Le bal des mafieux

Ceux qui, dans l’urgence et aux forceps, ont accouché de la Côte d’Or International Racecourse and Entertainment Limited (COIREL), n’avaient visiblement pas anticipé la suite des événements. Leur stratégie, ou du moins leur bricole à la petite semaine, aura connu un nouvel épisode ridicule, vendredi.

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Voilà une compagnie à l’appellation probablement délibérément choisie comme une entité bien régionale, un symbole, question de l’associer à l’infrastructure sportive qui s’y trouve déjà et qui est considérée comme la nouvelle capitale politique du pays parce qu’elle se trouve dans la circonscription du Premier ministre, se retrouve gestionnaire du terrain de l’État à… Port Louis qui abrite le plus vieil hippodrome de l’hémisphère sud.

Décidément mal parti, cette COIREL ou querelle, qui a à peine un mois d’existence, a déjà enregistré sa première défection. Dev Beekharry qui, selon ses critères très particuliers d’éthique et de moralité et ceux de ses parrains politiques, avait décidé et crié sur tous les toits qu’il n’y avait aucun conflit d’intérêts d’être le conseiller du Premier ministre, un directeur de la Gambling Regulatory Authority, le régulateur, et de siéger aussi sur le conseil d’administration de la COIREL, a dû finalement se retirer. Une nouvelle illustration de la mentalité de «guvernma dan nou lame». Et que, donc, tout est possible!

Toutes ces agitations et décisions autour du milieu hippique, prises au jour le jour, alors que le pays est confronté à de multiples problèmes bien plus urgents – hausses en cascade, difficultés des ménages les plus pauvres et des familles mono-parentales – ne doivent pas nous faire perdre de vue que leur finalité est de mettre le grappin, par acteurs douteux interposés, sur le secteur du jeu, connu pour être le lieu tout trouvé pour le blanchiment de l’argent sale.

Drogue, jeux, courses hippiques. Un triptyque vieux comme le monde et qui a pris de l’ampleur ici, ces dernières années, comme au plus fort des années 83/90,  avec ses Amsterdam Boys et ses trafiquants notoires de la capitale qui se pavanaient à la State House lors des garden-partys.

Week-End révélait, la semaine dernière, photos à l’appui, les accointances d’un couple interpellé pour trafic de drogue à Roches-Brunes, dont une femme connue pour être extrêmement proche de la direction du Muvman Liberater.

Une affaire qui ressemble à celle du chauffeur privé du ministre Alan Ganoo, spécialisé dans la livraison à domicile du cannabis dans des «gated communities» de la côté ouest. Et c’est ce ministre, pour ne pas dire ce minable qui a glosé sur ceux qui n’ont pas jugé utile d’intervenir, mardi, sur son texte criminalisant l’usage de stupéfiants au volant, sauf la drogue synthétique, de loin la plus consommée en raison d’un crack down sans discernement sur les consommateurs du gandia!

Ces trafiquants qui gravitent dans le giron de politiques en vue, cela aurait, en d’autres temps, fait scandale et causé un très vif émoi dans l’opinion, suscitant une réaction immédiate et forte des mis en cause et de leurs fréquentations intimes.

Non, on semble s’habituer à l’invraisemblable et s’accommoder de l’inacceptable. Parce que ce n’est pas le premier cas de trafiquants en tous genres qui gravitent autour des puissants. Les collusions troubles et suspectes sont apparemment devenues banales.
Si un cas ne choque pas, leur multiplication doit pourtant interpeller. Depuis 2014, il y a eu, certes, des saisies spectaculaires, mais dans de nombreux cas, les prévenus présentent une double caractéristique, leur proximité avec les membres les plus influents du gouvernement et leur présence dans le milieu hippique.

Lorsque Navin Kisnah a été finalement arrêté hors du pays en 2017 alors qu’il était recherché pour implication dans la saisie de la plus importante quantité d’héroïne: 157 kilos valant Rs 2,3 milliards, le lien avec les courses a très vite été établi. Il était présent dans certaines écuries et jouait gros.

La police n’a pas encore réussi à établir comment avaient pu être levés les fonds totalisant Rs 400 millions pour l’importation de cette drogue. Un autre des protagonistes de la même affaire, Geanchand Dewdanee, un habitué du Sun Trust et du ministère des finances du temps où Pravin Jugnauth y trônait, a fini par être mis hors de cause au terme d’une enquête policière dont la qualité et l’intégrité restent à être établies.

Un autre présumé trafiquant a aussi été vu en compagnie de la direction du MSM. Il s’agit de Shakeel Baulum, employé du port et activiste du PTr au no 2 qui a vite fait de passer au Sun Trust. Il a été arrêté suivant la saisie de Rs 30 millions de cannabis sur le LSS Success.
Pour les frères Gurroby, même schéma où on découvrira très vite que la politique n’est jamais très loin. Les membres de cette famille de Grand Baie avaient été interpellés après la découverte de 243 kilos d’héroïne et 27 kilos de haschich dissimulés dans un terrain en friche à Pointe aux Canonniers.

Pour ne pas changer, un rapide examen du chemin emprunté par les trafiquants a mené au Champ de Mars. Et ce n’est pas avec des quidam qu’ils fricotaient. Ils étaient co-propriétaires avec Roopchand Callychurn, père du ministre Soodesh Callychurn, d’un cheval nommé Shadowing. Les Gurroby étaient connus, eux aussi, pour être de gros parieurs.

Tout cela suscite des interrogations sur les enquêtes policières et sur le rôle de l’ADSU. Que valent les saisies spectaculaires, les petits millions confisqués, alors que ce commerce engendre des milliards et que la MRA harcèle de petits salariés?
Si elles n’aboutissent pas au démantèlement des réseaux et à mettre vraiment hors de nuire des parrains, à quoi servent-elles? Reza Uteem a eu parfaitement raison de défier Pravind Jugnauth, lors des débats sur la motion de censure de Xavier Duval, de donner le nom d’un seul gros trafiquant qui a été condamné depuis qu’il est Premier ministre.

Tout cela fait que les manœuvres, l’obsession pour prendre le contrôle du secteur hippique sont claires. Doper le bal des mafieux.

Josie Lebrasse

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