Tico, le cordonnier : « Un métier de main, c’est l’avenir de demain »

Dans un atelier, rue l’Agrément, Saint-Pierre, un sexagénaire répare des chaussures. Albertico Dache, Tico pour les intimes, se maintient en forme grâce à son métier. Après 55 ans ce domaine, il a réussi à se faire un nom. La cordonnerie, Albertico Dache, âgé de 66 ans, l’a apprise d’un de ses proches. La pandémie de Covid-19 a entraîné la chute de ses affaires, mais il reste confiant. Car même si le métier de cordonnier est en voie de disparition, tous seront unanimes, selon lui, à reconnaître « qu’un métier de main, c’est l’avenir de demain ». Ce métier lui a permis de construire sa maison et d’envoyer ses enfants évoluer dans la finance et le stylisme à l’étranger.

- Publicité -

Ne parlez surtout pas de retraite en présence de Tico, cela pourrait le bouleverser. L’homme aime sa profession qui le rassure, et surtout le contact humain. Il aime discuter avec ses clients, même si l’un d’entre eux lui a joué un mauvais tour en ne le payant pas le dû de son travail, soit la somme de Rs 300. « Il n’avait pas d’échange, il m’a tendu un billet de Rs 500. J’ai d’abord fouillé dans mon tiroir pour lui remettre les Rs 200 en oubliant d’encaisser les Rs 300. Il m’a remercié et ne m’a même pas fait part de mon oubli. Je n’ai pas été payé pour mon travail et le client, lui, a conservé ses Rs 500 avec en prime, Rs 200 de profit. »

Passé ce petit coup dur, Tico Dache est plutôt discret sur sa vie, mais confie qu’il est originaire de Port-Louis et résidait autrefois près du Champ-de-Mars. Il était un passionné de foot et s’était fait une entorse assez conséquente à l’un de ses pieds, ce qui l’a contraint à arrêter ses études en Form III, au collège Bhujoharry. Il n’a eu d’autre choix que de se trouver un métier et celui de cordonnier semblait lui coller à la peau.

Sa passion de gosse remonte à la surface et il se souvient de l’odeur du bon cuir lorsqu’il manipulait les chaussures. Aujourd’hui à 66 ans, il dit n’éprouver aucun regret et si la possibilité d’une deuxième vie était possible, il referait volontiers le même métier.

« Met paryaz ki kre pli zoli model »

L’école de la vie, il l’a apprise sur le tas, au milieu de différentes formes de chaussures. Capable de réaliser toutes sortes de réparations, il a toujours de bonnes astuces, Tico. Il a connu tous les effets modes des chaussures vintage, des bottes, des bottines, des talons carrés. Quand il se livre, il y a toujours dans sa voix, cette dose de bonne humeur qu’il parvient à distiller.

Sa longévité dans le métier prouve aujourd’hui qu’on peut survivre avec fierté, malgré les évolutions de la société et des styles de chaussures différentes. Il parle de dessin, se compare à un styliste, évoque la coupe des cuirs, etc.

Tico a aussi rêvé devant des modèles étrangers. Toutes sortent de modèles sont passées entre ses mains, ceux de haute couture aux plus basiques comme le tanga, les escarpins. Il dira au passage que ce métier artisanal exige des compétences et une créativité sans limite. Pour faire face à la concurrence industrielle, il fallait rivaliser d’imagination, et c’est avec ses yeux que Tico repérait les défauts. « Lontan nou ti met paryaz ki kre pli zoli model. Les premières chaussures étaient en carreau noir des années 75. Le patron qui m’avait confié cette tâche ne cessait de le répéter : “Li bien zoli.” Il y avait aussi des talons hauts pour hommes, l’époque des hippies. Les chanteurs comme Mike Brant, Cloclo avaient apporté une révélation au niveau de la mode des chaussures. » Un des outils qu’il aime le plus utiliser est l’alêne qui lui permet de réaliser des points de couture.

L’artisan confie que même s’il peut encore vivre de son métier, la cherté de la vie lui rappelle que les prix ont pris la tangente. « Lakord Rs 850. Difil sorti Rs 40 pou vinn Rs 60. » Il est très loin cette époque où à 17 ans, il a pris de l’emploi chez Shanghai Shoes, comme fabricant de chaussures avant de gravir les échelons comme cadre. Par la suite, autour de la vingtaine, il lance sa propre entreprise et finit par délaisser la région de Port-Louis pour celle de Saint-Pierre. Il lui a fallu des années de sacrifices pour devenir propriétaire de sa maison.

De l’éclat aux chaussures ternes

Lors de la causerie, un de ses fidèles clients débarque. Il s’agit de M. Pierre, il veut réparer les talons des chaussures rouges de sa fille et sa valise, Tico lui explique qu’il faut revenir le lendemain. La conversation s’engage entre nous, Tico et le client. M. Pierre relate : « J’habite Quatre-Bornes. Laba, kordonie tir ledan ar kokainn, isi Tico fer so metie bien, li kapav tir ledan san douler. » La comparaison est flagrante, tant M. Pierre se dit satisfait de revoir ses chaussures usées prendre de l’éclat une fois qu’elles sont réparées. Lui-même se souvient de ces nombreux lacets qu’il fallait pour ses chaussures et qu’il fallait refiler à son autre frère. « La vie était dure, les parents n’avaient pas les moyens. Il fallait partager ses chaussures. Moi, j’aimais les escarpins, il y a aussi eu des bottines, la tendance mode patte d’éléphant. Tico a de la patience, il sait redonner vie aux chaussures. »

La bénédiction, Tico le cordonnier la trouve auprès de ses clients qu’il a su fidéliser. « Dimoun pa pou vinn repar soulier avek serte lavi. Pourtan reparasion pli dirab. On n’a pas les matériaux nécessaires aussi, certains préfèrent acheter en lot. Il faut que les jeunes reprennent les rênes et sauvent ce métier traditionnel. La pandémie nous a montré qu’il fallait revenir aux traditions anciennes », insiste Tico.

Ce dernier trouve que les jeunes ont honte de s’embarquer dans cette filière dite de petits métiers. Lui-même ne peut assurer l’avenir de son échoppe de cordonnerie, ses enfants ayant préféré étudier les finances et le stylisme, pour un autre style de vie.

Tico, lui, n’en démord pas, personne ne le fera tirer sa révérence. D’ailleurs, il n’a rien jeté dans sa cordonnerie, la vieille machine de son grand-père trône toujours sur une table défraîchie, son humeur pétillante fait encore la joie de sa clientèle. Après tout, pourquoi changer puisqu’il est bien ainsi ? Chez lui, on ne raccroche pas aussi facilement. Son atelier étant devenu un lieu de rencontre, un pied-à-terre qui permet de trouver au final… chaussure à son pied.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour

- Publicité -