« Hello Mauritius ! »Ce sont les premiers mots de la reine lorsqu’elle a fait ses premiers pas à Port-Louis après avoir débarqué de son Navire, le Britannia — arrivé le matin même du 24 mars à 9h 30 sur le port de la capitale — et embarqué sur une vedette qui accosta au Chien de Plomb au bruit de sirène de l’hôtel du gouvernement.
Ce premier jour fut consacré au protocole avec le passage en revue les forces de l’ordre du pays à la Place d’Armes et à la politique, lorsqu’elle prononça le discours du trône, que lui avait remis le Premier ministre sir Seewoosagur Ramgoolam, et qu’elle prononça devant un Parlement plein comme un œuf.
Le contact populaire a été marqué par un accueil réservé et timide au départ, qui s’est transformé, avec la personnalité simple de la reine Elisabeth II et son mari le Prince Philip, en un climat de grande ferveur populaire qui s’est poursuivi jusqu’à son départ dimanche de l’aéroport de Plaisance. Vendredi 25, des dizaines de milliers de Mauriciens s’étaient déplacés ce pour acclamer la souveraine de Port-Louis à Rose-Hill et Beau Bassin en passant par Réduit, Mon Désert Alma.
Puis, samedi 25 le lendemain, ils étaient aussi nombreux de Quatre-Bornes à Vacoas jusqu’aux Gorges de la Rivière Noire, Chamarel, Le Morne, avant le fameux banquet d’État au Château du Réduit ! Nous publions en souvenir de la reine Elisabeth II ce que Week-End du 26 mars 1972 avait raconté de sa journée du samedi 25 mars 1972 à Maurice…
Le sens d’une visite
« Allons voir la reine passer ». Dans combien de foyers mauriciens ces mots ont-ils retenti hier et avant-hier. 25 000 ou 50 000 ? Quel qu’en soit le nombre, toujours est-il que c’est véritablement hier que l’île Maurice est descendue dans la rue. À Port-Louis, à St-Jean, à Quatre-Bornes, Vacoas, Floréal, Curepipe et dans la totalité des petits villages côtiers de Rivière-Noire, des dizaines de milliers de Mauriciens, jeunes et vieux, se sont pressés sur les routes pour voir. Pour la dame, dont le titre même fascine et émerveille : LA REINE.
Une fraction de seconde, le temps d’un regard furtif par-dessus l’épaule des autres spectateurs, et 100 000 Mauriciens, hier, comme 100 000 autres, vendredi, se sont laissé envoûter par le glamour de la reine. Et, subjugués, plus soucieux de voir plutôt que d’ovationner et d’applaudir, les Mauriciens ont laissé passer la reine, parfois même sans lever la main, mais Elizabeth II aura su distinguer, le long de nos routes, un réel élan de respect et de cordialité.
C’est qu’il est encore des choses, d’un autre temps peut-être, auxquelles les Mauriciens sont encore attachés. Et des milliers d’Union Jacks qui côtoyaient les quadricolores mauriciens suffisaient à rappeler à l’île Maurice que le temps n’est pas loin où elle était encore rattachée au Royaume-Uni. L’île Maurice, hier, a frissonné de nostalgie à voir traverser une reine. De Port-Louis à Curepipe, de Curepipe à Rivière-Noire, l’île Maurice a ovationné et admiré un souvenir.
Pas une visite politique
Un souvenir que ravivaient les anciens combattants de la dernière Guerre mondiale, qui avaient tenu à épingler, une fois de plus, leurs décorations pour voir passer la reine, comme pour lui rappeler ou lui dire que c’est pour elle qu’ils avaient combattu. Un souvenir qui a fait des adultes, aigris et indécis d’abord, se précipiter pour voir la reine au fur et à mesure qu’elle se rapprochait de leurs localités, alors que la jeune génération venait voir, avec une curiosité à peine dissimulée en ce personnage qui ne semblait, pour ceux, exister que dans les livres d’histoire.
