Nando Bodha, leader du RM : « C’est le peuple qui décidera qui sera le futur PM de Maurice »

Notre invité de ce dimanche est Nando Bodha, leader du Rassemblement Mauricien (RM). Dans l’interview, réalisée vendredi après-midi, il réagit à l’annonce d’une alliance des partis d’opposition pour les municipales et partage son analyse sur la situation politique.

O Sans vouloir jeter de l’huile sur le feu de l’alliance PTr /MMM /PMSD qui vient de se constituer, on peut dire que votre RM a été traité de façon cavalière. Vous n’avez pas été invité à la réunion des leaders, mais on fait savoir que vous en faisiez partie.
— Mais de quelle alliance est-on en train de parler ? Il existe l’Entente de l’Espoir avec le MMM, le PMSD et le RM, sans le Reform Party qui vient de se retirer. Le PTr n’en fait pas partie. C’est une structure qui a bien marché, nous avons travaillé ensemble au Parlement, dans les conférences de presse et dans certains congrès. Depuis les élections, les Mauriciens souhaitent un rassemblement des forces de l’opposition autour d’un projet de société, pour un changement en profondeur et un engagement des dirigeants politiques pour que ce projet soit mis en pratique. Il y a toujours eu des discussions en ce sens entre Bérenger, Duval et Ramgoolam. Je n’ai jamais participé à ces réunions, mais Paul Bérenger m’a toujours fait un résumé de ce qui avait été discuté mais qui, il faut le souligner, n’avait jamais été finalisé.

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O Vous étiez considéré comme un cousin éloigné, pas comme un partenaire ?
— Pour moi, le rassemblement des forces de l’opposition devrait se faire autour de l’Entente de l’Espoir. Il a toujours été considéré que nous devrions avoir le soutien du PTr, un parti historique avec un électorat important, mais à quel prix et à quelles conditions ? C’est la grande question. Il y a eu, mardi dernier, la déclaration d’Arvind Boolell annonçant l’alliance et incluant le RM pour les municipales. Comme cela a été souligné dans le communiqué émis par le Rassemblement Mauricien, par la suite, nous avons été mis devant un fait accompli par les déclarations d’Arvin Boolell. Je redis que je n’ai participé à aucune discussion d’alliance avec le Parti Travailliste.
O Le communiqué disait aussi qu’il avait, par rapport à cette annonce d’alliance, « des réserves et de profonds désaccords ». Quels sont-ils ?
— Ils ne datent pas d’aujourd’hui. Ils sont liés au projet de société, fondamental et sacré, qui doit nous mener vers une nouvelle île Maurice, après 50 ans d’Indépendance. Il faut que nous allions vers ce que demande la population aujourd’hui : la fin de la crise économique, sociale, institutionnelle et morale que nous subissons. Il faut faire une alliance solide dans la durée capable de gagner les élections, mais surtout de diriger le pays après. J’ai des réserves sur certaines questions.
O Puisque ces questions n’ont pas été résolues, on peut dire que les fondements même de l’alliance de l’opposition n’ont pas encore été posés !?
— Je ne vous le fais pas dire ! La preuve est qu’Arvind Boolell a annoncé le principe – je souligne le mot principe – d’aller ensemble aux municipales et la constitution d’une équipe pour travailler sur le projet de société. Donc, tout reste à faire.
O Est-ce que vous réalisez que cette énième dissension de l’opposition fera le bonheur du MSM et du gouvernement ?
— Je ne suis pas responsable de cette situation. Le RM n’a fait que rectifier et clarifier les choses par rapport à la déclaration d’Arvind Boolell.
O Le fait que vous ne soyez pas invité à ces réunions de leaders réside dans ce qui semble être un problème entre vous et Navin Ramgoolam. Est-ce que le problème repose sur le fait que lui et vous appartenez, avec Pravind Jugnauth, à la caste dont, à part une notable exception, on fait les Premiers ministres à Maurice ?
— Je pense que l’île Maurice mérite un Premier ministre qui peut deliver et rassembler l’ensemble de la population, pas seulement une ou quelques castes. L’important pour moi est de trouver un Premier ministre qui peut rassembler autour de lui, pour mener à la victoire électorale et surtout diriger le pays après. Parce que c’est l’après élection qui sera important.
O Valeur du jour pour vous, Navin Ramgoolam ne répond pas aux critères que vous venez d’énumérer ?
— Il y a dans le pays un grand cri pour un changement mais, en même temps, dans ce cri, on n’a entendu ni Navin, ni Pravind…
O …je ne crois pas avoir entendu non à Pravind et à Navin, mais oui à Nando !
