Suspects dépouillés de leurs droits : Police HQs ébranlées par des vidéos de torture de détenus

L’une des victimes, Christopher Pierre Louis : « Mo santi mwa mor net » L’inspecteur Derochoonee, leader du gang de policiers, et son bras droit, le sergent Reedoye, en état d’arrestation depuis hier soir Bruneau Laurette compte accompagner une autre victime pour dénoncer des sévices de la police

Depuis trois ans, les Police Headquarters des Casernes centrales avaient connaissance de ces pratiques de torture et de sévices attribuées à des limiers de la police, notamment ceux de la région de Terre-Rouge.

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Les responsables de la police ne peuvent nier l’existence ou encore l’authenticité de ces enregistrements de ces cas de brutalité policière sur des suspects en vue d’extraire des aveux. L’enquête de la police sur des méthodes, défiant tout respect des droits de l’homme, n’avait rien donné jusqu’au week-end dernier. L’excuse avancée du côté des Casernes centrales est que pour initier toute enquête au pénal, il fallait au préalable identifier la source de l’enregistrement. Sauf que sur les enregistrements l’identité de la victime est connue et que les policiers, engagés dans ces actes de torture, le faisaient à visage découvert avec des ricanements des plus sadiques.

Mais avec la pression de l’opinion publique dans la nuit de samedi à dimanche « boul inn vire ek dife lor bann gard-la ». La déposition en bonne et due forme de la première victime dans la journée d’hier, a débouché sur les premières arrestations, trois ans après les faits, alors que d’autres développements sont attendus. Dans la conjoncture, les autorités, qui ont camouflé, pour ne pas dire tolérer, ces actes de barbarisme, sont appelées à « coming forward with clean hands », d’autant plus que le président du Bar Council, Me Yatin Varma, lui-même victime de brutalité aux mains de la police, réclame l’institution d’une commission d’enquête, présidée par un juge du Commonwealth à la retraite. Mais surtout pas une nouvelle enquête de la police sur la police.

Trois ans après la traumatisante expérience aux mains des hommes de l’inspecteur Derochoonee du poste de police de Terre-Rouge dans le cadre d’une enquête sur un cas de cambriolage, Christopher Pierre-Louis, âgé de 31 ans, une des victimes sur les vidéos d’enregistrement de scènes de torture par une équipe de police, est venu de l’avant pour porter plainte contre ces officiers de police. D’emblée, il affirme s’être reconnu dans les vidéos, circulant sur les réseaux sociaux, avec des scènes atroces, dénigrant la dignité de tout être humain.

Dans les locaux du Central CID, hier, cet habitant de Cité Sainte-Clair, Goodlands a confirmé les différentes étapes de son arrestation d’il y a trois ans et surtout, il est revenu en détail sur les sévices subis avant de concéder des aveux forcés sur ce cas de vol. Il maintient que des limiers de la Criminal Investigation Division (CID) de Terre-Rouge l’avaient dévêtu au bureau avant de lui administrer des décharges électriques avec application d’un taser à ses parties intimes. Et ce, de manière répétée.
Trois ans après cet épisode, Christopher Pierre-Louis dit avoir pris l’initiative de tout révéler maintenant car à l’époque, « je n’avais aucune preuve contre ces policiers. J’ignorais même que quelqu’un filmait la scène ». Il se dit également conscient que « si mo ti port plinte a lepok, case la ti pou al tonbe ».
Dans un premier temps, les responsables de l’enquête au Central CID ont pris la décision de procéder à l’arrestation du sergent Reedoye, celui qui avait interpellé le suspect initialement à Goodlands avant de le faire transférer à Terre-Rouge. D’autres arrestations sont également annoncées au fil du déroulement de cette enquête.
Après la mise sur les réseaux sociaux de ces enregistrements vidéo samedi soir, Christopher Pierre dit revivre le calvaire passé aux mains de la police en 2019. « Mo santi mwa mor net. Fode viv li pou kone li enn zafer mari difisil sa », fait-il comprendre.