Une visite politique ? Non. La reine l’a évitée. Ceux qui auraient peut-être misé sur elle auront été un peu déçus. C’est pour la reine seule et probablement pour la reine seule que le tiers de la population mauricienne s’est déplacée au cours des dernières 48 heures. Cette visite se situait nettement au-dessus des intérêts politiques locaux, et il est très probable que les Mauriciens, étant ce qu’ils sont, recommenceront, dans une semaine, à débattre avec passion les questions politiques du jour. Alors, qu’est-ce qui a fait bouger les foules ?
Qu’est-ce qui, au cours des derniers jours, a incité des hommes de tous âges, de toutes les couches sociales, de toutes les tendances politiques, de toutes les couleurs, à crier, à l’unisson parfois, « Vive la Reine ! » le symbole ? Car la reine d’Angleterre, qui est aussi reine du Commonwealth, est d’une manière un symbole, malgré la démocratisation de toutes les institutions mondiales. Symbole de la puissance passée et présente de la Grande-Bretagne, à laquelle ont été sensibles, pendant 158 ans, de génération en génération, des générations de Mauriciens. Symbole unificateur aussi d’une population d’un demi-milliard d’âmes qui, à divers points du globe et à différentes époques, ont été conditionnés à saluer le Union Jack.
Prisonnière de ses symboles
Certains pourraient dire que l’île Maurice tout indépendante qu’elle soit demeure prisonnière de ses symboles. Mais il reste qu’hier et avant-hier, l’île Maurice, pour la première fois depuis l’indépendance, a quitté ses foyers en masse. Des centaines de milliers de gens se sont massés au bord de la route, tenus sur des bâtiments, accrochés à des arbres, ou simplement assis dans des fauteuils (dans les villages).
Ils ont, pendant quelques heures d’attente, les yeux visés sur l’extrémité de la route, mis de côté leurs terribles préoccupations pour se laisser entraîner dans le monde du mythe.
Et s’il y avait un aspect positif dans cette brève visite royale, c’est qu’elle aura fait sourire l’île Maurice. Et l’île Maurice avait grand besoin de sourire.
Visite à la mairie de Port-Louis
Tout comme pour le premier jour, l’accueil réservé à Port-Louis à S. M. la reine Elizabeth et à S.A.R., le duc d’Édimbourg, n’a pas tourné au délire hier, devant la mairie de la cité. D’autre part, il faut reconnaître que l’accueil des visiteurs royaux au niveau officiel a été impeccable du point de vue de l’organisation.
Hier, devant la mairie de Port-Louis, qui avait été décorée avec beaucoup de goût, une foule de 4 500 personnes s’était rassemblée pour voir le couple royal. À 10h50, le lord-maire de la cité, Gaétan Duval, a descendu les marches de l’entrée principale du bâtiment marial en tenue d’apparat. Des gardes municipaux ont lâché des oiseaux (serins du cap, canaris, etc.) et le lord-maire a salué la foule de la main. Il avait à ses côtés sa mère, Mme Henrisson, et M. Somdath Buckhory, secrétaire de la ville. Sir Seewoosagur Ramgoolam et Lady Ramgoolam sont arrivés à 9h55, suivis du gouverneur général et de Lady Williams.
Le couple royal est arrivé à 10h15. La reine portait une robe midi bleu-vert et un chapeau de même couleur, à pois blancs, des chaussures blanches avec une boucle enchâssée de perles, un collier à trois rangées de perles, une broche et des bouches d’oreilles incrustées de perles. À l’arrivée du couple royal, les personnalités présentes ont applaudi. Le lord-maire leur a fait ensuite visiter la salle municipale, après les présentations d’usage. Avant d’entrer à la mairie, le prince Philip a salué la foule de la main. Encore une fois, la foule, émue peut-être, n’a pas manifesté un enthousiasme délirant.
Paraissant frais et ne cessant de sourire, les visiteurs de la municipalité ont conversé avec les personnalités présentes. Nous avons pu entendre M. Bhuckhory, répondant au prince Philippe, dire que le bâtiment de la municipalité avait été construit en 1966. Avant de quitter la salle des délibérations, le couple royal a jeté un coup d’œil à la liste des maires de la ville. La reine écoutait les explications de sir Seewoosagur — qui, on le sait, a déjà été mairie de Port-Louis.
