Dr Shavana Haythornthwaite : « La conscience des Droits humains est en train d’augmenter »

Notre invitée de ce dimanche est le Dr Shavana Haythornthwaite, la responsable de l’unité des Droits humains du Commonwealth Secretariat. Avant d’occuper cette fonction, cette Britannique d’origine indienne avait travaillé comme Justice and Security Advisor pour le gouvernement britannique et comme consultante auprès du bureau des Nations-unies spécialisée dans les questions de “Drugs and Crime”.

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Le Dr Haythornthwaite, qui a également enseigné dans plusieurs universités aux États-Unis, en Chine et en Europe, vient d’animer deux ateliers sur les Droits humains à Maurice. Organisés en collaboration avec la Human Rights Division du ministère des Affaires étrangères mauricien, ces ateliers ont réuni des participants venant aussi bien de l’administration gouvernementale que du secteur privé et des ONG.

Commençons cette interview par une question personnelle : vous avez un prénom indien et un nom de famille on ne peut plus britannique. Vous sentez-vous plus Britannique qu’Indienne ?
— Je suis une citoyenne britannique née et élevée dans le nord de la Grande-Bretagne. Mon grand-père était dans l’armée britannique et ma grand-mère originaire de l’État du Gujerat, en Inde. Comme beaucoup de citoyens britanniques d’aujourd’hui, je suis le résultat d’un mariage entre personnes de deux nationalités différentes. Je suis une citoyenne britannique à part entière. Je suis, évidemment, très fière de mes racines, de mes origines culturelles différentes, mais je le suis normalement et naturellement . Ce n’est pas une question à laquelle je réfléchis tous les matins en me réveillant.

Votre cv est, pour dire le moins, impressionnant avec le nombre de diplômes détenus. Vous enseignez également comme “visiting professor” dans plusieurs universités. Où avez-vous trouvé le temps de faire tout ça?
— C’est une question que l’on me pose très souvent. Ma réponse est la suivante : quand on est passionné par un sujet ou une matière, on trouve le temps nécessaire et on se donne les moyens pour l’étudier à fond. Je n’ai jamais pensé que j’étudiais trop, que je donnais trop de temps à la maîtrise d’un sujet. Je fais partie de ceux qui ont besoin d’être passionnés, de se donner à fond dans leurs études ou leur travail.

Vous êtes à la tête de la Human Rights Unit du Secretariat du Commonwealth. En quoi consiste le travail de cette unité ?
— Il faut d’abord dire que le Secrétariat du Commonwealth fut créé lors des réunions des chefs de gouvernement des États membres du Commonwealth, à Londres, en 1965. Son travail est de mettre en pratique les politiques décidées par le Commonwealth. Le travail principal de l’unité que je dirige est la promotion et la protection des Droits humains dans les 54 pays qui font partie du Commonwealth. Nous aidons les gouvernements de ces pays membres à mettre en place et à faire fonctionner les politiques et les instruments nécessaires pour faire respecter les Droits humains. Ce, dans le cadre d’un dialogue entre les pays membres de la grande famille des nations du Commonwealth. Cette notion de famille est la caractéristique du Commonwealth, celle qui la distingue des autres grandes organisations internationales.

Est-ce que les 54 pays qui font partie de la grande famille du Commonwealth respectent tous les Droits humains de leurs 2.5 milliards d’habitants ?
— La charte du Commonwealth, qui a été ratifiée par tous les pays membres, est fondamentalement basée sur la reconnaissance et le respect des Droits Humains. Cette charte demande également à ses membres de pratiquer la démocratie et la bonne gouvernance. Mais comme les pays sont différents, ils appliquent différemment les règlements, selon leurs spécificités, leurs priorités culturelles, religieuses ou économiques. C’est pour cela qu’il est difficile de répondre avec précision à la question que vous avez posée.

Mais vous conviendrez que la question devait être posée ! Dans le document circulé pour présenter les ateliers qui ont été organisés à Maurice, figure cette définition de Droits humains. Lesquels consistent “of those inalienable, fundamental élements of human well being which concern work, social security, family life, acces to housing, food, water, healthcare, education and participation in cultural life. They are designed to check the abuse of power and to empower the vulnerable and the marginalised, and to save life.” Est-ce que cette belle definition est appliquée dans tous les pays du Commonwealth ?
— Le respect des Droits humains est un concept qui transcende tous les pays du monde et sont, comme je viens de vous le dire, appliqués différemment selon les spécificités, particularités et priorités de chaque pays. Un grand pays économiquement fort et un petit pays qui n’a pas les mêmes ressources ont des agendas différents. Il ne faut pas oublier qu’il ne suffit pas d’avoir l’envie de promouvoir les Droits Humains, il faut encore avoir les moyens nécessaires pour le faire. Cela dépend de la volonté politique, certes, mais aussi – et beaucoup plus qu’on ne le croit – de ressources nécessaires. C’est pour cette raison que la stratégie du Commonwealth Secretariat sur cette question est de mettre l’accent sur la protection et la promotion des Droits humains dans les pays membres du Commonwealth. Nous le faisons en venant en aide aux unités des Droits de l’homme  dans les pays concernés. En mettant à leur disposition tous les documents et textes de lois votés par les instances internationales sur ce sujet. Nous avons créé plusieurs instruments à cet effet que nous mettons à la dispositions des pays membres. Les ateliers organisés à Maurice, en collaboration avec l’unité des Droits de l’homme  du ministère mauricien des Affaires étrangères, en font partie. Dans ce travail de promotion et d’information, il faut être conscient que les efforts d’aujourd’hui ne porteront de résultats que dans le moyen et, peut-être même, le long terme. On ne peut pas faire changer des mentalités et des habitudes qui existent depuis de longues années, du jour au lendemain. Même si la route est longue, nous devons nous assurer que c’est la bonne voie et continuer à avancer, même si cela se fait plus lentement que nous l’aurions souhaité.

