Reza Uteem : « La production et les investissements aux dépens de la consommation! »

À la veille de la présentation du budget 2022-2023, Reza Uteem, porte-parole du MMM, fait un survol de la situation économique. Il dit son inquiétude devant l’approche dépensière du ministre des Finances, Renganaden Padayachy, qui, à son avis, ne tient compte ni des commentaires du directeur de l’Audit, ni du Public Accounts Committee. « Le ministre n’a pas retenu ses leçons et continue de plus belle avec sa mauvaise gestion des ressources publiques », constate-t-il. Il considère qu’on ne peut continuer à promouvoir la consommation comme moteur du développement, et souhaite des mesures pour encourager la production et les investissements.

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Reza Uteem souligne aussi l’importance du Champ-de-Mars pour l’économie de sa circonscription et déplore que le gouvernement ne s’intéresse qu’à la dimension financière et politique des courses hippiques, pour des raisons, dit-il, qui lui sont propres. Il condamne également les actes de torture perpétrés par une section de la force policière et réclame une commission d’enquête sur toute la question.

А quelques jours de la prйsentation du budget, comment se prйsente l’économie?
J’ai beaucoup d’inquiétudes, surtout après ce qui s’est passé le mardi 24 mai, au Parlement, où le ministre des Finances a présenté un budget supplémentaire d’un montant de Rs 9,5 milliards. Lors des débats, les parlementaires ont été appelés à approuver des dépenses qui, d’une part, n’étaient pas nécessaires et, d’autre part, ont été décriées par le Public Accounts Committee.

Concernant les dépenses qui ont été décriées figurent principalement les dotations accordées au ministère de la Santé qui a défrayé la chronique au vu de la façon dont les contrats ont été alloués durant la pandémie, il semble que le ministre n’a pas retenu ses leçons et continue de plus belle avec sa mauvaise gestion des ressources publiques.
On a demandé d’approuver des Overtimes alors que le rapport de l’Audit a fait ressortir qu’il y a plusieurs personnes qui ont bénéficié de ces allocations tout en n’étant même pas inscrites comme infirmiers. Nous nous attendions que le ministre Jagutpal vienne justifier ces dépenses. Malheureusement, nous avons eu droit à des slogans pour accuser l’opposition de critiquer les fonctionnaires. Il n’a rien dit par rapport au gaspillage.

De l’autre côté, le ministre des Finances nous a fait voter un budget de Rs 2,5 milliards pour des projets de drains pour les trois prochaines années alors que dans ce fonds il y a déjà plus de Rs 15 milliards. De plus, le ministre a confirmé que ce budget supplémentaire serait financé par des emprunts tout en reconnaissant que la dette publique représente 88% du PIB. Un chiffre contesté par les économistes indépendants et ceux de la Banque mondiale, estimant que la dette a déjà dépassé les 100%.

Je suis donc inquiet puisque le ministre des Finances continuera à endetter la population avec des projets qui ne sont pas prioritaires, le gaspillage au ministère de la Santé et l’octroi de contrats dans l’opacité la plus totale alors que le peuple exige des mesures pour réduire le coût de la vie.

La flambée des prix donne lieu actuellement а des manifestations publiques…
Le Premier ministre a tort de penser que ce sont des membres de l’opposition qui sont derrière les manifestations. La vérité est que le peuple a faim et souffre, et il n’a pas les moyens de subvenir à ses besoins. Il considère surtout que le gouvernement l’a laissé tomber et n’arrive pas à comprendre pourquoi il y a eu quatre augmentations des prix de l’essence et du diesel. L’essence qui se vendait à Rs 50 il y a six mois est passée à Rs 74. Soit presque 50% d’augmentation alors que gouvernement avait les moyens de réduire le prix du carburant en réduisant les taxes et autres prélèvements sur les produits pétroliers Il ne l’a pas fait.

Le FMI estime l’inflation pour 2022 а plus de 11%. Est-ce normal ?
L’inflation est causée par la dépréciation délibérée de la roupie qui a perdu 40% de sa valeur depuis 2014. Le gouvernement ayant dévalisé la Banque Centrale de ses réserves, cette dernière se trouve dans l’incapacité de défendre la roupie. Par la faute de ce gouvernement, tous les produits importés en devises étrangères ont connu une augmentation. Il y a aussi les facteurs externes, notamment la guerre entre la Russie et l’Ukraine, la pénurie de denrées alimentaires et les mesures protectionnistes prises par certains pays pour assurer leur autosuffisance alimentaire.
Finalement il y a l’augmentation du fret et du coût des produits pétroliers, ce qui fait qu’au total toutes nos importations ont connu une hausse considérable.