Un petit incident à la sortie : un jeune homme a essayé d’ouvrir la portière de la voiture transportant le couple royal. Il avait à la main une enveloppe qu’il voulait apparemment remettre à Sa Majesté. Les forces de l’ordre sont intervenues à temps pour l’en empêcher.
Promenade sur la route de Plaine Champagne
* Des grosses foules à Quatre-Bornes, Vacoas et Curepipe
— Les habitants de Rivière Noire réservent un accueil simple, mais chaleureux à la reine
Après les villes et la population urbaine, c’est la grande nature mauricienne et les villages côtiers que la reine Elizabeth a découverts dans la matinée d’hier. Quittant l’hôtel de ville de Port-Louis, la souveraine a emprunté la Nationale et a traversé Quatre-Bornes, Vacoas et Curepipe, où des milliers de gens l’attendaient pour ensuite commencer une promenade touristique dans la région pittoresque de Plaine Champagne.
Quatre-Bornes, Vacoas et Curepipe avaient pavoisé, hier, l’attente de la visite royale. Au rond-point de St-Jean, près de 2 000 personnes s’étaient rassemblées, et arborant des Union Jacks ou des quadricolores mauriciens ont chaudement accueilli la reine et son mari. La foule massée sur plus de 3 milles, de Quatre-Bornes à Vacoas, en passant par Candos, n’a pas ménagé ses applaudissements au couple royal.
L’originalité primait à Quatre-Bornes, où l’on notait les tenues vestimentaires les plus ahurissantes : t-shirts portant des inscriptions des plus farfelues, chemises bariolées, infirmières en uniforme soutenant des malades de Candos désireux de voir passer la reine. La rue n’a pas désempli de Candos à Vacoas, et si comme à Port-Louis on n’y a noté aucun enthousiasme excessif, l’ambiance était à la détente, la curiosité et aussi une certaine joie.
Après avoir visité les casernes de la SMF et l’hôpital naval du HMS Mauritius, le couple royal a emprunté la route de Floréal pour se rendre à Curepipe et, de là, aux gorges de la Rivière-Noire. De nombreux arcs de triomphe avaient été érigés le long de la route, mais c’est à Mangalkhan que la reine a reçu l’accueil le plus original sur cette partie de la route : 14 cavaliers du Club Hippique de Maurice, vêtus de rouge, attendaient la souveraine sur leurs chevaux pour la saluer. La groupe de cavaliers fut fort remarqué. La foule, canalisée entre Floréal et Curepipe Road, devint toutefois très dense à l’entrée de Curepipe. Le trafic avait été dévié au centre de la ville, et environ 20 000 personnes se tenaient sur les routes de Curepipe pour acclamer la reine. Celle-ci fut timidement applaudie, mais une grande cordialité à son égard fut notée. Les cloches des églises sonnèrent au passage de la reine, alors qu’elle se dirigeait vers Forest-Side, d’où elle emprunta la route menant à Mare-aux-Vacoas.
Des gens, peu intéressés à se mêler à une immense foule anonyme et désireuse de voir la reine de plus près, s’étaient rendus à La Marie, et aux environs de Mare-aux-Vacoas. Certains, plus originaux, avaient organisé des pique-niques sur la route des Gorges et, tout en dégustant une bière et savourant des sandwiches, saluèrent la reine à son passage. Une petite foule de 50 personnages environ avait tenu à se rendre aux Gorges mêmes, où la reine devait s’arrêter quelques minutes.
Des gardes forestiers, en uniformes flambant neufs, se tenaient en bordure de la route pour saluer la souveraine, celle-ci sembla fort apprécier le paysage semblable à la savane africaine. La reine arriva avec quelque retard aux gorges où elle fut accueillie par le directeur du service des Bois et Forêts, M. Owadally. La reine et son époux s’émerveillèrent devant les gorges : un spectacle grandiose. Le duc questionna, à maintes reprises, M. Owadally quant à la position géographique des gorges, son intérêt touristique, et à un certain moment, se penchant vers les précipices, demanda : « Is anyone living down here ? »
Aux gorges de la Rivière Noire
L’endroit avait été à cette occasion agréablement aménagé. Des buissons avaient été élagués, le sentier menant au Viewpoint amélioré. Un kiosque avait été construit, avec du bois et de la paille, et un petit bassin avait été aménagé. Des poissons y avaient été introduits, mais la reine ne sembla pas les remarquer. Un officier des Bois et Forêts remit au couple royal un superbe présent : une sculpture en bois.
