Données personnelles: à qui profite la dématérialisation des tickets de caisse?

Dès 2023, il sera interdit aux commerçants de délivrer un ticket de caisse à leurs clients sauf demande explicite, afin de préserver la planète, au risque de les voir remplacés par leur version nu- mérique, bien plus gourmande en données person- nelles.

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Cette mesure de la loi “anti-gaspillage”, votée en 2020 en France, ouvre grand la porte à de nouvelles al- ternatives comme le ticket dématérialisé.

L’objectif affiché est celui de protéger l’environne- ment puisque qu’un ticket de caisse envoyé par mail réduirait le gaspillage de papier et d’eau. Même si, selon le collectif GreenIT, un ticket dématérialisé re- jetterait dans l’atmosphère 2 grammes d’équivalent Co2 de plus qu’un ticket imprimé, car sa transmis- sion et son stockage dans un centre de données sont coûteux en énergie.

Mais en filigrane les tic- kets dématérialisés sont une nouvelle opportunité de faire du “ciblage” grâce aux don- nées personnelles récoltées, craint Ralph Roggenbuck, juriste au Centre européen de la consommation.

Concrètement, le client en caisse pourra se voir proposer de donner ses coordonnées, son nom, son mail, voire son numéro de téléphone et son adresse, pour recevoir un récapitulatif de ses achats dans sa boîte mail ou sur son compte personnel dans chaque enseigne. En cas d’échange, ou pour retrouver une garantie, fini les piles de tickets de caisses décolorés, il n’aura plus qu’à le retrouver en quelques clics.

De nombreux grands dis- tributeurs comme Carrefour ou Système U le proposent déjà. D’ailleurs, 70% du chiffre d’affaires des en- seignes de l’alimentaire est déjà relié à des clients iden- tifiés grâce au système de fidélité, selon Jean-Michel Chanavas, délégué général de Mercatel, une association professionnelle spécialiste des questions liées au paie- ment.

“Aubaine formidable”

Une dizaine de jeunes entreprises y ont trouvé un nouveau créneau comme Limpidius, Zerosix, Yavin… Elles proposent à des com- merçants d’envoyer ces “tic- kets démat’” (dématérialisés) à leurs clients, en lien avec les logiciels de caisse, et parfois de concevoir leur mise en forme.

La loi anti-gaspillage est une “aubaine formidable” pour les commerçants, as- surent certaines de ces en- treprises intermédiaires sur leurs sites internet. Elles y vantent les mérites économiques et environ- nementaux de ces tickets numériques, mais aussi leur intérêt marketing, de façon “totalement décomplexée”, remarque Lionel Maugain, du magazine 60 Millions de consommateurs.

Les données récoltées lors de la transaction permettent aux commerçants d’enrichir leur “référentiel client”, une base de données pour mieux cibler leur clientèle.

Cette nouvelle pratique est un “motif génial” pour les professionnels de récolter l’adresse mail des personnes puisqu’elle va attirer “beau- coup plus de monde que la carte de fidélité”, assure Ralph Roggenbuck.

Juridiquement, ce recueil de données est légal. Le risque, c’est que le consente- ment des clients ne soit pas recueilli de façon claire. Pour qu’un commerçant profite de ces données pour un usage différent, pour envoyer par exemple de la publicité, il doit s’assurer que le client l’accepte par écrit, en cochant une par une, les cases cor- respondant aux différentes utilisations des données, insiste-t-il.

“Ce besoin existe depuis longtemps”, explique Jean- Michel Chanavas, mais ces entreprises “saisissent l’oc- casion de la loi pour basculer sur le sujet du marketing”, soulève-t-il.

Pourtant, la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) est claire : la dématérialisation de tickets de caisse ne saurait justifier “d’autres finalités, notamment de prospection

commerciale”, indiquait l’institution dans son Livre blanc sur les données et moyens de paiement publié en octobre 2021.

Files d’attente en caisse

Reste à savoir comment récolter le consentement sans rallonger les files d’at- tente en caisse. La procédure (orale ou écrite) reste floue et les professionnels sont toujours en attente du décret d’application de la loi anti- gaspillage.

Pour éviter ce temps d’attente, la start-up Yavin propose aux enseignes de reconnaître la carte bleue des clients (“avec leur accord”), pour qu’à l’avenir, ils puis- sent recevoir systématique- ment leurs tickets de caisse par mail.

Sa potentielle concur- rente Killbills souhaite ré- duire encore ce délai en

permettant l’envoi du re- levé d’achats directement sur l’espace client bancaire, moyennant simplement une transaction par carte-bleue. “Dans ce cas, les enseignes

ne récupèrent aucune coor- donnée des clients et ne peuvent pas les contacter de façon intempestive”, assure Sid-Ahmed Chikh-Bleb, son co-fondateur.

Quoiqu’il en soit, ces don- nées, mêmes anonymisées, restent une “mine d’or” pour analyser les comportements des consommateurs, certifie la CNIL.

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