Est-ce que l’avancée se fait lentement ou carrément très lentement ?
— Cela dépend des pays, de leurs situations qui, comme je vous le disais, sont différentes. Mais je suis convaincue que nous avançons dans la bonne direction.

Quels sont les recours du Commonwealth Secretariat si un ou plusieurs de ses pays membres mènent une politique anti Droits de l’homme  ?
— Nous considérons que le Commonwealth est une grande famille dont chaque pays est un membre à part égale. Comme quand un problème ou un conflit surgit au sein d’une famille, c’est un dialogue constructif, une discussion franche que nous établissons.

Mais vous savez qu’il arrive parfois que des membres refusent d’écouter les bons conseils prodigués par la famille.
— Nous avons une bonne approche diplomatique pour ouvrir et maintenir le dialogue entre nos membres. Ce dialogue repose sur la confiance et le respect de l’autre. Cela fonctionne et nous permet, à terme, et en prenant le temps nécessaire, d’arriver à une solution.

Est-ce que le Commonwealth dispose d’instruments permettant de sanctionner un pays membre en cas de non respect des Droits de l’homme  ?
— Nous n’avons pas besoin de tels instruments puisque nous ne fonctionnons pas sur le concept de la punition et de la sanction. Notre principal instrument est le dialogue, la discussion entre tous les pays membres.

Que se passe-t-il quand deux de vos pays membres se déclarent la guerre et, de ce fait, ne respectent pas les Droits humains?
— Nous utilisons la stratégie du dialogue et de la discussion constructive et proposons nos services pour l’ouvrir et le maintenir entre les pays concernés.

Quelle est la position du Commonwealth sur la guerre en Ukraine où les Droits de l’homme  sont ouvertement et systématiquement violés depuis trois mois ?
— Les pays impliqués ne faisant pas partie du Commonwealth, je ne peux répondre directement à votre question. Mais généralement parlant, je crois que dans ce cas comme celui d’autres conflits, il faut avoir recours aux instruments techniques mis en place par les institutions internationales, comme le Commonwealth, pour rechercher, à travers le dialogue et la diplomatie, des solutions. C’est ce qui est en train d’être pratiqué au niveau diplomatique.

Que dites-vous aux millions de victimes de ce conflit dont les droits ne sont pas respectés, qui sont chassés de leur pays et contraints à l’exil : d’avoir confiance dans les instruments de dialogue et la diplomatie ?
— En ce qui concerne le Commonwealth, nous fonctionnons selon un mandat précis et ne pouvons intervenir que quand nos pays membres sont directement impliqués.

Après ce que nous venons de dire, êtes-vous optimiste pour l’avenir du monde en ce qui concerne la propagation et un plus grand respect des Droits humains ?
— Je suis optimiste parce que je vois que des efforts, couronnés de succès, sont faits par les gouvernements, ainsi que par la société civile, dans ce sens. Je crois également que nous ne prêtons pas assez attention aux signes positifs indiquant que nous avançons dans la bonne direction, pour nous concentrer sur les signes négatifs et les échecs. Il arrive trop souvent dans le fonctionnement humain qu’un échec fasse oublier tous les petits succès enregistrés.

 Est-ce que cela signifie que la conscience de la nécessité du respect des Droits humains est en train d’augmenter, malgré les exemples négatifs qui viennent d’être cités ?
— Je crois qu’on peut le dire. Les choses sont en train d’avancer positivement, sans doute plus lentement qu’on l’aurait souhaité, et sont moins médiatiquement soulignées qu’il ne le faudrait. La chose la plus importante, à mon sens, c’est que même si nous avançons lentement, nous ne sommes pas en train de reculer, que les acquis sont consolidés. La conscience de la nécessité du respect des Droits de l’homme  pour un monde meilleur est en train d’augmenter. Peut-être pas assez vite, mais elle ne recule pas. Nous le constatons au sein des pays du Commonwealth avec le succès d’une série d’opérations et de programmes.