Puis commença la véritable excursion le long de la route menant à Chamarel, qui avait été complétée à vitesse expresse la semaine dernière. Cette route, située dans un cadre d’une rare beauté, permit aux visiteurs royaux de se familiariser avec la flore mauricienne. À Chamarel, un accueil chaleureux avait été réservé au couple, et un arc de triomphe avait été installé devant l’église de la localité. Les visiteurs furent reçus par une foule sympathique, bruyante, tout heureuse que la reine ait accepté de visiter leur hameau oublié.
Après une descente mouvementée vers la côte, le cortège royal se dirigea vers Le Morne. Trois bungalows avaient été réservés à la reine et sa suite, mais un dispositif de sécurité d’une rigueur extrême avait été composé et les journalistes furent carrément écartés de la région. Après un déjeuner privé d’une vingtaine de couverts, la reine reprit, à 14h30, la route de Port-Louis via La Ferme et Petit-Rivière. Tous les villages du district avaient été décorés, certains simplement, mais partout on notait avant le passage de la reine une fébrile impatience. Accueil simple, imprégné d’une grande chaleur humaine et qui aura impressionné la reine pour ce premier contact avec les populations des régions rurales.
De retour à Port-Louis à 15h, la reine regagna le Britannia, d’où elle devait ressortir une demi-heure après, pour se rendre à Pamplemousses où elle était l’invitée d’honneur à une Garden Party offerte par le gouvernement.
Discours de Sa Majesté la reine au banquet d’État au Réduit hier
Le discours de S. M, la reine
Mr Prime Minister,
Your kind words in proposing my health and your generous hospitality this evening are very much appreciated by us. I also thank all the guests for their warm response to the toast.
I am especially pleased to be here as your Queen, to have opened Parliament, and to have met my people of Mauritius in their own country. After two days’ experience, I can understand why both my father and my mother spoke so highly of this beautiful island. I have seen for myself many of the things which so impressed my sister and my cousin, who have been here more recently. You have just been celebrating the fourth anniversary of Independence.
Certainly Independence was the most important political development in the island’s history, and marked the beginning of total responsibility for your own life and future. Democratic self-government, which means government by consent and not by coercion, has never been easy. It is even more difficult in these days when so many changes are taking place all over the world so fast. It is therefore very greatly to your credit that so much progress has been made.
I am particularly pleased to know that such active steps are being taken to maintain racial harmony, to encourage the involvement of the younger generation in national affairs, and to push ahead with the development of social services, particularly in health and education. In this connection it gave me the greatest pleasure to visit the fine new University yesterday, which owes so much to the personal enthusiasm and inspiration of the Prime Minister. We have seen something of almost every aspect of life in Mauritius but I must say that i have been deeply touched by the friendly and warm-hearted welcome from so many people of all walks of life. When memory of your lovely landscape fades, the recollections of this welcome will remain as bright as ever.
These two days have gone past all too quickly but I know what a lot of hard work and preparation they have meant. I would ask you, Mr Prime Minister, to express my warmest thanks to everybody who has made some contribution to the happiness and gaiety of our visit.
Tomorrow morning we leave you. We shall do so with regret but we shall take away with us many happy memories of the hospitality and kindness shown to us by my Government and people of Mauritius.
À la Garden Party, hier, Week-End a rencontré le cousin de la reine
C’est un cousin de la reine Elizabeth. Il faut dire cependant qu’il s’est très peu fait remarquer jusqu’ici, car ce ne fut qu’hier après-midi que l’on a découvert le secret de ce jeune Lord très dans le vent avec ses longs cheveux, sa chemise d’un jaune éclatant et ses jeans à pattes d’éléphant, alors qu’il faisait des photos à la Garden Party de Pamplemousses. Il s’appelle Lichfield. Il est plus précisément le Earl of Lichfield. Il est venu à Maurice à bord du Britannia comme membre de la suite royale, mais il est aussi journaliste. Il repart aujourd’hui, cette fois, avec ses collègues de la presse britannique.