Jocelyn Kwok de l’AHRIM : « Il faudra plus de sièges d’avion pour atteindre les 1,4 millions »

Week-End a sollicité Jocelyn Kwok, CEO de l’Association of Hôteliers and Restaurants in Mauritius (AHRIM), pour donner son avis, ses satisfactions et appréhensions après ce premier semestre qui s’annonce encourageant à la suite de la publication par Statistics Mauritius des premiers chiffres de l’année 2022 suivant l’ouverture totale des frontières depuis octobre dernier.

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Le premier argument fort souligné par Jocelyn Kwok est qu’il faut augmenter la connectivité aérienne pour atteindre les objectifs de 1,4 million de touristes fixés par les acteurs de l’industrie et les pouvoirs publics. Il dit sa satisfaction pour les pics d’avril et de juillet 2022, et affirme que l’industrie touristique est sur la reprise puisque les recettes du secteur se sont fortement améliorées avec les séjours allongés et les dépenses moyennes par nuitées. Cependant, le CEO de l’AHRIM ne cache pas ses inquiétudes sur la main-d’œuvre en net recul.

Les chiffres semestriels sur la performance de l’industrie touristique, rendus publics cette semaine, indiquent un taux de recouvrement de 58% des arrivées, par rapport à 2019 (tableau A). Estimez-vous que l’on puisse parler de “reprise” ?

Certainement. Après deux années de fermeture totale, oui, notre industrie touristique est définitivement sur la voie de la reprise. C’est la vitesse à laquelle la destination a pu rebondir en neuf mois et rattraper son retard qu’il faut voir dans ce chiffre. Il y a eu, depuis janvier, une progression stable avec des pics en avril (78% des arrivées de 2019) et en juillet (82%). Grâce aux efforts coûteux déployés de part et d’autre, nous sommes redevenus visibles sur le marché international des vacances. C’est une performance que nous réussissons, alors même que la connectivité aérienne n’a pas encore été pleinement rétablie et les activités de croisières n’ont pas encore repris. Ce n’était, donc, pas gagné d’avance et c’est certainement satisfaisant.

Mais ce taux de 58% pour le premier semestre appelle une autre analyse. Vous noterez qu’il correspond exactement au taux de sièges d’avions. Plus nous avons des sièges d’avion, plus nous avons des touristes. La reprise dépend de la connectivité, cela semble logique. Une connectivité réduite ou ralentie diminue nos chances d’une pleine reprise. Si nous voulons affiner la stratégie qui nous mènera vers cette pleine reprise, c’est à notre sens l’élément le plus important à retenir dans ce tableau de performance semestriel.

D’autant que les performances de nos voisins et concurrents que sont les Maldives et les Seychelles qui réussissent à attirer des touristes de toutes parts grâce surtout à leurs efforts au niveau de l’aérien, nous rappelle que nous devons absolument améliorer encore notre connectivité aérienne.

À voir les chiffres, la performance de juillet a nettement amélioré la moyenne du semestre, alors que nous sommes en basse saison. Comment expliquez-vous cette tendance ?   

La performance de juillet, qui a vu un sursaut dans les arrivées, est précisément l’illustration de cette corrélation entre la connectivité et les arrivées. Les chiffres de juillet, avec 31,000 touristes de plus, ont dépassé la tendance des mois précédents. Que s’est-il passé ? Les vols vers Maurice — notamment de Londres, Paris et La Réunion — ont été augmentés et Emirates s’est mis à opérer, au début de juillet, un deuxième vol quotidien. Avec 38,000 sièges d’avion supplémentaires entre juin et juillet, l’impact sur les arrivées a été immédiat.

J’insiste : pour atteindre l’objectif de 1,4 million de touristes pour la nouvelle année financière, la connectivité doit être pleinement rétablie. Il nous faut trouver encore des sièges d’avion desservant nos principaux marchés, mais surtout être connectée aux aéroports que nos touristes utilisent les plus. Les efforts de toutes les parties prenantes doivent rester convergents dans la réalisation de cet objectif commun.

Si l’aérien reste la priorité des priorités, y a-t-il des marchés qui pourraient nous sembler plus importants que d’autres ? Où doivent porter nos efforts ?

Le tableau sur la provenance des touristes (tableau B) est très révélateur des efforts supplémentaires à fournir. Si les conditions de marché le permettent, il faudra absolument augmenter les liaisons avec l’Allemagne, Dubaï et l’Inde, dont les résultats sont moyens. C’est d’autant plus nécessaire que le coût d’acquisition du touriste supplémentaire voyageant depuis l’Inde ou Dubaï devrait être nettement plus abordable pour Maurice. Londres et Paris sont quasiment parvenus à se recouvrir totalement, alors que les vols de Turkish Airlines, encore relativement jeunes, devront continuer à exploiter et faire matérialiser le plein potentiel d’Istanbul.