Même s’il souhaite que justice soit faite, Christopher Pierre Louis ne peut cacher un véritable embarras personnel et de pudeur après la diffusion de cette vidéo. « Ou touni, antie le mond pe get ou pe gagn bate. Ou pe plore, ou pe kriye. Ou piti mem get ou enn lot regard ziska ou mor », confie-t-il avec la colère dans les yeux en revivant ce cauchemar.

Il se souvient de quelques détails, entre autres que les policiers l’avaient laissé nu pendant une heure ou plus. Le trentenaire dit que cet épisode le marquera à vie, surtout de cette méthode dégradante de mener un interrogatoire. « Mo espere sa pa ariv person pou demin zot pa gagn mem move regard lor zot kouma mwa mo pe sibir dan mo lavi », déclare-t-il.

Christopher Pierre Louis a déploré que la police ne voulait pas le laisser tranquille car il a été interpellé par une équipe d’enquêteurs de Grand-Baie pour deux cas de vol qu’il dit n’avoir pas commis.

Christopher Pierre Louis reconnaît qu’il ne voulait pas porter plainte après la diffusion de cette vidéo par peur de représailles. « Bruneau Laurette a pris le temps de me parler et il m’a rassuré », ajoute-t-il. Pour les besoins de cette nouvelle déposition, il était accompagné de Mes Sanjeev Teeluckdharry, Anoup Goodarry et Akil Bissessur. Il rappelle que les faits se sont déroulés en 2019 alors qu’il se trouvait à Goodlands. Des policiers menés par le sergent Reedoye l’ont apprehendé pour ensuite l’emmener au bureau de la CID de Terre-Rouge. Il avance que plusieurs policiers l’ont agressé.

L’inspecteur Hurryduth Derochoonee, responsable de cette équipe, lui a intimé l’ordre d’enlever ses vêtements et le trentenaire accuse le policier de l’avoir agressé aux parties intimes avec un taser. Puis, il lui a demandé d’apposer sa signature au bas des aveux sur un Statement Pad, dont il ignorait le contenu.
Dans sa version, Christopher Pierre Louis avance que l’inspecteur Derochoonee lui a demandé de plaider coupable. Il va plus loin en soutenant que les policiers lui avaient demandé d’acheter des pièces à conviction. Il devra donner plus de détails à ce sujet ce mardi lorsqu’il reprendra sa déposition.

Par ailleurs, sur la base de ces premières informations, l’équipe du chef inspecteur Dussoye du Central CID est passée à l’action hier soir avec l’arrestation de l’inspecteur Derochoonee et du sergent Reedoye. Ces derniers ont été emmenés aux Casernes centrales pour des séances interrogatoire Under Warning. Tout en niant les faits, ils ont exercé leur droit constitutionnel au silence. Les autres membres de cette équipe de la CID de Terre-Rouge ont été convoqués au CCID tard hier soir et encore pour ce matin.

Les limiers souhaitent interroger la plupart d’entre eux au plus tard ce mardi. Entre-temps, l’inspecteur et le sergent en question seront fort probablement présentés au tribunal de Pamplemousses aujourd’hui où ils devront répondre d’une accusation provisoire de « Torture by public official ».

En parallèle, sept officiers de la CID de Terre-Rouge ont fait l’objet de transfert hier, nommément le sergent Reedoye et les constables Ramchurn et Begue qui ont été affectés à la Special Mobile Force (SMF), alors que les constables Nilamber, Purgaus, Gopaul et Rengasamy ont, eux, pris la direction de la Special Support Unit (SSU).
Par ailleurs, la journée d’aujourd’hui s’annonce mouvementée avec la convocation de Bruneau Laurette au QG CCID. La police souhaite savoir qui lui a remis la clé USB contenant trois vidéos de torture par la police. Ce dirigeant de Linion Pep Morisien (LPM) a confirmé qu’il consignera son Statement. « J’ai obtenu les vidéos grâce à un policier. Je ne dévoilerai pas son nom aux enquêteurs. Même sous la torture »,

