Mélanie Valère-Cicéron (présidente de Passerelle) : « Les femmes victimes de violence domestique se retrouvent SDF »

On les surnomme les femmes invisibles, car elles se cachent sur les bancs d’hôpitaux, à la plage, dans des parkings par peur d’agression. Ces femmes SDF, victimes de violence domestique, se sont retrouvées à la rue avant d’atterrir dans des abris de nuit. Selon Mélanie Valère-Cicéron, présidente de Passerelle, beaucoup de femmes victimes de violence domestique se retrouvent SDF et on n’en parle pas assez. Elle trouve qu’il est temps d’agir aux côtés de ces femmes pour qu’elles arrivent graduellement à rompre avec l’errance.

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Passerelle a vu le jour en 2015, suite à la rencontre de Mélanie Valère-Cicéron avec deux femmes sans abri. « La première cherchait de l’aide et s’est entendue dire : “Ou pa ankor gagn bate madam, nou pa pou kapav pran ou.” J’étais révoltée, car je pense que si une personne est victime de violence et qu’elle veut réagir avant l’issue fatale, il ne faut pas attendre qu’elle soit battue. »

Dane le deuxième cas, on a fait comprendre à la femme en quête d’aide qu’elle n’appartenait pas à la religion appropriée. « Cette femme devait passer la nuit sur un banc d’hôpital et j’ai décidé de l’accueillir chez moi pour la nuit car pour moi, il était impensable qu’elle dorme dans la rue avec son enfant. » De là est née l’idée de mettre en place Passerelle pour venir en aide aux victimes de violence domestique.

Mélanie se dit révoltée que les autorités concernées ne s’intéressent pas au sort des femmes SDF. Elle argue qu’il n’existe, de surcroît, aucune étude sociale pour déterminer les causes de cette augmentation du nombre de femmes au bord de la marginalité. Elle dira que dans la lutte contre la pauvreté sur le plan international, beaucoup de droits sociaux, économique et culturel sont évoqués, mais qu’à Maurice, des conventions sont signées sans une réelle maîtrise.

« Nous avons un système bureaucratique, qui n’aide pas les gens qui vivent dans la pauvreté. C’est un système qui favorise la masse, mais pas l’individualité. C’est difficile de sortir une femme de sa marginalité. À Passerelle, déjà, on apprend des autres professionnels et une des solutions est de se concentrer sur chaque personne, car chaque cas est différent », fait-elle valoir.

Selon la présidente de Passerelle, les femmes dans les abris viennent la plupart du temps avec une histoire de famille recomposée, de couple brisé, de relation quasi inexistante. Au lieu de faire entendre leurs voix, elles sont martelées de coups par leurs conjoints. Ce qui les pousse à se retrouver à la rue avec leurs enfants. Sans toit, ni nourriture, livrées au froid et à la merci des agressions. Elle évoque aussi la dignité de la femme qui doit garder une hygiène de vie appropriée dans la rue. « Certaines doivent se laver sous un pont, ou chez une connaissance. J’ai vu des mères habiller leurs enfants le matin pour aller à l’école avant de se retrouver dans la rue avec leur progéniture le soir pour dormir. »

D’après le constat de Mélanie Valère-Cicéron, les femmes SDF n’appréhendent pas l’espace public de la même façon que le ferait un homme par peur d’être agressées. « C’est un sujet dont on ne parle pas suffisamment. Pourtant, les observateurs et les travailleurs sociaux trouvent qu’il y a une augmentation de femmes SDF dans la rue, mais statistiquement il est difficile de dire le nombre. La raison est qu’elles se cachent dans des endroits où il y a du monde et se fondent dans la masse. Passerelle a fait une demande pour avoir une étude sociale à Maurice sur les femmes SDF. »

« Les centres d’accueil doivent rester des abris temporaires »