Il nous faut arrêter de penser uniquement en termes de “marchés”. En vérité, si une destination n’est pas d’abord attrayante pour les compagnies aériennes, elle peut faire tous les efforts possibles sur ses marchés-cibles, mais elle n’ira pas loin dans le développement de son tourisme. Ce qui veut dire que pour atteindre notre ambition de 1,4 millions de touristes fin juin 2023, il nous faut trouver des sièges d’avion desservant nos principaux marchés, mais aussi et surtout, quitte à le répéter, cibler les aéroports les plus utilisés.

Le ministre du Tourisme semble aussi souhaiter un retour des touristes réunionnais, dont le marché n’a pas forcément repris et pour qui, désormais, il n’y aura pas besoin de passeport pour venir à Maurice… Cette démarche sera-t-elle porteuse pour l’industrie ?

Oui, bien sûr ! En temps normal, il y avait déjà l’obstacle du passeport pour venir à Maurice (pour des raisons de coût essentiellement car non seulement les séjours ne sont pas très longs, mais aussi parce que les déplacements se font beaucoup en groupes). Après la crise Covid, les autorités françaises imposent un délai prolongé pour renouveler ou délivrer de nouveaux passeports. Avec cette mesure, les voyageurs réunionnais pourront mieux saisir l’occasion de voyager vers Maurice, que ce soit pendant des périodes de vacances ou lors d’opportunités de dernière minute. 

C’est clair que tous les opérateurs profiteront de cette mesure de relâchement. La contrainte du passeport affecte tous les voyageurs réunionnais, quel que soit leur profil. C’est connu que les touristes réunionnais ont un comportement différent ; ils séjournent moins longtemps et dépensent relativement moins en hébergement, mais plus sur les repas et boissons, shopping et activités. Logiquement, nos commerces et nos établissements, qui sont positionnés sur ce marché et qui ont déjà acquis leur réputation auprès des Réunionnais, bénéficieront davantage de cette mesure. Mais nous avons également vu la sophistication du marché réunionnais depuis un certain nombre d’années ; ce serait un peu réducteur de penser que ce marché ne concerne que les petits opérateurs. 

Si la priorité demeure la connectivité, il va sans dire qu’il faut aussi l’attractivité de la destination. Qu’avons-nous à offrir en 2022 qui nous démarquera de nos concurrents ?

Le défi reste national. Il faut pouvoir se détacher de l’idée que le tourisme ne concerne que les hôtels. Il faut pouvoir transformer l’ensemble du pays en destination touristique forte et compétitive, accueillante et disposant de toute l’infrastructure nécessaire et d’une offre d’activités qui dynamise la population locale. Les visiteurs ne demandent que cela ; suivre les locaux dans ce que ceux-ci font de mieux. Tout ce que Maurice a à offrir dépasse largement ce que nos concurrents de l’océan Indien peuvent proposer. Et pourtant, nous n’en parlons pas assez et les attractivités en question, notamment celles tombant sous la responsabilité des autorités publiques, ont besoin de ressources pour se maintenir, pour rester à la page du tourisme moderne, qu’il soit local ou étranger.

Nous devons hisser l’ensemble de nos offres et nous approcher des attentes de nos clients. Et il n’y aura pas de miracle. Il faut commencer par facturer les entrées et proposer le minimum de confort aux visiteurs – carte ou guide de l’attraction, interactions avec des guides conférenciers, facilités de base telles que toilettes, cafés, boutiques, etc. et, surtout, déclencher un attachement pour que chaque visiteur puisse en reparler à son entourage. Il y a beaucoup de travail à poursuivre, mais il reste à notre portée. Il n’y a qu’à voir ce que les attractions privées de Maurice peuvent proposer : elles sont clairement une meilleure illustration de notre potentiel et de notre savoir-faire.

Quel autre élément faut-il retenir de ce premier semestre ? 

Les recettes du secteur se sont fortement améliorées. Cela est attribuable à des durées de séjour plus longues, mais aussi et surtout, à une dépense moyenne par nuitée touristique nettement supérieure (+23%). Nous devons, cependant, lire cette progression de manière plus complète et ne pas ignorer le fait que la roupie s’est aussi affaiblie face aux principales devises étrangères.