Aurait-on pu éviter la dépréciation accélérée de la roupie ?
En ce qui concerne les facteurs qui sont sous notre contrôle, on se serait attendu en temps normal à ce que la Banque Centrale défende la roupie. Mais il se retrouve avec une insuffisance de réserve. Il y a eu moins de rentrées de devises. Si on avait une Banque Centrale vraiment indépendante, nous aurions probablement eu d’autres résultats même en ce qui concerne la MIC où la Banque Centrale a transféré USD 2 milliards.
Malgré toutes les critiques tant au niveau politique que des économistes ainsi que des institutions indépendantes comme le FMI, la Banque Centrale persiste à vouloir gérer la MIC. Ce faisant, elle se retrouve en position de conflit d’intérêts flagrant en tant que régulateur et opérateur. Je suis d’accord avec le FMI que ce fonds aurait pu être géré par d’autres institutions dont la SIC.

Le MMM insiste pour que le ministre des Finances parle un langage de vйritй. De quelles vйritйs veut-il parler ?
Nous lui demandons de dire la vérité au sujet des chiffres, à commencer par la dette publique. Le ministre des Finances persiste à dire que le niveau de la dette publique est de 88% alors qu’il est évident que le montant de 100% a été dépassé. Au niveau des finances, Maurice utilise de nouvelles techniques pour réduire la population active et ce faisant, il entraîne une baisse artificielle du taux de chômage. Le ministre des Finances doit dire à la population que le niveau des dépenses de ce gouvernement est insoutenable.
Le gouvernement ne peut pas continuer à dépenser sans produire. Il ne peut pas continuer à financer le déficit budgétaire par des emprunts car tôt ou tard, ces emprunts devront être remboursés. Il doit tenir un langage de vérité concernant le fonds de pension qui sera de plus en plus insoutenable. Il faut réformer le fonds de pension, mais on ne peut remplacer ce fonds par une taxe.

Qu’attendez-vous du ministre des Finances pour le prochain budget ?
Qu’il réalise que l’économie va mal, que les prescriptions des deux derniers budgets n’ont fait qu’aggraver la situation. Il doit venir avec d’autres mesures. On ne peut plus continuer à promouvoir la consommation comme moteur du développement. Il faut qu’on devienne une nation de producteurs, pas une nation de consommateurs. Il faut prendre des mesures pour encourager l’investissement par des Mauriciens, mais aussi par des investisseurs étrangers. Or, ces derniers n’ont pas confiance en Maurice.

Le gouvernement doit développer d’autres pôles de développement et avoir une politique cohérente sur l’Afrique, qui représente un marché énorme. Il y a beaucoup de gens riches en Afrique. Pourquoi ne pas avoir une politique pour les attirer comme touristes ? Quel est le budget de la MTPA pour promouvoir la destination Maurice dans des pays africains autres que l’Afrique du Sud ? Depuis des années on présente Maurice comme un education hub, un endroit pour les étudiants de la région. Or, on constate que l’université de Maurice ne figure même pas sur la liste des 50 premières universités d’Afrique. Et la situation va de mal en pis, d’année en année.

Le plus choquant, pour moi, a été la réponse du Premier ministre, au Parlement, dans laquelle il a annoncé que le projet de développement portuaire a été suspendu, faute de fonds nécessaires. C’est totalement inacceptable !
Le port de Maurice devrait jouer un rôle déterminant dans le transbordement des produits vers l’Afrique. Il devrait avoir une stratégie de développement en vue de devenir un port régional utilisé comme un entrepôt par les grandes compagnies maritimes pour leurs conteneurs avec des bateaux pour assurer la liaison maritime au niveau régional. Ce qui permettra de développer tout un ensemble de services maritimes comme les assurances maritimes, les courtiers maritimes, les finances. Ces services pourraient être assurés non seulement par des professionnels mauriciens, mais également en partenariat avec des opérateurs africains.

