Accusé de fraude par l’ICAC : Le Français Guillaume Bornot retrouve sa liberté et son droit de voyager

— « Je me disais c’est un cauchemar, quand est-ce que ça va s’arrêter ? » raconte l’informaticien

— Les charges qui pesaient sur lui rayées jeudi dernier en cour

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Il peut enfin respirer et surtout s’envoler. D’ailleurs, la première chose qu’il a faite vendredi après-midi lors de son passage à Port-Louis, c’est de prendre un billet d’avion pour Paris où il retrouvera ses proches. Lui, c’est Guillaume Bornot, 37 ans, un Français resté bloqué à Maurice depuis l’année dernière. Non pas à cause du Covid, mais en raison d’une interdiction de quitter le territoire mauricien, son passeport ayant été retenu par les services de l’immigration du fait que pesait sur lui une accusation de fraude et de détournements de fonds ($ 120 000). Jeudi, après plusieurs mois cauchemardesques, Guillaume Bornot a vu cette accusation rayée en cour. Un véritable soulagement pour cet informaticien, qui garde cependant un amer goût que son nom a été mêlé et souillé dans une affaire frauduleuse qui a finalement été rayée après un an.

Passeport en main, Guillaume Bornot est empressé de réserver son billet pour la France. Cela fait six ans qu’il n’a pas vu sa famille. Au départ, c’était en raison de sa récente installation à Maurice. Il est arrivé avec sa petite famille en 2016 “pour un changement de vie”, dit-il. L’informaticien a décidé d’investir à Maurice, en opérant une société d’édition internet. C’est ainsi qu’après avoir déboursé l’équivalent de 200 000 dollars, il débarque à Maurice avec un permis d’investisseur et crée sa société, Web Innovation, en septembre 2016.

Virement de $135 000 vers Hong Kong

La société, basée à Ébène, n’a pas d’employés. C’est Guillaume Bornot qui s’occupe des travaux avec l’apport de temps à autre de free-lancers principalement pour écrire des articles. Avec sa petite famille, dont ses trois enfants, il se plaît à Maurice. “Le pays est charmant et le business commence à décoller. On a une petite clientèle. Tout semble aller bien, notre famille apprécie sa nouvelle vie”, se souvient-il. Jusqu’à ce fameux soir, le 23 octobre 2018, lorsqu’il constate, en se connectant au compte bancaire de son entreprise, un virement de $ 135 000 vers Hong Kong, sur le compte d’un Asiatique, qu’il ne connaît pas d’ailleurs. “C’est un choc, car il s’agit d’un virement que je n’ai ni initié ni signé, et je n’en ai été encore moins informé”, explique-t-il.

Il est 21h, se souvient l’informaticien abasourdi par ce transfert qui représente pratiquement tout le chiffre d’affaires de Web Innovation. Guillaume Bornot avertit immédiatement sa banque et laisse des messages pour informer les départements concernés de cette transaction qu’il estime suspecte. La management company qui s’occupe aussi des transactions de Web Innovation est notifiée de cette suspicion, mais la banque soutient avoir reçu des instructions de Guillaume Bornot pour faire cet important virement. “Même si je leur dis que je n’ai jamais donné d’instructions pour ce type de transaction, ils vérifient et indiquent que les instructions ont été données par email”, raconte le Français.

Cependant, après maintes vérifications, la banque finit par trouver que les instructions reçues ne venaient pas de Guillaume Bornot, mais d’une adresse email qui ressemblait à la sienne. Si un courriel est envoyé pour essayer de bloquer le transfert, l’argent était cependant déjà parti. Et le lendemain de cette découverte, Guillaume Bornot porte plainte au CCID à Port-Louis. Quelques jours plus tard cependant, soit le 29 octobre, les fonds sont retournés sur le compte de l’entreprise. “Je suis soulagé, mais quelque part inquiet pour la suite. Raison pour laquelle je décide de me défaire de la management company qui s’occupait de nos comptes, estimant qu’elle n’avait pas été assez vigilante”.

Si cet épisode est traumatisant pour Guillaume Bornot, qui se rend tout de même à la police de Rivière Noire pour notifier que sa société avait bien retrouvé ses fonds, les choses reprennent lentement leur cours jusqu’en 2021, lorsque le Français reçoit un coup de fil qui annoncera le début d’un nouveau cauchemar. « Il était aux alentours de midi lorsque quelqu’un se présentant comme étant du Passport & Immigration Office (PIO) me dit qu’il aurait besoin que je donne mon adresse mise à jour, car c’est la procédure », se souvient l’informaticien. S’il trouve cette démarche curieuse, il s’exécute tout de même et fournit son adresse à Plantation Marguerite, Rivière Noire. « La personne raccroche, mais rappelle une heure plus tard pour me demander : c’est où exactement, car il n’y a pas le numéro de la maison dans l’adresse que j’ai donnée », poursuit Guillaume, expliquant que loin de se douter ce qui allait se passer, avoir à nouveau indiqué que son domicile n’était pas numéroté.

Sept agents

de l’ICAC

Il est 14h lorsqu’on sonne à la porte chez lui. Si entre-temps Guillaume Bornot a appelé le PIO pour s’enquérir si effectivement l’institution avait besoin d’informations concernant son adresse et qu’on lui répond par la négative, il va tout de même ouvrir à ceux qui le frappent à sa porte. Et là, c’est le choc. Il se retrouve devant sept personnes qui se présentent comme des agents de l’ICAC. « Et ils me disent qu’ils ont un mandat de perquisition », raconte le Français à qui on demande de signer un document.