Les hôtels sont en progression et devraient, sauf imprévu, entrevoir une sortie de crise dès la prochaine saison haute. Même s’ils ne représentent aujourd’hui qu’environ 65% des nuitées touristiques, ils restent la locomotive du secteur.

Mais cette reprise reste inégale! Les petits opérateurs peinent à recouvrer…

Nous n’avons malheureusement aucune indication claire de la performance des autres opérateurs du secteur, c’est-à-dire, l’hébergement hors hôtel et tous les autres. Mais l’AHRIM est tout à fait consciente que la reprise est plus lente pour eux, et nous restons préoccupés par leur situation. Nous avons pu les soulager en obtenant auprès des autorités, pour eux comme pour les autres, l’exemption du bail industriel et une nouvelle échéance de paiement en fin de période, ce qui a effectivement résulté en deux années de soulagement.

L’une des principales explications à ce décalage reste clairement le prix élevé du billet d’avion. C’est ce qui ralentit la reprise pour les petits opérateurs. Notre situation géographique ne nous permet pas d’offrir des billets d’avion moins chers que nos concurrents. Là encore, la question de la connectivité se pose. Économiquement, si nous augmentons le trafic aérien de manière substantielle, le prix du billet doit baisser. Ce n’es,t certes, pas simple. Le trafic aérien du pays est intimement lié à une multitude d’éléments. Il reste qu’une augmentation significative du trafic est la clé pour que tous les opérateurs en profitent équitablement et que Maurice passe à la prochaine phase de son tourisme.

Quels sont les autres facteurs nécessaires à une reprise réussie ? 

Il y a certainement l’environnement économique, qui reste difficile. Des incertitudes subsistent au niveau du mood des voyageurs, leur envie et leur capacité de voyager, alors que leur pouvoir d’achat est fragilisé. Côté opérateurs locaux, la rentabilité est un défi de tous les jours. Les recettes en roupies courantes se sont certes améliorées, mais elles sont vite absorbées par les coûts d’opération qui n’arrêtent pas de grimper. Le plus gros problème reste, toutefois, la main-d’œuvre.

Le secteur a perdu 4,400 personnes en un an (mars 2020-2021). 78% de ces personnes étaient des employés d’hôtels. Les chiffres pour l’année 2022 ne sont pas disponibles, mais il est probable que la situation se soit encore aggravée. C’est extrêmement inquiétant. Et il n’y a pas à sortir de là : si le problème de main d’œuvre n’est pas géré tout de suite et avec l’urgence qui s’impose, nous ne pourrons réussir pleinement la prochaine haute saison et, par extension, atteindre nos objectifs nationaux de croissance économique. Cela impactera inévitablement la capacité d’accueil dans nos hôtels, mais aussi le niveau de service car le ratio staff : clients est difficilement respecté.

Comment gérer ce problème ?

La posture de l’industrie reste la même : ramener les jeunes vers l’hôtellerie et, surtout, leur transmettre la passion de ce métier qui passe par une nouvelle école hôtelière, qui devrait être un centre d’excellence pour la région, adaptée aux besoins du nouveau voyageur. C’est une priorité pour nous parce que la qualité du service est ce qui fait notre différence, notre force.

Parallèlement à une stratégie de reconquête des jeunes, il sera inévitable de s’ouvrir à la main-d’œuvre étrangère pour certains métiers techniques. Les hôtels ont besoin de ces travailleurs pour se stabiliser et assurer la continuité de leurs opérations. L’AHRIM croit fortement que le succès futur de notre industrie reposera sur une complémentarité entre une main-d’œuvre locale de qualité et des techniciens étrangers formés.

Nous avons formulé des demandes nous permettant d’avoir recours de manière temporaire à la main d’œuvre étrangère et nous espérons que les autorités agiront rapidement. Nous avons proposé notamment le ratio d’un étranger autorisé pour trois locaux employés de manière permanente, une mesure qui serait à l’essai pour une période déterminée. Avec les autorités, nous pourrions établir une liste d’une dizaine de métiers où la pénurie est aiguë. Plus largement, un plan d’action sur l’emploi, la formation, la migration circulaire et l’emploi dans le secteur des croisières et autres secteurs concurrents s’avère nécessaire, à notre sens.

Il faut comprendre que notre industrie n’est pas la seule à subir cette pénurie. Partout, l’hôtellerie doit gérer la mobilité accrue de sa main d’œuvre et un taux de démission élevé. Nous devons, donc, accepter de changer de modèle : la particularité de l’hospitalité mauricienne – l’accueil, le sourire, la facilité relationnelle – ne devrait pas être un obstacle à une politique nationale d’emploi de la main-d’œuvre étrangère.

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