Ce mercredi, Valentine Lenoir a présenté au Caudan Arts Centre, Abusé(e) et après? un récit autobiographique. Enfant, elle a été victime d’abus sexuels, et ce n’est qu’à 20 ans qu’elle se remémore ces faits. À 30 ans, aujourd’hui, Valentine est convaincue qu’une victime ne se résume pas à l’abus qu’elle a vécu. Elle est au contraire la somme de ses choix, de ses volontés, et a droit autant que n’importe qui au bonheur. Une belle leçon de survie. Un courage qui mérite d’être salué.
Valentine Lenoir, on aimerait mieux vous connaître?
Je suis architecte d’intérieur à mon propre compte. J’ai fait des études au Royaume-Uni à Oxford Brookes University, puis j’ai pris de l’emploi aux Seychelles avant mon retour dans mon île natale, en 2016. J’ai 30 ans, et, Abusé (e)et après? est mon premier livre.
Abusé(e) et après est un récit autobiographique. Présentez-nous votre livre ?
Le livre Abusé(e), et après? a pour vocation d’encourager les victimes d’un traumatisme, voire d’un abus sexuel, à se libérer de l’abus vécu. Pour cela, je propose aux lecteurs de s’ouvrir à de nouvelles perspectives pour faire le choix conscient de mener une vie plus heureuse, guidée par des sentiments positifs.
J’ai choisi de positionner ce récit autobiographique, comme un véritable guide à lire, relire et feuilleter à l’envie. Cet ouvrage incite le lecteur à prendre du recul sur son vécu, ses émotions et ressentis du quotidien pour reprendre le contrôle de sa vie, de son corps et de sa tête. Sont ainsi abordés dans le livre: la notion de choix, outil central de l’ouvrage, l’étiquette de victime, le rôle des proches, le rapport au corps, la colère, la honte et la culpabilité.
À travers cinq chapitres et une note dédiée aux proches des ex-victimes, je retrace avec humour et sincérité, mon parcours personnel, mes échecs et mes réussites. La transparence du discours invite le lecteur à porter un nouveau regard sur son propre parcours de vie, à relever des astuces utiles pour reprendre confiance en lui, et à intégrer le fait qu’une autre voie, plus heureuse, est possible, s’il en fait le choix. Mon livre est édité aux éditions Pamplemousses, d’Alain Gordon-Gentil, la photo de couverture est de Frederick Breville et les illustrations sont de la dessinatrice mauricienne, Oliv’Local.
Quels sont les thèmes abordés dans votre livre ?
Les thèmes abordés dans Abusé(e), et après ? ont pour vocation de parcourir l’ensemble des questions qui peuvent traverser l’esprit d’une ex-victime : la compréhension et la gestion des sentiments négatifs, de la colère à la culpabilité, le rapport au corps et à l’autre, le regard des autres…
C’est aussi une main tendue aux proches des victimes, qui ne savent pas toujours trouver les bons mots et les bons gestes pour accompagner l’être aimé dans son parcours vers la rémission.
Valentine, vous avez choisi d’en parler sans vous en prendre à votre bourreau, aucun nom, ni de détails, pourquoi ce choix d’expression ?
Je ne juge pas utile de (re)faire un procès au pédophile qui a commis ces actes. Ce n’est pas la vocation de ce livre. Il existe déjà bien assez d’ouvrages livrant des témoignages des plus détaillés, et, personnellement, je n’ai pas trouvé que cela contribuait à créer du changement pour une ex-victime qui choisit d’avancer.
À l’époque de ma reconstruction, c’est quelque chose qui m’a beaucoup troublé : il m’était quasi impossible de trouver un ouvrage qui n’exposait pas des détails de ce qu’une ex-victime avait pu vivre pendant un abus. Il y a un côté réconfortant certes, de rejoindre l’autre dans ce qu’il a pu vivre mais cela n’a fait que renforcer mon sentiment de dégoût, de honte et de culpabilité.
C’est étrange, mais j’ai vraiment eu le sentiment de ne rester que dans ce cercle infernal d’abus. Jusqu’au jour où ! Je décide de voir les choses différemment. Où je réalise qu’une autre voie est possible et que cela commence par mon choix. La vocation de mon livre est ailleurs : qu’une ex-victime puisse faire le choix d’aller au-delà de l’abus vécu, le choix de reconnaître ce dont elle est capable, le choix de se libérer entièrement.
Est-ce à dire que vous avez pardonné ? Votre agresseur est mort, mais aviez-vous eu le temps de le regarder en face et de lui dire, ce que vous aviez ressenti surtout que les faits ont eu lieu durant votre enfance ?
Encore une fois, je ne souhaite pas cloisonner mon parcours comme étant “la route” à emprunter pour se libérer d’un abus. Je partage des outils et prises de conscience qui m’ont permis d’avoir une nouvelle perspective sur mon vécu.
