C’était comme un appel vers une étrange résonance, vers l’appropriation fuyante d’une présence insaisissable !
Un chemin se dessinait au fil des jours, au détour de cette nouvelle rencontre avec l’angoisse de toucher le fond, de se retrouver totalement impuissant face aux moult vicissitudes qui dépassent notre entendement.
Et soudain, tombe une prescription pour être en symbiose parfaite avec la nature, le ciel et la terre, le tangible et l’intangible. En fait, c’était une injonction à se relier au moment présent. Il suffisait de contempler la voûte céleste à l’aurore, de se recueillir dans ses couleurs cuivre et or, et de se draper d’espérance à l’écoute du gazouillis enchanteur du cardinal sautillant joyeusement sur les branches d’un manguier en fleurs ! Il suffisait de faire silence en soi pour accueillir un appel profond venu d’ailleurs… Il suffisait de répondre à cette invitation à synchroniser son souffle avec toutes les vibrations de l’Univers, de s’ouvrir au végétal et au minéral. Cette force minérale qui parait si lointaine résonne néanmoins en nous et nous relie mystérieusement au monde.
Se relier au moment présent, c’est se défaire des fractionnements du temps, c’est refuser d’être happés par les méandres sinueux du passé et les mille incertitudes de l’avenir. Cette clé de la sérénité est prônée aujourd’hui par plusieurs écoles de pensées. Et pourtant, depuis la nuit des temps, selon le calendrier lunaire hindoue, on nous rappelle cette évidence avec la fête de Kalashtami. Ce jour-là, chaque mois, le huitième jour après la pleine lune, on célèbre Kala Bhairava de Kashi, la forme la plus redoutable du Dieu Shiva. Maître du Temps et par extension maître de la Mort, parfois représenté par une petite statuette en pierre noire généralement à l’entrée du temple, doté d’un visage serein, le Seigneur Kala Bhairava détruit le temps et nous insuffle la foi en l’ici et maintenant.
En ce jour de Kalashtami, c’était comme un appel à un pèlerinage pour un hommage au temps présent. La prière commence à 7 heures au Ganesh Kovil Sangam à Rose Hill. Situé dans la rue Père Laval, ce sanctuaire dédié au Dieu Ganesh dégage des vibrations apaisantes et puissantes à la fois. Après dix jours d’une célébration haute en dévotion et en couleurs à l’occasion de la fête de Vinayagar Chaturthi, on se recueille ce matin dans une atmosphère plus retenue pour Kalashtami. On est en symbiose avec les vibrations subtiles du minéral. Les rituels d’usage dont l’abhishekam constitué du bain purificateur et de l’onction de la statuette sont accomplis avec beaucoup de respect par le prêtre entouré des dévots présents. Parmi les louanges dédiées au Seigneur Kala Bhairava, on reconnait le Kala Bhairava Gayatri mantra qui est une invitation à méditer sur cette forme de Shiva pour transcender le temps et atteindre la sérénité : Om Kaalakaalaaya Vidmahe, Kaalaatheethaaya dheemahi, Tanno Kaala Bhairava Prachodayat.
Le prêtre récite aussi d’autres prières avec ferveur en enveloppant la statuette d’un habit en soie rouge ; il enchaîne avec le pushpanjali (offrande de fleurs), l’arpanam, (offrande de fruits) et l’aarti (offrande de lumière). En ce jour de Kalashtami, on psalmodie également le Kala Bhairava Ashtakam, un chant lyrique composé par Adi Shankaracharya, le célèbre poète. Cet hymne de huit strophes permet d’approfondir la connaissance de la vie et nous libère les peurs tout en favorisant la concentration sur « l’ici et maintenant ».
Kala Bhairava semble être une représentation du Dieu Shiva célébrée dans la discrétion. Jouant le rôle du gardien du temple, il veille sur les dévots qui décident d’y pénétrer et les guide sur le chemin de la vie. Rendons grâce à cette présence divine qui éveille en nous la faculté d’être en pleine conscience du moment présent et d’animer en nous cette force tranquille et transcendante. Cette nouvelle énergie nous réconcilie avec la part minérale profondément ancrée en nous, celle qui vient de la source, la terre mère et nous relie à l’essentiel, ici et maintenant…
L’ignorance cède la place à la connaissance. La lumière triomphe sur les ténèbres. Que ce jour de Kalashtami honoré chaque mois nous serve de jalon pour baliser nos routes un peu accidentées !
Septembre 2022