire de la politique. Moi, de mon côté, je pense qu’il faut donner sa chance à n’importe quel gouvernement qui est au pouvoir de travailler pour le pays. Un gouvernement est après tout élu par le peuple. Malgré le fait que, dans le passé, « monn manze ek gouvernman Parti travayis » par rapport au sort des travailleurs de la DWC, j’ai dit que ce gouvernement devait partir.
Lorsque je fais du syndicaliste, je n’ai aucun agenda politique. Quand vous occupez le poste de dirigeant syndical, vous devez vous attendre que des politiciens vous fassent les yeux doux. Je me souviens que l’ancien Premier ministre, Navin Ramgoolam, est intervenu dans le passé pour empêcher que les travailleurs affectés dans les centres communautaires soient transférés du Sugar Industry Labour Welfare Fund au ministère de la Sécurité sociale.
Notre combat se pousuit actuellement. Maintenant, il y a des employés qui ont travaillé pendant des années au sein du SILWF et qui attendent toujours d’être promus. Lorsque le moment est venu pour eux d’obtenir une promotion, on voit des gens externes qui sont parachutés. Maintenant, on demande s’il ne faut pas que ceux qui sont en charge pendant une dizaine d’années dans les centres communautaires continuent de rester des assistants éternels. Pour ne pas donner de cours à ces employés sincères au Civil Service College, pour qu’ils puissent avoir de diplôme et être promus par la suite.
C’est ce même combat qu’avait adopté dans le passé notre ancien camarade Rashid Imrith. A un certain moment, au sein du ministère de la Fonction publique, des Attendants avaient été appelés à faire des Clerical Works.
Si une telle chose a pu se faire au sein de la fonction publique il y a 20 ans, pourquoi ne peut-on pas le faire au sein d’un corps para-étatique ? Bientôt, nous ferons une demande officielle pour ces travailleurs au gouvernement. Au fait, la FPBOU s’est associée à la CITU juste pour défendre les travailleurs sur tous les chantiers.
Nous travaillons maintenant en faveur des employés dans le textile. Nous étions au premier plan pour les travailleurs de la Consolidate Fabrics Ltd. Comment accepter le fait que des travailleurs de trois nationalités qui font le même travail obtiennent des salaires différents ? Moi, j’ai trouvé cela inacceptable. La compagnie voulait les mettre à la porte sans préavis de licenciement. Nous avons lutté pour ceux qui veulent rester au pays et que pour ceux qui voulaient quitter le pays obtiennent une compensation adéquate. La compagnie a délocalisé ses activités a Madagascar, car la main-d’œuvre est moins chère dans la Grande île. Voilà un autre exemple de notre combat.
Dans le passé, nous faire pu faire obtenir des indemnités de licenciement équivalant à six semaines par année de service. À ce jour, le combat se déroule dans les corps para-étatiques, dans le secteur privé, dans les administrations régionales… C’est nous qui comptons le plus de membres dans tous les secteurs que je viens de préciser. C’est cela qui fait notre force. Mais il n’y a pas que cela.
Nous sommes également sur le terrain pour dynamiser notre force de frappe. Notre dernière négociation a aussi été fructueuse chez AML. Il n’y avait lieu de dormir chez AML. Nous avons pu sortir des négociations avec 12,4% d’augmentation de salaires pour les employés d’AML. Les négociations étaient difficiles mais, malgré cela, nous avons obtenu cette augmentation salariale.
Notre combat se poursuit actuellement en faveur de nos camarades de la Banque de Développement de Maurice. Nous sommes en train de réclamer une hausse salariale de 15% pour les employés de cette institution bancaire. Valeur du jour, la direction de la DBM résiste et souhaite que cette augmentation salariale tourne autour de 12% à 15%. Il a des signes que cette banque veuille éliminer certains droits acquis des travailleurs en augmentant les heures de travail.
Les travailleurs qui comptent plusieurs années de service ne sont pas valorisés. Et pourtant, ce sont ces mêmes travailleurs qui ont donné des formations aux nouveaux employés, qui veulent maintenant « mont lor zot latet ». C’est à la suite d’un rapport d’un commissaire salarial que la DBM veut venir de l’avant avec un plan de restructuration. Nous avons raison de croire qu’il n’y a pas eu de Job Evaluation approfondie lors de la préparation de son rapport. Nous avons écrit une lettre au ministère des Finances pour qu’il puisse ouvrir les négociations avec le mouvement syndical. Il y a deux semaines environ, nous avons tenu une assemblée générale spéciale pour faire approuver les demandes des travailleurs.
Comme à la SICOM, nous avons pu faire bouger les travailleurs de la DBM. Nous savons négocier et nous n’avons pas d’agenda politique pour faire bouger les choses. Tout en saluant le travail réalisé jusqu’ici par le ministre du Travail, Soodesh Callichurn, en ce concerne la ratification de la Convention 190 de l’Organisation internationale du Travail (OIT) sur le harcèlement au travail. Mais malheureusement, il y a un projet d’Enforcement de cette convention sur les lieux de travail. Nous savons qu’une fonctionnaire s’est suicidée récemment.