Ce sont des questions ouvertes, qui amènent des prises de conscience. Celles-ci sont propres à chacun. Ainsi, il se peut que pour certains, le pardon soit une des clés pour se libérer, pour d’autres, cela pourrait être le fait de faire un procès, de parler de leur vécu et ainsi de suite. Je suis convaincue d’une chose : identifier ce qui fonctionne pour soi, ce qui résonne en nous, ce qui nous procure plus de légèreté, est essentiel pour avancer et changer ce que l’on souhaite dans sa vie.
Votre priorité à vous est d’apporter une perspective nouvelle sur la possibilité de se libérer de l’abus vécu. On ne sort jamais indemne d’une agression sexuelle, quelle a été votre force de guérison?
Absolument ! On trouve plein d’informations sur les conséquences de l’abus, le mode de fonctionnement d’un pédophile, les réactions du corps quand on vit un abus, mais malheureusement très peu sur la possibilité de se libérer entièrement du traumatisme.
Vivre un abus est une expérience qui ne nous laisse pas indifférents en effet, c’est le moins que l’on puisse dire. Choisir de faire face aux retours des souvenirs est déjà un premier pas vers la guérison. En parler, dénoncer, est un premier pas vers la liberté.
Reconnaître tous les mécanismes que mon corps a mis en place pour me protéger. Reconnaître la résilience dont j’ai fait preuve. Choisir de me rendre le plus vulnérable possible et d’avoir de la bienveillance envers moi-même a aussi beaucoup contribué à ma reconstruction.
Je dirais que mon déclic a été de prendre conscience que le choix d’avancer (ou pas ) m’appartient entièrement. J’ai choisi de ne pas laisser cet abus me définir ou définir mon futur mais plutôt de reconnaître que c’est à moi et moi seule, grâce à mon choix, de me créer la vie qui me convient.
Autre chose en particulier, que vous auriez souhaité aborder?
C’est vrai que le corps se met en “mode survie” quand l’abus se produit, on apprend alors à fonctionner de la sorte dans tous les autres aspects de notre vie. Reconnaître ces mécanismes et surtout reconnaître qu’ils ont été utiles à un moment donné est très libérateur.
On peut cependant se poser la question : “Est-ce qu’il m’est encore bénéfique de survivre aujourd’hui ?” N’est-il pas plus excitant de vivre pleinement sa vie plutôt que de s’accrocher à notre mode de survie ?
En vous dévoilant, n’avez-vous pas peur de représailles, ou est-ce une renaissance ?
C’est vrai que se mettre en avant n’est pas toujours très confortable. Mais j’ai aussi réalisé que c’est dans l’inconfort que l’on crée le plus. Je pense que de se permettre de se rendre
vulnérables et d’être pleinement qui nous sommes peut être une invitation pour d’autre à l’être aussi.
Je parle beaucoup de vulnérabilité dans mon livre, choisir de se rendre vulnérable face à
soi avant tout. Nous nous détournons des choses, mais si nous étions prêts à faire un pas de plus vers cela, nous découvrirons que c’est là que la liberté existe.
On vit dans une société qui n’est plus en capacité de donner justice, et, aux victimes, on les contraint souvent à n’avoir d’autres choix que d’oublier et de pardonner. Vous répondez quoi ?
Je pense qu’il existe une multitude d’autres choix que ceux que l’on nous impose. J’ai vraiment la conviction que chacun peut trouver ce qui fonctionne pour lui.
Comment Valentine recompose avec son quotidien, surtout que vous attendez un heureux évènement?
Oui, Valentine crée sa vie (rires)! Je suis mariée et heureuse maman d’une petite fille (sa petite sœur arrive bientôt).
Pensez-vous que le 7 septembre, au Caudan Arts Centre, ce sera un moyen de rassembler d’autres femmes qui, grâce à votre livre, se sentiront libérées de voir que quelque part ‘on peut s’en sortir, pourquoi pas elles’ ?
Tout à fait ! Mais mon livre n’est pas destiné qu’aux femmes. Je pense, et j’espère, que chaque personne qui le lira pourra déjà s’ouvrir à cette nouvelle perspective, la perspective d’un avenir où le choix de se défaire de l’abus qu’ils ont vécu puisse exister.
Quel sera votre état d’esprit face au lancement de votre livre Abusé(e) et après? mercredi prochain en présence de ceux qui seront là pour vous écouter?
J’ai très hâte d’y être ! Ce projet d’écriture a commencé en juin 2021, le manuscrit a été bouclé en octobre de la même année. C’est donc aujourd’hui très satisfaisant de finalement pouvoir tenir ce livre entre mes mains. Il est déjà accessible en librairie.
Le lancement au Caudan Arts Centre sera une opportunité pour approfondir les idées générales développées au fil des cinq chapitres. L’entrée est gratuite, l’invitation est lancée à tout le monde. Il y aura l’intervention de Daphné Amaya, praticienne en danse mouvement thérapie ainsi que celle de Zoé Rozar, sexologue.
J’ai souhaité profiter de cette opportunité pour mettre en lumière toute la résilience dont fait preuve notre corps. Ce sera une soirée de célébration et d’information.