Mélanie Valère-Cicéron trouve que les centres d’accueil doivent rester des abris temporaires en urgence. « Une femme dans la rue, on l’accueille en urgence, mais c’est une solution temporaire, car ces personnes ont besoin d’un suivi social au quotidien. On ne résout pas le problème en se disant qu’il y a huit femmes à la rue et qu’on construit dix maisons, ce n’est pas une solution indiquée. Il faut un accompagnement. Beaucoup fuient les abris, en raison des règles collectives imposées. La personne qui vit dans la pauvreté est rabaissée, il n’y a pas de dignité humaine, pas de progrès de vie. La réalité est bien là sur le terrain. »
Autre constat de Mélanie Valère, il n’est pas toujours évident de comprendre la forme de violence que subit la femme. « C’est une violence difficile à comprendre, elle est à la fois psychologique et émotionnelle et conduit les gens à la rue, sans emploi pour faire vivre leurs enfants. Elles subissent une sorte de chantage émotionnel de leur bourreau. »

La présidente de Passerelle rappelle aussi qu’il y a une éducation à mettre en place par rapport à ces hommes violents. « Pendant le confinement, on a vu les cas en hausse de ces femmes victimes de leur bourreau. En plus, la violence que les femmes subissent est différente de celle des hommes, car elles sont aussi victimes d’agression sexuelle. »
Et Mélanie Valère de souligner les défis auxquels font face les gérants des centres : « Les abris ne sont pas des débarras, il y a toute la reconstruction de la femme à faire pour qu’elle retrouve cette estime de soi. Toute cette vie en collectivité n’aide pas. Parfois, certaines trouvent en la détérioration corporelle de leur corps une façon de se protéger, car si elles deviennent plus coquettes, plus féminines, il y a toujours cette peur de se retrouver à la rue. »

Il vaut mieux comprendre la problématique de la pauvreté à Maurice quand on parle des droits socio-économiques et culturels, car chaque cas est différent. Et il faudrait, note l’interlocutrice, se concentrer aujourd’hui sur les programmes de réhabilitation des hommes et ne pas attendre des cas de violence sur les femmes pour agir.

« C’est le vivre ensemble qui est important. Je suis très critique envers les autorités par rapport à la problématique des femmes SDF. Avant la CDU prenait l’enfant avec la mère et la laissait à la rue. Cela devrait être le dernier recours de séparer enfants et mère On a pu convaincre qu’on peut accueillir ces personnes, mais il faudrait aussi donner des moyens à ces femmes de retrouver une forme d’autonomie et leur permettre d’élever seules leurs enfants, sans avoir à se retrouver à la rue ou dans un shelter. »

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Paroles aux femmes de Passerelle Alison : « Li bate ziska kas mo liye »

À 21 ans, Alison, mère de quatre enfants (âgés d’un, de deux, trois ans et de deux mois), ressemble par sa fragilité et sa taille menue à une fille de 14 ans. Son univers a été fait de coups : « Li ti pe bat kout pie, kout pwin, bate ziska kas mo liye, mo kolonn vertebral finn deplase. »

Sa voix se perd dans un flot de souvenirs qu’elle veut absolument faire taire. Son copain a le même âge qu’elle, 21 ans. Ils se sont rencontrés à 14 ans, ont vécu leur première relation à 16 ans. Et, du coup, elle a enchaîné quatre grossesses, sans avoir eu le temps de se poser. Son compagnon a fait de la prison pour drogue. Alison raconte qu’il a même enlevé un de ses enfants à l’hôpital. « Sete pou tir vanzans. Li pa atak direk, li atake kan mo pa lor mo gard. »

Il lui a même expliqué en détail la manière dont il truciderait son nouveau copain, si jamais l’envie lui prenait d’aller voir ailleurs. Alison pardonne… Elle ne connaît pas la vie, n’a pas de boulot pour s’en sortir, juste un abri temporaire chez Passerelle. Alison voudrait une meilleure vie pour ses quatre enfants, mais craint pour sa fille, car dit-elle dehors, le danger guette.