— Je n’ai jamais dit ça. En tout cas, la question a été évoquée bien souvent, ces temps derniers. Valeur du jour, je ne suis pas sûr qu’une alliance des forces de l’opposition avec Navin Ramgoolam à sa tête peut remporter les prochaines élections. On ne peut pas affronter l’avenir avec les recettes du passé. Quand j’ai démissionné du gouvernement et du MSM, j’ai crée un parti, recruté des gens qui n’ont jamais fait de politique pour apporter du sang neuf. Et puis, j’ai commencé un pèlerinage dans le pays qui m’a amené dans une série de circonscriptions…
O …principalement dans ce que l’on appelle, dans le langage électoraliste mauricien, le hindu belt, les circonscriptions 4 à 14.
— Pas que. Et j’aimerais plus tard dire un mot sur le hindu belt. Je fais ce pèlerinage pour mettre en place les structures et le réseau du RM dans toutes les circonscriptions du pays pour terminer par un rassemblement national en octobre.
O Autrement dit, vous êtes en train de vous préparer à faire cavalier seul aux prochaines élections ?
— Je pense que l’Entente de l’Espoir peut rassembler toutes les forces de l’opposition et j’ai travaillé pour cela depuis des mois. Ceux avec qui j’ai travaillé dans cette structure ont créé une belle synergie et j’ai foi dans son avenir. Mais si demain, pour X raisons, l’alliance de l’opposition ne se fait pas, je devrais pouvoir présenter une équipe compétente avec un projet de société au pays…
O …avec vous comme Premier ministre…
— Ce sera au parti d’en décider.
O Vous pensez que dans le contexte électoral mauricien actuel, on peut faire une alliance de l’opposition pour gagner les élections, sans le PTr ?!
— Une bataille à trois avec l’Entente de l’Espoir – composé déjà du MMM, du PMSD et du RM –, le MSM et le PTr est toujours possible. Un rassemblement dans les meilleures conditions peut aussi se faire.
O Vous l’avez répété : le peuple souhaite la réunification des forces de l’opposition. Est-ce que vous réalisez que ce qui est en train de se passer dans l’opposition, ce que vous êtes en train de dire, ne va pas du tout dans cette direction ?
— Il y a un souhait unanime que ce gouvernement – qui a fait beaucoup de tort au pays et le mène à la catastrophe – s’en aille. La question pour moi est : il faut déboulonner Pravind Jugnauth, mais après ? Il faut mettre en place un gouvernement avec un projet de société qui va dans l’esprit de ce que souhaite la population et surtout DURER et RÉUSSIR. Il faudra gouverner le pays, régler les problèmes, trouver des solutions, et ce ne sera pas évident. C’est sur ça qu’il faut travailler.
O Il me semble que, pour dire le moins, les partis de l’opposition tournent en rond entre l’alliance, l’Entente et les autres.
— Moi, je suis très clair dans ma démarche et le projet de société rejoint, il me semble, ce que veulent les autres partis. Tout cela est calqué sur les exigences du peuple qui veut la méritocratie, l’intégrité, la compétence, « the right persons in the right places » dans les institutions, et l’exemple qui vient d’en haut.
O La presse de ce vendredi révèle que la fameuse lettre anonyme que le PM a montrée au Parlement pour révoquer l’ex-Présidente de la République aurait été rédigée par un de ses supers conseillers. En tant que ministre à l’époque, étiez-vous au courant de ce qu’il faut bien appeler une manipulation au sommet de l’État ?
— Absolument pas. Mais ce dont j’étais au courant – et c’est l’une des raisons de ma démission –, c’était la mise en place d’un système machiavélique. Un système cadenassé pour faire de sorte qu’on puisse utiliser les institutions pour faire exécuter certaines choses, avoir certaines faveurs et renforcer la main-mise de l’État/parti à chaque nouvelle nomination.
O Ces pratiques n’existaient pas du temps de SAJ ? 
— Non. Du temps de SAJ, les institutions et le système de cheek and balances fonctionnaient encore. Depuis que Pravind Jugnauth est arrivé au poste de Premier ministre, en 2017, il y a eu une main-mise sur les institutions et on s’est débarrassé de tous ceux qui avaient travaillé avec SAJ, comme moi. Ce que j’ai vu et ce que j’en sais, c’est que cette main-mise des institutions était à deux niveaux : les grands contrats et le recrutement. Aujourd’hui, la corruption se trouve dans les contrats publics, dont les budgets sont attribués et surveillés par des institutions où siègent les nominés proches du gouvernement. Le système est entièrement contrôlé et rapporte gros à ceux qui l’ont mis en place et le font fonctionner.