En parlant d’Afrique, on notera que pas plus tard que la semaine dernère, le Kigali International Financial Centre йtait а Maurice pour une mission de promotion. Est-ce que le Rwanda se prйsente comme un concurrent ou un partenaire pour Maurice ?
Le Rwanda est un concurrent direct pour le centre financier mauricien en ce qui concerne les fonds d’investissement, surtout qu’il se positionne comme le centre de financement pour des investissements en Afrique. Le but du Kigali International Financial Centre est d’attirer les opérateurs intéressés à investir en Afrique. Bien sûr, ils n’ont pas les compétences développées en Afrique mais ont, au moins, une stratégie africaine que Maurice n’a pas.

On a parlé plus tфt de la dépréciation de la roupie Cette politique ne décourage-t-elle pas les opérateurs étrangers а investir а Maurice ?
Bien sûr, avec la dépréciation de la roupie, le retour sur l’investissement pour un opérateur étranger s’amenuise. Il faut ajouter à cela le fait que Maurice est devenu un pays cher avec toutes les charges sociales comme la CSG, la Solidarity Tax, etc. Ce qui n’encourage pas les expatriés à venir s’implanter dans l’île. Il ne faut pas oublier que tous les pays cherchent à attirer des investissements. Qu’est-ce que Maurice a à offrir de plus ?

Cela fait des années que le ministre des Finances annonce l’arrivée des investisseurs à Maurice pour des projets dans l’industrie pharmaceutique, le montage de bicyclettes, etc. En fin de compte, les seuls investissements ont été effectués dans des projets immobiliers. On se positionne comme un centre financier. Combien de fonds d’investissement sont actuellement basés à Maurice ? La majorité ont simplement un bureau satellitaire dans le pays alors que leurs quartiers généraux sont basés à Singapour ou à Dubaï, entre autres.

Vous êtes également président du Public Accounts Committee.Etes-vous dйзu par le refus du gouvernement de débattre sur les rapports du comité au Parlement ?
Pas plus tard que la semaine dernière, nous avons eu l’honneur d’accueillir les délégués des PAC des 16 pays membres de la SADC. Ils ont été choqués d’apprendre qu’à Maurice les rapports du PAC ne suscitent pas de débats nationaux et que les auditions ne soient pas effectuées en public, dans la transparence. Or, ce sont des éléments clé pour assurer l’efficacité du PAC. D’ailleurs, le Model Law qui est actuellement en préparation par le SADC Policy Forum prévoit que ces rapports soient débattus au Parlement.

Un récent sondage, réalisé par Straconsult pour le compte d’Afrobarometer, souligne que l’économie va mal. Est-ce que vous partagez cet avis ?
L’économie va mal. Les meilleurs endroits pour mesurer la gravité de la situation sont les supermarchés, les bazars et les rues pour rencontrer les gens. On verra que les gens sont unanimes à dire qu’ils ne savent où mettre la tête et n’arrivent pas à joindre les deux bouts. Ils ont dû modifier leur mode de consommation et sont endettés à mort. Ils sont exaspérés par ce gouvernement qui fait la sourde oreille. Le leader de l’opposition a fait plusieurs suggestions au Parlement, l’Entente de l’Espoir a fait de même mais le gouvernement persiste à ignorer la souffrance de la population.

La situation au Champ-de-Mars continue de dominer les dйbats publics. Comment la situation vous interpelle-t-elle ?
Je suis député de la circonscription No 2, où se situent le Champ-de-Mars et le MTC, qui y jouent un rôle économique très important. Beaucoup de personnes de la région y travaillent ou gagnent leur vie avec les courses hippiques. J’ai toujours cru que les courses étaient une activité de loisirs. Enfant, j’aimais aller au Champ-de-Mars pour voir les grands classiques de la saison. On venait en famille et on se promenait dans la plaine, mangeait des gâteaux et admirait les chevaux. C’était une journée récréative familiale.

Mais lorsqu’un bookmaker veut organiser les courses et que le gouvernement veut faire la même chose, on peut se demander si leur motivation première est d’encourager l’aspect récréatif de cette activité ou le côté financier du Gambling, sa dimension politique. Si le gouvernement accorde l’autorisation à un bookmaker proche du pouvoir d’organiser les courses, Maurice finira comme les autres pays où les gens vont déserter les courses pour remplir les salles qui accueillent les organisateurs de paris à travers l’île. C’est ce qu’on appelle une nation  zougager. C’est triste pour les turfistes et les amoureux des chevaux en général !

