Construction : Les petits contracteurs dos au mur

«Lavi bien ser. » Cette phrase est sur les lèvres de bien de Mauriciens depuis le début de l’année. Outre le panier de la ménagère qui commence à peser sérieusement lourd pour le porte-monnaie, il y a aussi la brouette du constructeur qui s’alourdit, et par conséquent, le portefeuille de nouveaux acheteurs lui se désemplit.

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Une table ronde s’est tenue la semaine dernière avec une cinquantaine de petits et moyens contracteurs locaux et les représentants du Construction Industry Development Board (CIDB). Une session de dialogue qui a permis d’identifier les défis auxquels ces petits entrepreneurs — bien moins lotis que les gros contracteurs — doivent faire face. Ram Bahadoor, Executive Director du CIDB, nous en parle.

« Quand le bâtiment va, tout va. » Cet adage populaire est devenu le leitmotiv post-pandémique de nombreux pays, dont l’île Maurice, qui a décidé de continuer à investir massivement dans les infrastructures publiques. Toutefois, loin des grands chantiers gouvernementaux, il y a le citoyen lambda tributaire des demandes de son contracteur, des prix de matériaux de construction qui vont crescendo, de la banque et des délais… Pour tenter d’éponger la casse au niveau des consommateurs, les autorités ont tenté d’ouvrir le dialogue avec lesdits contracteurs.

« Les grands contracteurs ont les moyens solides pour se défendre, mais pas les petits », indique Ram Bahadoor. Il explique que les petits et moyens contacteurs représentent 95% du total de contracteurs, mais qu’ils n’ont accès paradoxalement qu’à 30% du marché.

Mauvaise foi de certains

Parmi les défis évoqués par les contracteurs présents à la session plénière, le CIDB a noté quatre points : le manque de main-d’œuvre, la disponibilité de matériaux de construction, les inégalités entre grands et petits contracteurs et finalement les incohérences contractuelles et légales au détriment des petits entrepreneurs.

« À Maurice, les ouvriers ne sont pas nécessairement formés correctement et ils n’arrivent pas à deliver the goods », indique Ram Bahadoor, qui explique que la main-d’œuvre est un problème récurrent. Il avance que pour pallier ce manque de travailleurs, beaucoup se tournent vers la main-d’œuvre étrangère qui vient elle aussi avec son lot de problèmes. « Le mécanisme de recrutement est à revoir, car quand les contracteurs passent par des agences de recrutement, bien souvent ils obtiennent des ouvriers inexpérimentés. » Aussi, il y a le souci d’ouvriers étrangers qui « disparaissent dans la nature, en plein milieu d’un chantier », ce qui retarde l’avancement des travaux.

Par ailleurs, Ram Bahadoor souligne que malgré toute la bonne volonté des travailleurs étrangers, ils finissent par se laisser influencer par quelques travailleurs locaux qui n’ont parfois pas bonne réputation. « C’est dommage, car les travailleurs étrangers ont meilleure réputation en termes de productivité et en arrivant sur le chantier et en voyant leurs pairs mauriciens qui ont tendance à ne pas être sérieux, ils finissent par faire pareil. »

Manque de matériaux

Outre la main-d’œuvre, l’industrie des petits et moyens contracteurs fait face à un souci majeur dans la conjoncture entre crise sanitaire et guerre russo-ukrainienne : l’augmentation et la non-disponibilité des matériaux de construction.

« Outre les coûts qui augmentent, les petits contracteurs n’arrivent pas à obtenir les matériaux nécessaires dans les délais accordés. Ils avancent que les gros contracteurs, eux, peuvent commander en gros et qu’ils raflent tout, tandis que les petits et moyens entrepreneurs n’ont que des miettes et ont du mal à négocier pour se trouver ce qu’il faut pour livrer le produit aux clients. » Des contraintes qui expliqueraient ainsi le retard accusé par les contracteurs dans la livraison de maisons, mais pas que. « Il y a aussi beaucoup de mauvaise foi de certains contracteurs qui abusent. Au CIDB, nous n’avons pas encore le pouvoir d’agir quand il y a litige entre contracteur et clients, mais nous restons à l’écoute et nous travaillons pour essayer de trouver une solution dans l’intérêt de tous », explique Ram Bahadoor.

Ce dernier soutient par ailleurs qu’il est essentiel de rester à l’écoute des gens de l’industrie qui reste un atout pour l’économie du pays. Ainsi, d’autres sessions plénières de ce genre sont à prévoir. « Autre point positif à relever, c’est que depuis le Covid, nous avons vu beaucoup de petits contacteurs s’enregistrer auprès du CIDB. C’est bon signe, car cela montre qu’il y a une sorte de regain de confiance et qu’ils ont senti qu’ils avaient besoin d’un coup de pouce des autorités pour essayer de se sortir de cette crise à tous les niveaux. »

Ram Bahadoor (CIDB) : « Il faut une revalorisation des métiers de la construction »

L’Executive Director du CIDB, qui compte plusieurs années dans le secteur de la construction, plaide pour une « revalorisation des métiers de la construction. » Il confie qu’à Maurice, les jeunes ne s’intéressent plus à la construction et que la « relève n’est pas là. » Un problème majeur pour l’industrie locale qui, pourtant, recrute beaucoup. « À Maurice, il faut apprendre à revaloriser ce métier. Le mot “maçon” est ici presque péjoratif, alors qu’ailleurs, notamment en France, des expressions plus valorisantes sont utilisées comme ‘techniciens de maison. On devait faire cela pour tous les artisans mauriciens, cela les mettrait plus en confiance. Ici par exemple, on aurait pu utiliser builder grade 1 au lieu d’utiliser maçon, qui n’est pas un mot dégradant en soi, mais qui est perçu de manière différente dans nos sociétés. C’est un gros travail qu’il faut absolument faire », conclut Ram Bahadoor.

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