Des cas de harcèlement au travail existent aussi dans les corps parapublics. Trois jeunes travailleurs ont d’ailleurs récemment été mis à la porte pour des peccadilles. Personne n’a osé lever le moindre petit doigt pour ces jeunes salariés, qui venaient de fonder une famille. Les travailleurs peuvent commettre des erreurs, et l’erreur est de toute façon humaine. Mais ce n’est pas une raison suffisante pour mettre à la porte un salarié. Nous avons lancé un appel pour la réintégration de ces travailleurs, mais notre demande est restée lettre morte.
L’Appeal Committee a siégé sur cette affaire depuis au moins deux mois et, jusqu’ici, il n’y a toujours pas de retombées. Maintenant, nous apprenons qu’un 4e travailleur serait dans le collimateur de la direction de ce corps parapublic. Nous parlons de harcèlement moral, c’est-à-dire que tous leurs mouvements sont surveillés.
Mais encore ?
Nous avons pu également effectuer une percée extraordinaire au niveau du Mauritius Institute of Education. Les négociations pour des révisions des conditions de travail vont bientôt démarrer avec la direction. Les employés sont représentés de leur côté par deux syndicats.
La direction du collège des Mascareignes est aussi en train de coopérer pour améliorer les conditions de travail de ses employés. Nous avons fait comprendre aux directeurs de ces corps parapublics que nous sommes un acteur important sur l’échiquier syndical et que nous sommes les soldats des travailleurs. Je déplore cependant ce qui se passe au MITD. Nous savons que le champ d’action de la direction de ce dernier est limité. L’IVTB a changé de nom et cela nous a pris pas moins de dix ans pour finaliser le Scheme of Service pour les employés du MITD. Maintenant, tout a été finalisé, et le gouvernement vient avec la décision de créer une nouvelle institution qui prendra sous sa charge quatre principaux centres de formation du MITD.
Le MITD se retrouve donc avec des petits centres de formation sous sa charge. Nous avons eu plusieurs rencontres avec le ministère de l’Education à ce sujet pour y voir un peu plus clair. Qu’en est-il de la situation pour les travailleurs qui attendent d’être nommés ou promus à des postes à responsabilités ? Nous avons l’impression que la direction du MITD ne sait toujours pas combien d’employés seront sous sa responsabilité avec cette restructuration. Le problème reste sérieux, et c’est pourquoi nous voulons savoir combien d’employés passeront sous la tutelle du ministère de l’Education.
Il faut que cet exercice se fasse vite et dans la transparence. Nous avons écrit une lettre au ministère pour une rencontre officielle à ce sujet. Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons tenu une assemblée générale avec les travailleurs et j’ai répété ce que je viens de dire.
Nous savons cependant que le ministre du Travail a donné la garantie qu’aucun travailleur sera sur la touche, mais quand même, les travailleurs qui ont travaillé pendant un certain nombre d’années voudraient savoir s’ils auront droit à une promotion ou non. Peut-être que le ministère du Travail attend le nouveau budget pour avoir assez de fonds pour reformer certains centres de formation qui resteront sous la tutelle du ministère du Travail. Nous voulons des réponses claires.
Pourquoi avez-vous quitté la National Trade Union Confederation (NTUC) ?
Je n’étais pas satisfait de la manière dont les choses se déroulent au sein de cette organisation. Il était question d’une présidence assumée à tour de rôle au sein de cette organisation. Mais lorsqu’est venu le tour du syndicaliste Radhakrishna Sadien pour prendre la présidence, on n’a pas voulu lui donner sa chance. J’avais donc décidé d’effectuer un Walk-Out au sein de la NTUC avec ma fédération.
Je suis donc retourné au bercail, à la CITU, pour son dynamisme. Au sein de la CITU, nous n’avons pas la prétention de confier la présidence à une personne pour l’éternité. Chez nous, nous fonctionnons comme une démocratie. Nous donnons à tout le monde la chance d’occuper le poste de président, comme c’est le cas dans une démocratie.
Peut-on dire que vous faites du travail social ?
Tout à fait. C’est pourquoi je suis accessible à tout le monde, qu’importe le fait que vous soyez membre chez moi ou non. Mon téléphone reste ouvert au rythme de 24/7 pour le bien-être de la population.
Maintenant, je constate qu’il y a trop de gens qui sont en train de mourir sur nos routes. Ce n’est que maintenant qu’on en train de parler de la nécessité de créer une voie dédiée aux bicyclettes et aux motocyclettes. Notre combat pour empêcher le coût de la vie de continuer d’augmenter ne s’est pas arrêté. Nous avons d’ailleurs dit au ministre des Finances que l’ajustement de Rs 1 000 n’était pas suffisant, car les prix des commodités courantes continuent de monter en flèche.
Valeur du jour, « si ou aste 4 per dol pouri ou Rs 100 fini dan ou pos ». Malgré tout ce qu’on raconte sur l’huile comestible Smash, on ne trouve toujours pas ce produit sur les étagères des grands supermarchés. Cela veut dire que les consommateurs continuent de payer cher l’huile comestible. Je reviens à la charge pour le réajustement de cette allocation de Rs 1 000, car l’économie est en train de redémarrer. Nous voulons aussi que le gouvernement révise à la baisse le prix de l’essence.
Je termine en disant que les politiciens, dans leur ensemble, sont une race arrogante et qu’ils ne savent pas communiquer avec les gens. C’est l’arrogance qui rend un politicien impopulaire.
Propos recueillis par Jean-Denis PERMAL