Deux ans… C’est à peu près le temps qu’il nous reste, selon certains experts en la matière, pour nous éviter de franchir la limite climatique fatidique. Ou encore 24 mois, 730 jours, 17 520 heures. En sus de deux COP et d’un florilège de mesures atténuantes discutées çà et là, et qui finiront pour beaucoup au panier… comme les autres. Dès lors, difficile de croire que cet ultimatum imposé par la planète sera respecté, tant le monde gaspille aujourd’hui de temps et d’énergie face aux crises actuelles. Car si celle de la Covid s’efface lentement, elle aura été rapidement remplacée par le conflit russo-ukrainien, qui vient ralentir une fois encore nos envies de renouer au plus vite avec la croissance.
Pourtant, à y regarder de plus près, la guerre, aussi catastrophique soit-elle sur le plan humain, pourrait, elle aussi, au même titre que le virus, se présenter comme une… opportunité. Attention : pas question ici de sous-entendre que l’on cautionnerait de quelconque façon que ce soit les exactions abominables de Poutine ! En revanche, ce conflit devrait nous faire réfléchir, une fois de plus, à la fragilité du système mondial, que ce soit d’un point de vue politique, social, géopolitique ou encore, bien sûr, économique. D’autant qu’en matière de crises, le pire reste à venir. Car lorsque les températures auront décidé, à force de nous voir si longtemps tergiverser, que plus jamais elles ne redescendront, ou du moins alors trop tard, le nombre de morts de la Covid et de la guerre nous paraîtra alors rapidement insignifiant.
Puisqu’en matière de changement climatique, l’origine du mal est notre propension à produire et à consommer de manière exponentielle – et que l’on a volontairement réduit au terme « croissance » –, alors la solution, estiment beaucoup, réside par conséquent à notre capacité à décroître. Une idée séduisante, certes, mais sur le papier seulement, car si celle-ci peut théoriquement assez rapidement se mettre en place, encore faudrait-il déjà qu’elle fédère. Et inutile de dire que tel n’est évidemment pas le cas.
Des décroissances, le monde en aura pourtant connues ; l’histoire regorge même d’exemples ! Pour autant, celles-ci n’auront jamais été désirées, mais se seront au contraire imposées par la force de crises systémiques. Par ailleurs, pour que la décroissance fonctionne, dans le cas présent, elle devrait être pensée dans la logique de la décarbonation, et donc d’une réduction drastique, généralisée et rapide de notre zone de confort. Et non pas, comme le soutiennent actuellement nos économies, par le remplacement d’une technique par une autre. Notamment du fait qu’en matière énergétique, nous ne sommes pas équipés technologiquement pour passer du « tout carbone » au « tout renouvelable ».
C’est un fait : le mariage entre croissance et climat est, pour l’heure en tout cas, voué à l’échec. Mais il en est de même pour la décroissance qui, dans le contexte du modèle soutenu aujourd’hui, se glisse dans l’ornière de la croissance. Et pour cause : le concept actuel sous-tend en effet que l’on propose des solutions innovantes et moins coûteuses en énergie. Ce qui, c’est vrai, semble bon pour le climat. Sauf que « faire mieux avec moins » a toujours conduit à augmenter nos « besoins », car impliquant de « faire mieux pour moins cher », et donc de vendre plus, de consommer plus. Bref, un cercle vicieux dont l’on ne peut s’extraire.
Ainsi, la seule véritable décroissance capable d’infléchir à termes la hausse des températures sur l’ensemble de la surface du globe est celle qui implique une diminution globale de notre appareil de production, et qui se mesure par le PIB. À l’instar, par exemple, des jets privés, et dont la question n’est pas d’en fabriquer de moins gourmands en kérosène, mais de ne plus en produire tout court. Malheureusement, pour stopper la locomotive économique, il faut les clés. Que détiennent toujours pour l’heure les seules grandes entreprises.
Malgré cela, la décroissance, dans le sens strict du terme, demeure toujours du domaine du possible. À condition de ne plus produire de yachts, de berlines, d’Airbus, de terrains de golf, etc. Avec des conséquences sociales, certes, mais tel est le prix à payer pour des décennies d’insouciance consumériste. D’autant que si nous ne le faisons pas de notre propre chef, la décroissance s’imposera de toute manière. Sauf que cette fois, ce sera avec fracas !