Paniqué, Guillaume Bornot, qui ne comprend pas ce qui arrive, appelle son avocat, qui l’avait accompagné d’ailleurs lorsque le compte de sa compagnie avait été piraté en 2019. L’avocat lui demande de coopérer et Guillaume Bornot laisse faire les agents qui recherchent, disent-ils, son ordinateur et son téléphone. « Comme je n’avais rien à cacher, je les laisse faire, même si c’est une expérience très désagréable », se souvient l’informaticien. Les agents de l’ICAC prennent les équipements qu’ils sont venus chercher et invitent le Français à les suivre. « Cela ressemble à une obligation sans en être vraiment une. Je suis perdu, mais je m’exécute et suis les agents dans ma voiture accompagné du chef inspecteur », raconte-t-il.

« La route vers Réduit me semble longue, et la conversation avec l’inspecteur aussi. Ce dernier m’explique que je suis accusé d’avoir volé 3,6 M de dollars ! » dit Guillaume Bornot, qui n’en revient pas. Dans les locaux de l’ICAC, on lui fait comprendre « qu’ils savent que c’est moi et que je ne vais pas m’en tirer et même que je vais passer deux nuits à Réduit, car ils ne peuvent pas me laisser partir, au risque que je supprime les preuves », poursuit l’informaticien. Mais après deux heures d’interrogatoire, il est autorisé à rentrer chez lui, non sans avoir été mis sous une charge de détournement de 120 000 dollars. Débutent alors ses péripéties avec la justice.

« Intention manifeste

de me nuire »

Lorsque Guillaume Bornot passe en cour de Bambous le lendemain, il s’avère qu’il y a plein de journalistes présents. « Je ressens une intention manifeste de me nuire et les articles paraissent dans la foulée, deux heures après l’audience à la cour de Bambous », confie-t-il. Et de poursuivre : « La magistrate, sans même qu’à aucun moment je puisse avoir la parole, dit : remise en liberté sous caution de Rs 75-80 000 et reconnaissance de dettes. » Un ami lui règle la caution et Guillaume Bornot peut rentrer chez lui « libre ». Libre, mais terrifié et traumatisé. La magistrate fixe la prochaine audience à mars 2022. Et il est interdit à Guillaume Bornot de quitter le territoire mauricien. On lui prend son passeport.

« Je me disais mais c’est un cauchemar, quand est-ce que ça va s’arrêter. On entend ici et là des histoires qui durent des années, il faut des contacts etc. Les gens disent oui il y a untel qui a eu une histoire similaire, il n’a pas eu de passeport pendant deux ans… », raconte le Français, qui quitte la Cour de Bambous en apprenant qu’il sera régulièrement convoqué à l’ICAC dans le cadre de cette enquête.

Effectivement, il a eu plusieurs auditions à l’ICAC. « Je me souviens d’une fois où j’ai été interrogé. C’était le 29 décembre et j’étais accompagné de mon avocat, et à l’ICAC, ils nous montrent un rapport d’un expert malaisien qui a été payé par la management company dont les clients ont été victimes, comme moi en 2018. Selon cet expert, il aurait trouvé un email dans lequel il y avait un PDF, lequel PDF comportait mon nom et mon prénom en tant qu’auteur, comme si c’était moi qui l’avais fait. Ce PDF aurait permis de subtiliser les signatures. Et c’est sur cette base (reasonable ground), que j’apprends que les enquêteurs de l’ICAC ont estimé que j’étais l’auteur de tout cela », dit-il.

Mais lors d’une prochaine comparution, les avocats de Guillaume Bornot font comprendre aux inspecteurs de l’ICAC et à la magistrate que le rapport de l’expert malaisien n’est pas indépendant et qu’ils ne peuvent pas se baser là-dessus pour accuser quelqu’un et le priver de sa liberté. Si bien que la magistrate demande aux enquêteurs de venir avec un dossier complet incluant les données de ce rapport pour éclaircir les choses correctement. « Et cinq semaines plus tard, en mai, le chef enquêteur de l’ICAC revient en cour en disant qu’effectivement l’institution et qu’elle va procéder au retrait des charges », raconte Guillaume Bornot, soulagé de la tournure des événements.

« White bashing »

« Le cauchemar n’a pas été facile à vivre. Même ma banque en France a fermé mon compte. Chaque semaine avait son lot de mauvaises nouvelles et de contraintes », dit l’informaticien. « Fort heureusement, j’avais un peu d’argent de côté pour vivre. Ils m’ont laissé quand même mon compte personnel mauricien. Aujourd’hui, la situation est de plus en plus critique, car on peut avoir des réserves, mais au bout de onze mois ça s’épuise », dit-il.

Jeudi dernier, c’est ainsi avec soulagement qu’il a appris que les charges contre lui étaient rayées. Cependant Guillaume Bornot se dit quelque part amer. « Pour l’instant, l’affaire est rayée, mais personne n’a dit désolé, on s’est trompé. Et ça n’arrivera pas », dit-il, s’estimant « clairement entaché » car cette affaire va sans doute le suivre pendant des mois, du fait que l’affaire a eu beaucoup d’échos à ses débuts dans la presse et sur les réseaux sociaux, avec le nom de Guillaume Bornot maintes fois cité. Mais il reste tout de même optimiste que cette affaire sera aussi, dans quelques mois, derrière lui. Pour l’instant, son seul souhait est de retrouver ses proches en France. Et s’il a perçu à un moment une certaine forme de racisme, « de white bashing comme ils disent », dans la presse qui parlait, en citant son affaire « du Français », il garde tout de même énormément de bons souvenirs de Maurice. « Le pays est beau, les gens sont sympas, mais je n’avais pas conscience que ce genre d’histoire pouvait arriver. Au-delà de ça, ce sont des dysfonctionnements de la justice à Maurice qui m’interpellent », dit-il.

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