déclare-t-il.
Par ailleurs, Bruneau Laurette avance qu’il compte emmener une autre victime bientôt pour porter plainte contre cette équipe de la CID de Terre-Rouge. Profitant de l’occasion, il a demandé comment ces policiers se sont procurés un taser. «Ont-ils acheté ou serait-ce les Casernes centrales leur ont donné cela ? » se demande-t-il.
D’autre part, les Police Headquarters risquent d’être sous les feux des critiques car Rama Valayden avait déjà remis une copie des vidéos de torture lors d’une rencontre avec de hauts gradés il y a quelques mois alors que Khemraj Servansingh était en poste en tant que commissaire de police. L’avocat avait fait le déplacement au bureau du commissaire de police à l’époque pour évoquer plusieurs sujets dont le meurtre de Soopramanien Kistnen.
À cette occasion, il avait remis une clé USB à un haut gradé. Étant donné qu’il sera appelé à donner sa version des faits au Central CID ce mercredi, il n’assistera pas les victimes qui figurent sur les enregistrements des plus compromettants pour la force policière.

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Le Bar Council en faveur d’une commission d’enquête

La mise sur pied d’une commission d’enquête présidée par un juge à la retraite du Commonwealth est réclamée par les membres du Bar Council qui se sont réunis en urgence hier pour prendre position au sujet des vidéos de brutalité policière en circulation sur les réseaux sociaux et sur la place publique depuis le week-end écoulé.

« Nou finn diskit sa sitiasion la ek nou kondann san rezerv sa ban britalite la. Nou pe demann enn komision danket par enn ansien ziz Commonwealth lor britalite polisier ek kapav fer ban rekomandasion », déclare le président de l’ordre des avocats, Me Yatin Varma.

S’appuyant sur les dispositions de l’article 3(2(b) de la Mauritius Bar Association Act, le Bar Council suggère également comme initiative des représentations aux autorités concernées pour accélérer l’introduction d’une Police and Criminal Evidence Act. L’attention de l’Independent Police Complaints Commission et de la National Human Rights Commission est attirée sur la teneur de ces vidéos. L’ordre des avocats a invité ses membres à soumettre d’autres suggestions d’ici demain avant de prendre des positions formelles.

« Nou soke, outre, pena mo pou kalifie sa ban akt repreansib la. Nou espere sa ban ofisie ki fer sa la sispan. Nou pe deman enn komision danket pou nou pa trouv zis sa trwa ka ki nou pe trouve la. Li pou anglob topic britalite polisyer. Tou ban dimoun ki finn viktim dan le pase kapav vini », avance Me Varma. Il laisse également entendre que le problème de brutalité policière n’est pas sporadique et qu’il important d’avoir une observation générale sur la situation.

Quant à sa récente expérience personnelle dans le parking de la Sterling House, ou il s’était fait bousculer et agresser par des officiers du Passport and Immigration Office lors de l’enlèvement de son client slovaque Peter Uricek du pays, il souligne que ces policiers l’ont aussi rapporté à la police. « 4 kes zot fin fer ek mwa. Mo finn donn lanket dan 2 ladan. Mo pa fer konfians ki lapolis fer lanket lor lapolis », a-t-il indiqué.

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Nando Bodha : « Assez ! »

« La torture est-elle une pratique courante, et impunie au sein de la force policière et ce, sans que les institutions n’agissent comme il se doit dans toute société moderne ? Les cas de torture aux mains de la police s’enchaînent et se ressemblent. Les vidéos qui circulent nous donnent des frissons dans le dos, des images insoutenables qui créent l’effroi au fond de chacun d’entre nous par une police qui devrait nous protéger comme citoyens. Il y a eu les images choquantes de David Gaiqui, menotté et enchaîné à une chaise au poste de Curepipe, et son décès qualifié de troublant. Torturé en janvier 2018, il est décédé deux ans après d’une thrombose coronaire.