O Vous n’avez pas été très présent pendant le question time du Parlement…
— Détrompez-vous. J’ai envoyé beaucoup de questions mais avec le tirage au sort, certaines n’ont jamais été retenues. Par ailleurs, vous avez maintenant un PM qui prend pratiquement tout le temps du question time pour répondre à une seule interpellation. Cela lui évite de répondre aux suivantes, surtout quand elles sont embarrassantes. C’est ainsi que ma question sur les noms, qualités et compagnie des trois techniciens indiens qui avaient fait le survey à Baie du Jacotet n’a pas été répondu. Et puis, on m’a mis dans le poulailler de sorte que l’on ne me voit jamais à la télévision lors du question time. Je ne parle pas des conférences de presse du RM !
O Quand il a démissionné de MT, M. Sherry Singh annonçait un tsunami et, depuis cette semaine, une cyclone politique de classe 4. Faut-il croire aux précisions météorologico-politiques de celui que vous avez forcement côtoyé quand vous étiez au gouvernement ?
— J’ai souvent dit que j’ai toujours été dans le salon où étaient les gens proches de SAJ, alors que dans la kwizinn se trouvaient les proches de Pravind et de Kobita Jugnauth, dont Sherry Singh à l’époque. Il n’y a jamais eu d’atomes crochus ou de synergie entre lui et moi. J’ai beaucoup de réserves concernant les déclarations et alertes de Sherry Singh. J’ai été étonné qu’après ses déclarations fracassantes, le « whistle blower » qu’il dit être a décidé de ne plus parler qu’en Cour. Il a fourni un certain nombre de détails, c’est vrai, mais il faut des vérifications. C’est pourquoi j’avais posé ma question parlementaire sur les noms et qualités des experts indiens et s’ils avaient soumis un rapport ? J’avais aussi demandé de quel ministère ou institution ils dépendaient et si le rapport fait après le survey était destiné au PM mauricien avec copie à son homologue indien, ou si la rapport était adressé à M. Narendra Modi avec copie à Pravind Jugnauth.
O Vous ne craignez pas qu’en posant cette question, on vous classe dans les rangs de ceux qui veulent faire de l’hindu bashing ?
— Je pense que la vérité sur cette affaire devrait être connue des Mauriciens, que ce soit du côté de la Nouvelle-Delhi ou de Port-Louis. Le PM doit la vérité aux Mauriciens : qu’il rende public le rapport des experts indiens.
O Puisque nous avons évoqué le hindu bashing, revenons sur le hindu belt électoral sur lequel vous disiez avoir un point à faire.
— Le hindu belt est un mythe électoral qui prétend que pour remporter les circonscriptions 4 à 14, on doit pratiquer une certaine politique. Mais les habitants de ces circonscriptions ont les mêmes problèmes que tous les autres Mauriciens : les prix de leurs commissions augmentent de la même manière, comme le chômage ou le manque de ressources.
O Sauf que le PM fera sa campagne d’explication en priorité dans les circonscriptions du hindu belt.
— C’est une erreur. Quand on a remporté les élections en 2019 avec 37% des voix, qu’on a gagné dans certaines circonscriptions avec seulement quelques centaines de voix d’écart, le premier geste d’un PM qui a à cœur l’intérêt du pays aurait dû avoir été de rassembler, de s’ouvrir pour faire augmenter les 37%. Pravind Jugnauth a fait le contraire : il s’est replié sur son électorat de base et fait tout pour le courtiser, en pensant que l’opposition sera divisée, mais les choses  changeront d’ici les prochaines élections. Elles ont déjà changé : il y a une forte opposition extra-parlementaire et pas mal de nouveaux petits partis. Auparavant, deux-tiers de la population avaient, pour diverses raisons, une allégeance aux partis politiques traditionnels et le 3e tiers faisait son choix la veille des élections. Ce n’est plus la même situation.
O Les derniers sondages révèlent qu’il y a 33% d’électeurs qui ne se retrouvent pas dans un parti politique.
— Je pense que le nombre est beaucoup plus élevé et qu’au moins la moitié de la population n’a pas d’adhésion politique, sans compter les jeunes. Cet électorat, qui n’est pas politisé, a un rejet de la politique, de la classe politique et de certaines pratiques électorales. C’est pour répondre à ces rejets qu’il faut que les partis de l’opposition travaillent sur un projet de société qui permettra au peuple de retrouver confiance dans la politique et les politiciens. Le peuple réclame des solutions pour améliorer le fonctionnement du pays, améliorer ses conditions de vie, que les institutions soient respectables et respectées, et que la démocratie soit pratiquée. C’est sur ces sujets qu’il faut réfléchir et travailler, au lieu de se focaliser sur le nombre de tickets et de postes à distribuer !