Elle a connu la rue avec ses enfants, dormi sur le perron d’un restaurateur qui chaque matin se faisait un devoir de la nourrir ainsi que ses enfants. Alison veut une formation, un enseignement de vie, qui débouchera sur un travail et lui permettra de prodiguer une éducation à ses enfants, et surtout de les protéger des coups dont elle a été victime. « Violans finn amen mwa vinn SDF avan mo dekouver Passerelle. Bizin otorite apran nou dibout lor nou lipie, donn nou enn travay, enn twa pou nou kapav protez nou zanfan. »

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Agnelle : « Bizin aret guet dan retrovizer, nou pran nou lavi anmin »

Mariée depuis 12 ans, divorcée, mère de quatre enfants (âgés de 14, 9, 3 et 1 an), Agnelle vit la galère. « Ce sont les mensonges et l’infidélité qui m’ont lassée. Je lui ai parlé de séparation et de ma volonté d’avoir mes enfants sous ma garde. Le problème est que je n’avais alors jamais travaillé de ma vie. »

Agnelle raconte le choc subi lorsque sa propre mère a fait le choix que son mari reste dans la maison à son détriment. « Mo fami ti dan so lintere. Mo misie ena enn doub vizaz, soufrans la mwa ki kone. Mo tifi dir pa pou al ar so papa, mo mama dir mwa pa vinn divan so laport. Mo pa dakor mo zanfan dormi lor simin. Mo mama ress Barkly, Beau-Bassin. Se lakaz familial mo papa.»

Agnelle pousse ses interrogations plus loin : « Ziska zordi mo pa finn konpran kifer mo mari res dan lakaz. » Agnelle raconte avoir des difficultés à exprimer ses émotions depuis le décès de sa grand-mère l’an dernier. Son univers s’est, depuis, écroulé. Son ex-mari ne subvient plus aux besoins de deux enfants qui sont à sa charge. Le dernier, dit-elle, a un retard mental. Au départ, une amie a accepté de lui trouver un refuge et Agnelle a pris de l’emploi pour la première fois comme agent de sécurité.

Selon cette dernière, elle a connu la rue comme SDF, sous une boutique, sous le froid, avec deux enfants à sa charge. Agnelle relate que la police l’a qualifiée d’irresponsable. C’est ainsi qu’elle a été placée chez Passerelle. « J’ai un travail maintenant, et je suis à la recherche d’une maison qui mettra mes enfants à l’abri du danger, du froid et me permettra aussi de récupérer mes deux autres enfants auprès de mon mari. »
Le message qu’Agnelle veut faire passer à d’autres femmes dans la même situation qu’elle est de ne plus regarder dans le rétroviseur, mais d’avancer. « Passrel, se enn pon ki permet bane fam avanse. Si mo pa ti ekout konsey adrwat agoss, me dibout pou mo zanfan, mo ti pou lwin. Guet ou zanfan pa gagn manze, enn bel zafer ki kass leker enn mama. »

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Karen : « Le centre ou mes enfants »

À 30 ans avec cinq enfants à charge, Karen voulait continuer à vivre chez sa mère. Pour des raisons familiales et le caractère courroucé de son mari qui la battait pour un rien, Karen a fini par s’emmurer. Jusqu’au jour où sa fille a tout raconté à son enseignante, qui a vite fait de rapporter le cas à la Child Development Unit. Les trois enfants étant pour son mari, et ses deux filles pour deux compagnons différents, Karen raconte prendre des coups quand son mari est sous l’effet de l’alcool. « Je dois parfois me mettre au milieu de lui et de ma fille pour qu’elle ne reçoive pas les coups elle aussi. CDU inn dir mwa swa sant, swa perdi mo zanfan. »

Karen relate avoir été frappée avec une raquette. Et quand elle a voulu réagir, elle s’est retrouvée à terre. « Li pli gro, li tap pli for. Li ti pe fer santaz, mo ale, mo perdi mo bann zanfan. CDU kan finn apran monn gagn bate, li finn tir mwa. » Karen choisit alors de se réfugier chez Passerelles. «Isi mo zanfan korek, gagn manze. » Et d’ajouter que les autres femmes du centre qui se trouvent dans la même situation l’aident parfois en partageant ce qu’elles ont avec ses enfants.

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