 Est-ce que dans cette avancée lente, le respect du droit des femmes est également en augmentation dans les pays du Commonwealth ?
— Absolument ! Je vous en donne un exemple : je viens de participer à un séminaire aux Barbades sur la manière d’augmenter la participation des femmes dans le gestion politique du pays. J’ai eu l’occasion de rencontrer Mme Mia Motley – la première femme Premier ministre de ce pays des Antilles, une femme absolument remarquable – et de découvrir la détermination des femmes de ce pays de participer à son développement à tous les niveaux. Mais encore une fois, cela dépend des pays et du niveau de l’engagement des femmes pour mettre fin aux discriminations. Nous avons demandé aux gouvernements des pays du Commonwealth de faire du respect des Droits des femmes une de leurs priorités, et beaucoup l’ont fait. Nous avons également demandé aux pays membres d’inclure dans leurs priorités le respect des Droits des enfants et la ratification des conventions internationales à ce sujet.

C’est une chose de signer une convention internationale et une autre de la respecter en mettant ses règlements en application !
— Nous mettons l’accent sur le fait que les conventions signées doivent être mises en pratique, qu’il s’agisse des droits des femmes, des enfants, de l’accès à l’éducation, à la santé, au logement, au transport. De tous ces droits qui doivent être respectés pour permettre au monde et à ses habitants – hommes, femmes et enfants – de vivre mieux.

l Dans la présentation pour les ateliers organisés à Maurice, cette semaine, l’accent est mis sur le fait que 60% des habitants des 54 pays du Commonwealth sont âgés de moins de 30 ans. Est-ce que les jeunes citoyens du Commonwealth sont plus sensibles au respect des Droits humains que leurs aînés ?
— Nous focalisons notre action de promotion des Droits humains sur l’ensemble des pays du Commonwealth, car le respect de ces droits nous concerne tous, quel que soit notre âge. Je ne dirais pas que les jeunes se sentent plus concernés que leurs aînés par ces questions. Mais cela étant, il est évident que beaucoup de jeunes expriment à travers des organisations et sur les réseaux sociaux leur intérêt pour le respect des Droits humains et l’écologie, par exemple, et s’engagent souvent sur ces questions.

Vous êtes à Maurice pour participer à des ateliers to “train the trainers” sur la question du respect des Droits humains. Beaucoup d’organisations internationales organisent régulièrement ce genre de formation. Ce qui m’amène à la question suivante : est-ce qu’au 21e siècle, on a encore besoin de faire la promotion des Droits humains ? Est-ce que ce concept ne fait pas naturellement partie des valeurs du quotidien des êtres humains ?

— Je ne le pense pas. Comme je vous l’ai déjà dit, il faut du temps, beaucoup de temps, pour faire oublier des concepts qui existent depuis des années et ont fait partie de ce que l’on croyait être les bonnes “valeurs” de la société . C’est pour cette raison qu’il faut continuer à faire la promotion du respect des Droits Humains, faire réfléchir sur cette question qui semble évidente et aller de soi, mais qui ne l’est pas. En tout cas, pas assez. D’où la nécessité des séminaires qui sont organisés à Maurice, ces jours-ci.

 Peut-on imaginer un monde où le concept du respect des Droits humains sera non seulement compris et accepté, mais pratiqué par tous les habitants de la planète en commençant par les gouvernements, faisant partie ou non du Commonwealth ?
— C’est une question complexe puisque la réponse dépend de tellement d’acteurs : les gouvernements, les populations, les communautés, les religions, sans compter le développement technologique qui permet une plus grande diffusion et compréhension de l’information. Qui peut aujourd’hui prédire ce que le monde sera dans quelques années? En attendant, il faut continuer à promouvoir et informer sur les Droits humains pour qu’ils deviennent des valeurs naturelles de la société, celles qui font partie des qualités enseignées dès le plus jeune âge à l’école, dont chaque être humain doit être fier de mettre en pratique dans sa vie quotidienne. Je dois dire qu’une réflexion a été déjà engagée sur le fait que les Droits de l’homme  fassent partie des sujets enseignés aux jeunes élèves dans les établissements scolaires.

Que souhaitez vous dire pour conclure cette interview ?
— J’aimerais remercier le gouvernement mauricien, l’unité des Droits humains du ministère des Affaires étrangères, plus particulièrement Mme Asha Burrenchobay, pour l’organisation des deux séminaires. Je remercie aussi les représentants du secteur privé et des ONG qui y ont participé. C’est grâce à de telles manifestations que le Commonwealth Secretariat peut faire son travail de promotion et d’information sur les Droits humains. Je le répète, une fois de plus : ce travail de promotion et de formation pour les jeunes leaders est indispensable pour faire avancer et triompher le concept du respect des Droits humains. Je remercie aussi la presse qui, en couvrant ces manifestations, participe à la promotion du respect des droits indispensables à l’évolution de la société.

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