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Maurice Etat voyou?

Horreur, indignation, colère. Émotions largement partagées à Maurice depuis le week-end dernier, avec la mise en circulation sur les réseaux sociaux d’insoutenables vidéos de torture pratiquée par des éléments de notre police. A coups de taser électrique sur les parties génitales, de mises à nu avec sévices, d’humiliations en forçant des hommes dont les jambes flageolent de peur à accomplir des jeux de rôles, à psalmodier des prières, à chanter l’hymne national. On a beau savoir que les flics ne sont pas des « tendres », ces images, et ces sons, ceux d’hommes qui râlent, qui convulsent et qui implorent, sont insoutenables. Au-delà de l’émotion, totalement justifiée et nécessaire, il importe aussi de comprendre ce qui est là en train de se jouer.

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Ces vidéos datent de 3 ans. Il apparaît que nombre des vidéos qui ont circulé cette semaine remontent à 2019. D’abord, elles ont concerné l’équipe de la Central Investigation Department (CID) de Terre Rouge, mais il apparaît qu’elles viennent aussi d’autres unités. Qui les fait circuler et pourquoi maintenant? De toute évidence, elles ont été filmées de l’intérieur, soit par des membres de la police faisant partie de ces unités. Dans quel but ? Il semblerait qu’il y ait, dans certains quartiers de la police, non seulement une part de sadisme à filmer de tels actes, mais aussi le dessein de nous les faire voir, dans un but bien précis. Il y a là de quoi nous casser.

Cela n’est pas sans rappeler les vidéos extrêmement violentes qui ont circulé au début du confinement-Covid en mars 2020, montrant deux frères, battus et tazzés dans une mare d’eau et de sang. Celles-là aussi avaient provoqué l’émoi. Des 19 flics identifiés comme ayant participé à cette « opération », l’on apprend aujourd’hui que seul un a été « sanctionné ». La médiatisation de ces vidéos relevait d’une volonté évidente de faire peur à tous ceux qui se mettraient en tête de regimber contre les conditions drastiques, voire parfois abusives, du confinement.

Cette fois les circonstances semblent un peu différentes. Il ressort que c’est l’avocat Rama Valayden qui avait, dès 2020, remis à l’inspecteur Shiva Coothen des enregistrements de ces actes de torture, en demandant de les faire parvenir au Commissaire de Police. Mais le Police Press Officer se contente aujourd’hui d’affirmer qu’il y a, à ce sujet, une enquête qui est toujours en cours, deux ans plus tard. Alors même que les policiers qui y figurent sont clairement identifiables. La police elle-même aurait pu être tentée de rendre publiques ces vidéos, alors que la grogne, le mécontentement, voire la colère montent de partout. Que faire en effet lorsque la colère d’une population face à son gouvernement se manifeste de plus en plus ouvertement dans la rue ? Ces vidéos disent aussi ceci : regardez, regardez ce qui risque de vous arriver si vous l’ouvrez trop. Elles nous submergent, elles nous écrasent sous le sentiment de l’impunité de ceux qui perpètrent ces actes abjects sans être jamais inquiétés. Elles nous étouffent, elles nous cassent.

Ces vidéos témoigneraient d’une guerre au sein de la police. Ces vidéos auraient été filmées sous le précédent commissaire de police, M. Servansingh. Le fait qu’elles circulent aujourd’hui pourrait, pour certains, pointer vers une tentative de porter atteinte à l’autorité de l’actuel commissaire de police, M. Dip. Ou alors relever simplement d’une volonté, en dehors, de faire cesser l’impunité. Car c’est notamment sur la page de l’activiste Bruneau Laurette qu’elles ont été postées en premier lieu. Et cela est efficace : après deux ans «d’enquête » sans suite, le partage de ces vidéos sur les réseaux sociaux a suscité une indignation nationale suffisamment forte pour que sept des policiers concernés soient dans un premier temps transférés (pour aller sévir ailleurs ?) et que trois d’entre eux soient finalement arrêtés. Cela n’enlève rien au fait qu’un certain nombre de Mauriciens cautionnent la violence policière.