« Il y a eu la mort atroce d’Iqbal Toofany, torturé par la police en 2015. Et à présent, Christopher Pierre Louis, victime d’une brutalité inouïe par la police. Sans compter plusieurs autres citoyens, sans doute, dont les images de torture n’ont pas fuité dans la presse, dont les cris et la souffrance ont été étouffés au sein des murs de divers postes de police du pays. Quelle justice pour ces citoyens qui ont vu leurs droits humains bafoués ? Qu’en est-il de l’Independent Police Complaints Commission ? Combien de dossiers a-t-elle reçu et qu’en a-t-elle fait ? Que fait la Human Rights Commission ? Combien de policiers ont-ils été sanctionnés, voire suspendus pour avoir commis de tels actes de torture ? Quid de la Convention des Droits de l’Homme des Nations unies, dont Maurice est signataire depuis 1992 ?
« La police ne peut plus enquêter sur elle-même ! Elle est où l’indépendance et la transparence ?  Ces abus de pouvoir, devenus tristement fréquents, ne serviront qu’à pousser les citoyens qui s’étouffent dans un contexte particulièrement difficile, au bord de la révolte.  Il est temps que ces dérives totalitaires s’arrêtent et que justice soit faite, le plus tôt possible. Il est du devoir du Premier ministre de mettre un frein à ces actes de barbarie. Il doit agir au plus vite ! »

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Le DPP sollicité pour une enquête judiciaire
L’intervention du Directeur des Poursuites publiques, Me Satyajit Boolell, Senior Counsel, est sollicitée dans cette affaire de brutalité policière, notamment pour la mise sur pied d’une enquête judiciaire.

Eshan Juman (PTr) a transmis une correspondance en ce sens hier au DPP, évoquant une vague d’indignation nationale dans le public après avoir visionné ces vidéos. « The detainees appear to have been stripped of their dignity in the most inhumane way, thus violating their most basic human rights to which they were supposed to be fully entitled, even whilst being in police custody », a-t-il écrit. Il
Le député de l’opposition attire également l’attention du DPP sur l’utilisation d’armes interdites, notamment des tasers. Il s’appuie sur la déclaration policière du dénommé Jean Christopher Jessy Pierre Louis pour soutenir cette demande d’institution d’enquête judiciaire, d’autant plus que ces atrocités auraient été commises trois ans de cela. Cette Judicial Inquiry permettra aussi selon lui, de contourner les risques de Cover Up.

Eshan Juman met aussi en avant que la police aurait confirmé que ces délits auraient été communiqués à la police depuis 2020 et qu’une enquête policière avait depuis été entamée. Il soutient que jusqu’à la publication de ces vidéos, aucune action n’avait été prise par la police. « Which is why I appeal to you to initiate a judicial inquiry into the matter so as to prevent any cover-up and to dispel any fear of reprisals amongst those who can provide more information into these cases », se demande-t-il. Il estime qu’une telle enquête judiciaire serait requise dans l’intérêt de la population.
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Boolell : « Ce qui s’est passé est regrettable »

« Maurice est signataire de toutes les conventions des Droits de l’homme contre les tortures. Ce qui s’est passé est regrettable. De plus, les tortures vont à l’encontre des dispositions constitutionnelles. Il est bon de se rappeler que le PTr avait présenté un Police and Criminal Evidence Bill. Le texte de loi avait été présenté en première lecture et le DPP avait demandé de revoir le texte de loi en raison de quelques manquements. Par la suite, il y a eu des élections. Le plus intrigant est que nous apprenons que le commissaire de police d’alors était au courant de la situation.  Dans pareille situation, le commissaire de police met le Premier ministre au courant. Si cela a été le cas, est-ce qu’il y a eu une enquête par le CCID?
Rama Valayden a été le premier à remettre le pen drive à la police. Si la police a failli à sa tâche cela démontre que celle-ci n’est pas formée pour traiter des cas criminels. De plus, la police pratique la torture avec les conséquences que cela a sur la psychologie des victimes. Le Premier ministre qui est responsable de la Police doit réagir et faire une déclaration à la télévision. Le problème est que Maurice doit être « peer reviewed » par les Nations unies. C’est également le cas au sein de l’Union africaine et de la SADC.  Avec la technologie, de tels actes « go viral » et projette une mauvaise image de Maurice à l’international. Maurice, qui était l’exemple de la démocratie de la bonne gouvernance, voit son image se ternir. Je suis très inquiet des retombées de ce qui s’est passé sur l’image et la diplomatie de Maurice. »

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Un troisième policier arrêté hier

Le constable Gokhool a été arrêté par le Central CID hier soir. Tout comme ses deux supérieurs, il a fait valoir son droit au silence. Il a été placé en détention pour la nuit. Il sera lui aussi provisoirement inculpé en justice ce mardi.

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