PENSEURS DU SUD (N0.3) : L’Invention de l’Afrique (2021), V.J. Mudimbe

DR JIMMY HARMON

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La Journée de l’Afrique est commémorée chaque année afin d’agir ensemble pour renforcer l’unité africaine, favoriser la paix et la stabilité pour le développement et le progrès socioéconomique du continent. Le 25 mai est une date mémorable de la signature de l’acte constitutif de l’Organisation de l’unité africaine (OUA) en 1963, devenue par la suite l’Union africaine (UA) en 2002, à Addis-Abeba en Éthiopie par les Pères de l’indépendance africaine. L’Afrique compte 54 États. Sa superficie de plus de 30 millions de kilomètres carrés abrite plus d’un milliard d’habitants, soit près de 16 % de la population mondiale. C’est l’occasion de consacrer notre rubrique « Penseurs du Sud » à Valentin-Yves Mudimbe, philosophe et romancier congolais, actuellement professeur émérite de Littérature comparée au Duke University, États-Unis.

L’Exil

Valentin-Yves Mudimbe (devenu provisoirement Mudimbe Vumbi Yoka sous l’effet de la zaïrianisation) est né le 8 décembre 1941 à Likasi (anciennement Jadotville), dans la province du Katanga, République Démocratique du Congo. Dès son plus jeune âge, il se destine à la prêtrise. Il fréquente des séminaires jusqu’à faire son noviciat dans un monastère bénédictin. Mais, en 1962, le « métier » de la foi ne l’intéresse plus et il décide d’abandonner cette voie pour s’inscrire à l’université, où il fut l’élève du philosophe Franz Crahay. En 1970, il obtient un doctorat en philosophie et lettres à l’Université de Louvain. De retour au Congo, il enseigne à l’Université nationale du Zaïre (campus de Lubumbashi). Très actif dans les revues publiées alors au Congo (Présence universitaire, Congo-Afrique, Etudes congolaises), il joue aussi un rôle essentiel dans les éditions du Mont-Noir à Kinshasa et devient un opposant au régime autocratique de son pays.

En 1979, comme beaucoup d’écrivains zaïrois, il prend la route de l’exil pour fuir la dictature de Mobutu Sese Seko qui resta au pouvoir de 1965 à 1997. Cet exil le conduit aux universités Stanford et Duke des États-Unis. Sa publication The Invention of Africa est devenue un classique de la littérature des idées, sans doute un des livres les plus lus dans les études africaines des universités américaines.

L’Invention de l’Afrique

The Invention of Africa paraît en 1988. Trente-trois ans après sa parution en anglais, le livre de Mudimbe gagne maintenant le milieu francophone. Il est une œuvre essentielle pour soustraire l’Afrique de la pensée coloniale, qui est rapidement devenue célèbre auprès des africanistes anglophones et francophones travaillant dans diverses disciplines des sciences humaines et sociales dont la philosophie, l’histoire intellectuelle et culturelle de l’Afrique, les African Studies, l’anthropologie et la littérature. L’Invention de l’Afrique, Gnose, Philosophie et ordre de la connaissance (2021) est traduit par Laurent Vannini en français chez Présence Africaine. Cette première traduction en français est assortie d’une préface de l’historien sénégalais Mamadou Diouf, directeur du Centre d’études africaines de l’université Columbia et initiateur du projet, qui situe L’Invention de l’Afrique à la croisée de l’anthropologie politique, des études postcoloniales et de la philosophie. Le livre (513 pages) contient quatre chapitres : Discours du pouvoir et connaissance de l’altérité ( chp.1), Questions de méthode ( chp.2), Le pouvoir de la parole ( chp.3), Edward Wimot Blyden : Héritage et questionnements ( chp.3) et La patience de la philosophie ( chp.4). La conclusion est intitulée ‘La géographie du savoir’ qui souligne la nécessité de repenser l’Afrique en toute indépendance des « grands frères » (les penseurs du Nord). La liste bibliographique à la fin du livre s’étale sur 63 pages. C’est dire le répertoire immense que Mudimbe entreprend pour analyser la construction conceptuelle de l’Afrique. Mudimbe parle de ‘gnose’ et non de ‘connaissance’ sur l’Afrique et de l’Afrique. La gnose, que Mudimbe emprunte à la théologie chrétienne, désigne un ensemble de savoirs non imposés par le système colonial. Dans cet ensemble de savoirs, il nous permet de comprendre la structure colonisatrice entre autres.

La structure colonisatrice

L’organisation coloniale est constituée de trois éléments, notamment les procédures d’acquisition, de répartition et d’exploitation des terres dans les colonies ; les politiques de domestication des populations autochtones ; et les dispositifs visant à l’administration des anciennes formes d’organisation et à la mise en œuvre de nouveaux modes de production. Dès lors surgissent trois principes et actions politiques complémentaires menant à la domination de l’espace physique, la réforme des esprits des autochtones et l’intégration des histoires économiques régionales dans la stratégie occidentale. C’est cette structure colonisatrice qui bloque l’indépendance totale de l’Afrique. Mudimbe explique que le Japon est l’exemple d’un pays qui n’a pas connu de colonisation européenne et l’absence d’une telle structure colonisatrice l’a permise de se développer, même si le pays a connu un tel désastre comme la Deuxième Guerre mondiale. Ceci nous amène à penser à la place du passé dans le présent. Le Ghana a un mythe intéressant à ce propos.

Sankofa, l’Oiseau Mythique

Sankofa signifie dans le langage Akan du Ghana « retour aux sources », ou encore « se nourrir du passé pour mieux aller de l’avant ». Le mot SANKOFA est dérivé des mots SAN (retourne), KO (va), FA (ramène). Cela symbolise la quête Akan de la connaissance, quête fondée sur l’examen critique, et l’investigation intelligente et patiente. Le symbole représente un oiseau mythique qui vole vers l’avant, la tête tournée vers l’arrière. Cela reflète la croyance Akan selon laquelle ‘le passé sert de guide pour préparer le futur’, ou encore ‘la sagesse qui permet de tirer les leçons du passé construit l’avenir’. Les Akan croient qu’il faut avancer avec le temps, mais que tout au long du chemin, il faut cueillir les ‘trésors’, les ‘perles’ du passé, pour qu’ils nourrissent le futur. Dans le système militaire Akan, ce symbole signifiait l’arrière-garde, la section sur laquelle reposait la survie même de la société et la défense de son héritage.

Conclusion

Quels sont les ‘trésors’ et ‘perles’ que nous devons chercher dans notre passé pour avancer ? En quoi nos mythes sont des pouvoirs et des savoirs ? D’ailleurs, on dit que ‘myth makes history timeless’, n’est-ce pas ?

 

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