Tenant compte des sommes importantes absorbйes par les paris légaux et illégaux et le risque de blanchiment d’argent, beaucoup d’observateurs craignent que Maurice se retrouve sur la liste noire du FATF ou de l’Union européenne. Qu’en pensez-vous ?
Effectivement. Il y a deux aspects. Au niveau international, il y a une association de tous les organisateurs de courses qui sont allergiques à toute ingérence gouvernementale dans leurs activités. De son côté, le FATF aura de quoi s’inquiéter parce que le blanchiment par excellence des fonds illicites se fait à travers les paris illégaux. Lorsqu’on aura un opérateur, lui-même bookmaker, qui devient organisateur de courses, comment pourra-t-on assurer une transparence et assurer un contrôle indépendant ?

La MTC peut prendre du recul et imposer des conditions qui peuvent ne pas plaire aux bookmakers. Si demain ce dernier devient un organisateur de courses, pensez-vous que sa priorité sera de combattre le blanchiment d’argent ou de gagner de l’argent à travers des paris ?

Les images de tortures diffusées cette semaine ont créé beaucoup d’йmoi dans le pays…
Depuis des années, les avocats et les défenseurs des droits humains condamnent la brutalité policière. Ce n’est pas la première fois qu’on voit des images de suspects nus en présence de policiers. Mais c’est la première fois que les Mauriciens témoignent de la violence et la torture utilisée par des officiers de police sur des suspects. Au lieu de préserver la loi, on constate que certains officiers de police violent eux-mêmes cette même loi. Est-ce que la police était au courant de ces agissements ? Pourquoi n’ont-ils rien fait ? Si tel est le cas, ils sont complices de ces atrocités et doivent être punis.

La police a effectué des arrestations cette semaine…
Il y a eu des arrestations mais est-ce que ces arrestations vont déboucher sur des condamnations ? Qui fera l’enquête ? Est-ce que la police enquêtera sur la police ? Est-ce qu’il y aura des ingérences ou des tentatives de cover up ? Connaissez-vous des cas de policiers qui ont été trouvés coupables à Maurice d’avoir torturé des suspects ? Combien de suspects sont décédés en détention policière ? Avez-vous vu un policier être condamné pour torture ou tentative de meurtre pour les personnes trouvées mortes alors qu’elles étaient sous le contrôle de la police ?

Avec de telles images en circulation, les gens n’ont plus confiance en la police. C’est la raison pour laquelle nous réclamons l’institution d’une commission d’enquête présidée par un ancien chef juge.

La semaine dernière, on a assistй а un Walk Out des parlementaires de l’opposition aprиs la suspension de Shakeel Mohamed et de Rajesh Bhagwan. Est-ce que vous appréhendez les conditions dans lesquelles se sont déroulés les débats parlementaires sur le budget ?
Chaque séance parlementaire est un défi pour les membres de l’opposition. Nous sommes conscients que notre place est au Parlement pour débattre des projets de loi et interpeller le gouvernement sur ses activités et évoquer les problèmes de nos mandants dans nos circonscriptions. Mais la population, chaque semaine à travers les retransmissions télévisées, constate le comportement du speaker, des membres du gouvernement et les réactions des membres de l’opposition.

La question qui se pose est à qui profite le crime. Est-ce qu’un gouvernement doit être protégé par un Speaker ? Est-ce qu’un Premier ministre doit se limiter à répondre à une seule question pendant 30 minutes ? Bien sûr, on appréhende ce qui va se passer mais quel choix avons-nous ?
C’est au gouvernement de sanctionner le speaker et d’avoir un speaker digne de ce nom. C’est le gouvernement qui décide des sanctions à être prises contre les membres de l’opposition. C’est Steven Obeegadoo qui a proposé que Rajesh Bhagwan soit suspendu pour quatre séances et c’est la majorité gouvernementale qui a voté pour empêcher qu’un représentant du peuple ne puisse siéger dans le temple de la démocratie. C’est ce gouvernement qui nous empêche d’effectuer notre travail en tant que députés de l’opposition.

Le mot de la fin…
À quelques jours de la présentation du budget, j’espère sincèrement que le gouvernement ira de l’avant avec des mesures pour combattre la cherté de la vie et alléger la souffrance de la population. Le gouvernement a les moyens de venir avec des aides à l’intention des plus démunis de la société. Il a les moyens d’ajuster la pension des retraités, de changer le salaire minimum. La balle est dans le camp du gouvernement.

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