O Les partis traditionnels de l’opposition ne semblent pas arriver à s’entendre sur ces questions fondamentales et Sherry Singh évoque la création d’une 3e voie. Est-ce que cette éventualité vous interpelle ?
— La situation politique est la suivante : il y a les partis mainstream qui sont au Parlement ; dans la rue, il y a des partis politiques extra-parlementaires et la société civile. Auparavant, la politique était dominée par les partis mainstream, ce qui n’est plus le cas aujourd’hui. Les deux dernières grandes manifestations populaires n’ont pas été organisées par les partis traditionnels, mais par des personnes de la société civile. La seule chose qui puisse fédérer les partis politiques et la société civile est un projet de société pour des changements en profondeur. Il ne faut pas que l’unité se fasse de façon conjoncturelle, mais repose sur des bases solides.
O En bon politicien traditionnel, vous n’avez pas répondu à la question que je repose. Etes-vous partant pour une 3e voie avec Sherry Singh et, pourquoi pas, le Reform Party, les autres petits partis et Bruno Laurette ?
— Aujourd’hui, je suis dans l’Entente de l’Espoir qui discute de l’éventualité d’une alliance des forces de l’opposition. Si demain, je ne suis pas satisfait de l’alliance proposée, de son programme, de celui qui mènera cette alliance, je présenterai une véritable 3e alternative. Aujourd’hui, il y a une nébuleuse qu’il faut savoir cristalliser.
O Vous pensez être l’élément fédérateur capable de cristalliser la nébuleuse ?
— Je ferai tout pour essayer de le devenir. En attendant, je suis inquiet  par la situation économique et sociale. La dernière note de Moodys…
O …que le gouvernement présente comme une reconnaissance de ses efforts pour faire face à la crise économique…
— …est venue justement dire combien ce gouvernement est complètement à côté de la plaque. Et condamne sa politique qui consiste à dire que nous avons eu un problème de baisse de la croissance avec la pandémie qui justifie tout. C’est-à-dire : la dilapidation des réserves de la Banque de Maurice, du CEB et de la STC, de même que la dépréciation de la roupie. Nous sommes dans une situation économique catastrophique et le gouvernement n’a pas suivi les recommandations du FMI et de la Banque Mondiale, ce que Moodys est venu souligner. Il y a aujourd’hui à Maurice des familles – dans toutes les circonscriptions, y compris dans le hindu belt – qui vivent des situations tragiques. Nous sommes dans une situation sociale explosive. Il faut le répéter : Pravind Jugnauth est un véritable désastre pour Maurice !
O Un désastre auquel vous avez contribué puisque vous avez été un de ses ministres.
— Pendant que j’étais au gouvernement, j’ai fait ce que j’ai pu à mon niveau. Je n’ai jamais été membre de la kwizinn, ni mêlé aux grands scandales qui ont secoué le pays.
O Après avoir été ministre, vous êtes aujourd’hui leader d’un petit parti de l’opposition considéré par les grands partis comme un petit cousin éloigné. Est-ce que vous ne regrettez pas d’avoir quitté le MSM ?
— Pas une seule seconde ! Le MSM est un parti pourri et depuis que je l’ai quitté, il continue de plus belle dans cette voie.
O Qu’est-ce que vous espériez en quittant le MSM : que le peuple et les partis de l’opposition vous acclament comme le sauveur du pays ?
— Je n’ai jamais eu la prétention de pouvoir déclencher un tsunami ou des cyclones classe 4. C’était important pour moi de pouvoir quitter le MSM la tête haute. Au départ, je voulais donner un coup de main à gauche et à droite et après, j’ai réfléchi sur la situation de Maurice après 50 ans d’Indépendance. Je me suis dit qu’il fallait imaginer un projet de société qui retrouve les aspirations profondes des Mauriciens. Je suis en train de le faire et je crois qu’il est fondamental et sacré. Ce sera mon dernier mot.
O Permettez-moi une dernière question. Est-ce que tous les matins, en vous regardant dans la glace, vous vous dites : voilà le futur Premier ministre de Maurice ?
— Mais non. De toutes les façons, c’est le peuple qui décidera qui sera le futur Premier ministre de Maurice.

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