On l’a vu notamment avec les arrestations violentes lors du confinement de mars 2022. Toutes ces personnes qui, face à l’atroce brutalité exercée, ont défendu la police. En affirmant que la force policière n’était pas là pour jouer à la dinette, qu’elle se devait, face aux « malfrats », de ne pas prendre de gants pour protéger les « honnêtes gens » qui eux n’avaient rien à en craindre. Une réaction largement de classe, de celle qui estime que l’on n’a pas à s’en faire lorsque l’on se trouve du « bon côté » de la barrière. « Kisannla ti pou ekout mwa ? » a lancé, désabusé, le parent d’une victime présente dans ces récentes vidéos. Victimes d’une double peine : de la présupposition de culpabilté parce que pauvres, et incapables de se faire entendre, et croire, parce que pauvres. Alors on détourne la tête, et on se bouche les oreilles, parce qu’au fond notre conception des droits humains est elle-même tellement pauvre que nous estimons qu’une violation ne nous concerne pas si nous ne courons pas de risque d’y être soumis.

Il y a aussi une dimension éminemment communale à cette affaire. Il n’y a pas seulement une dimension de classe. Il y a aussi un aspect fortement ethnique et communal dans cette question de violence policière à Maurice. Et nous ne devrions pas avoir peur de le dire, se contenter de le susurrer sous le couvert d’une fausse « pudeur ». En février 1999, nous avons été secoués par de violentes émeutes suite à la mort en cellule de Kaya. Mais le décès suspect du roi du seggae est la goutte d’eau qui est intervenue au terme d’années de ce que des Créoles des cités ont décrit comme un harcèlement systématique orchestré contre eux par une police majoritairement hindoue. Les arrestations à la pelle pour un joint ou pour rien, les humiliations interminables entre les quatre murs du poste, les « tir kannson, dans sega », le pran nisa d’hommes en uniforme qui s’emmerdent le soir au poste et qui ont bu. Tout cela bouillait avant qu’explosent les émeutes de 1999 lorsque Kaya décède en cellule. Anything familiar ? L’image internationale de Maurice en est violemment ternie.

Bravo pour la pub. Mauritius now, quel plaisir ! A l’ère de l’information globale, Réunion la 1ère a tôt fait d’ouvrir son journal télévisé sur ces vidéos de torture policière à Maurice, suivie par la chaîne internationale de télévision francophone TV5 Monde. Super pour notre image. Mais curieusement, aucun ministre n’est venu vilipender la police et leur reprocher des actes « antipatriotiques » qui ternissent notre réputation et notre image de super-démocratie… Le silence des autorités Alors que le pays était en émoi face à ces images de torture qui ont circulé à travers l’île à la vitesse de l’éclair depuis le samedi 28 mai et ont bouleversé les esprits, le Premier ministre, directement mis en cause en tant que ministre de l’Intérieur, a pris trois longs jours avant de réagir. Et ne l’a finalement fait que le mardi 31 mai, lors d’une célébration de l’Eid-Ul-Fitr organisée par la mairie de Vacoas-Phoenix. Il s’y est dit « choqué » et a affirmé qu’il ne tolérera pas ce genre d’action. Il ne suffi ra toutefois pas qu’il mette en avant l’enquête initiée par la police sur la police. D’aucuns estiment que c’est au DPP que devrait revenir d’instituer une enquête judiciaire impartiale. Cela sera-t-il le cas ?

Nous avons des policiers hors la loi. Nous voyons aujourd’hui une force policière qui utilise des armes illégales comme instruments de torture. Double délit. Le taser électrique n’est pas autorisé à Maurice, ni pour la police, ni pour personne, et la force policière n’en a jamais acheté officiellement. Alors d’où viennent ces armes ? D’une précédente saisie très médiatisée ? Policiers voleurs ? Policiers abuseurs ? Policiers bourreaux ? Si ces agissements aujourd’hui révélés au grand jour n’ont pas de suite, le Premier ministre devra venir convaincre ceux qui estiment qu’il y aurait lieu de soupçonner que cette violence est cautionnée, pour ne pas dire orchestrée, au plus haut niveau de l’Etat. Il est urgent de montrer que Maurice n’est pas un Etat voyou…

 

 

 

 

 

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