Lors de la Journée du patrimoine, dimanche 9 mai, le château de Labourdonnais a attiré plus de 1 000 visiteurs. Lundi, c’était au tour de six élèves du collège Swami Vivekananda de découvrir ce domaine qui comptera pour leur projet de Travel and Tourism aux examens du HSC. Le Château de Labourdonnais, c’est avant tout un art de vivre du 19 siècle : style victorien, meubles délicats, papiers peints à motifs floraux, lustres en baccarat. Esquisse intemporelle.
Arpenter les allées du domaine de Labourdonnais, autrefois une exploitation agricole dotée d’une impressionnante variété d’arbres fruitiers, et marcher sur le plancher du château, c’est avant tout éprouver la sensation d’être dans la peau d’une châtelaine. Tout n’est que ravissement sur le passage ! Il y a d’abord la grande véranda qui marque un arrêt sur le temps et qui permet à l’esprit de restituer le contexte du 19e siècle propice à un certain art de vivre.
L’intérieur est d’autant plus impressionnant avec la finesse de marqueterie des parquets cirés, le choix des lustres en baccarat, des vitres avec des impressions arabesques sous forme d’oiseaux, sans oublier les armoiries de l’ancien maître des lieux, Christian Wiehe, dont la trace perdure dans chaque coin et recoin du château.
La rêverie s’interrompt avec le sympathique Bernard Maurice, Museum Coordinator and Curator, qui rappelle que cela a été un vrai défi de faire du château de Labourdonnais un lieu culturel vivant où se côtoient histoire, flore, vergers, gastronomie, sans omettre le savoir-faire des artisans locaux.
« Le château est une ancienne résidence privée ouverte au public en 2010. Il y a eu un travail de restauration conséquente pour redonner de l’éclat à cette résidence qui s’effilochait avec les intempéries et les termites. Tous ont été unanimes à opter pour sa préservation. Des experts français ont été mandés pour mettre en place également un projet de musée sucrier souterrain qui remonte à 2006, et qui est aujourd’hui une réalité », dira Bernard Maurice.
Fleuron du patrimoine
L’idée est de faire de ce lieu un fleuron du patrimoine pour perpétuer l’histoire du domaine sucrier. En outre, cette résidence offre l’aspect d’une belle dame coloniale avec ses parures en dentelles sortie tout droit de l’ère victorienne.
Le Château de Labourdonnais, restauré en 2007, indique Bernard Maurice, raconte aussi l’histoire de la famille Wiehe. Jacob Wiehe, un négociant danois, marié avec une Mauricienne avec des origines françaises, aura un fils, constructeur et bâtisseur du château, Christian. Ce dernier aura le mérite d’avoir recours au talent d’un jardinier nantais, Jean-Baptiste Crumpy. Le jardinier émérite apportera, lors de son escale dans l’île, des semences, des plantes rares des maisons très connues de France. Christian Wiehe deviendra propriétaire du lieu grâce à son union avec Émilie Bourgault, ce qui lui a permis d’administrer le domaine en 1848, et de racheter toutes les parts pour en devenir l’unique propriétaire.
L’histoire nous apprend aussi que cette propriété est à l’origine une ancienne concession obtenue en 1774, par deux orphelines, Marie Louise et Henriette Tréouart de Longpré. C’est un certain Jean Baptiste Germain qui sera l’acquéreur d’une partie des terres en 1814. Il avait eu la brillante idée de construire la première sucrerie. Site qui a été racheté par Jacques Chasteigner du Mée en 1829. À son décès en 1829, le domaine sera entre les mains de Mmes Aubin et Bourgault qui le nommeront Labourdonnais en restant les uniques héritières jusqu’en 1847, jusqu’au mariage de la fille de Mme Bourgault, Émilie, à l’influent homme d’affaires Christian Wiehe.
Christian Wiehe qui siégeait alors au Conseil législatif à la Chambre d’Agriculture, décide de démarrer l’édification du château en 1859. Aujourd’hui, on en est à la septième génération des Wiehe. Et c’est M. Lagesse, descendant des Wiehe, qui continue de perpétuer la mémoire familiale de cette sublime résidence.
Le côté solaire du château
Bernard Maurice se souvient de son enfance alors qu’il passait devant le domaine. Il a fait cette étonnante comparaison du domaine aux grandes plantations de la Louisiane. « Toutes les maisons créoles de Maurice sont captivantes. En devenant le coordinateur de la restauration du patrimoine du château, j’ai gardé en mémoire l’ambiance, voire l’art de vivre sous les varangues comme je le faisais chez ma grand-mère. Ici, au château, le style est victorien, comme le prouve un papier de tapisserie originale de la salle à manger retrouvé dans les tiroirs du salon lors des travaux de restauration », dit-il.
Autrefois, il y avait au château le goûter d’Antoinette où le rituel du thé et biscuits d’antan, mis en parenthèse avec la pandémie de Covid-19. Mais la réouverture des frontières a insufflé un nouvel élan lorsque le château a rouvert ses portes au grand public pour apporter un côté solaire.
L’arrivée des six élèves du collège Swami Vivekananda a vite fait de mettre de l’ambiance au château. Âgées entre 18 et 19 ans, elles sont Shazia Mutty, Zakiyyah Boodhumeah, Ruzainah Shaik Abdul Cader, Aliah Islam, Aïsha Osman et Nabihah Gunnoo. Selvee, la guide du château, en connaît tous les recoins. Elle évoque la belle architecture coloniale, son raffinement, les trésors horticoles que renferme le verger de Labourdonnais, tout en précisant que le domaine est une exploitation agricole qui continue de prospérer avec sa rhumerie et la plus importante production fruitière du pays.
Monogramme de Christian Wiehe
Les six élèves découvrent le style victorien, notamment des meubles d’origine. Et pour éviter un incendie, car la résidence est faite en bois, les propriétaires d’antan avaient opté pour une cuisine se trouvant dans un pavillon extérieur, connu aujourd’hui comme les salles de conférences Ernest Wiehe. Il fallait traverser la cour pour porter des plats et des boissons à la résidence.
Dans une autre aile du château avec des étagères d’un bleu azur, toute la vaisselle de la famille Wiehe semble n’avoir pris aucune ride. Le “godon” de Labourdonnais a gardé sa couleur initiale, soit un bleu qui rappelle la même teinte trouvée dans la salle à manger.
Le souci du détail est omniprésent. Selvee évoque le mobilier en acajou importé d’Angleterre, de France et cette grande table disposée dans la salle à manger pouvant réunir 25 personnes. Impossible de manquer ces imposants papiers peints, avec des motifs floraux, à l’origine de la manufacture française Jules Desfossé.
Le papier panoramique peint à la main de l’atelier alsacien, Jean Zuber, est celui qui retient l’attention, disposé sur les murs de la salle à manger, il représente des paysages d’Europe du 19e siècle. Dans le salon, les élèves côtoient des meubles Second Empire de style Napoléon III. Pour des explications plus poussées, il faudrait s’attarder sur le pupitre de lecture qui dévoile tout le décor du salon dans le style et l’esprit du 19e siècle.
Shazia Mutty interroge Selvee sur plusieurs aspects de chaque pièce. Elle découvre en même temps que ses autres amies avec émerveillement le mobilier d’époque au monogramme de Christian Wiehe, son bureau. Des pupitres didactiques… Selvee fait état aussi de la contribution des artisans locaux lors de la restauration du lieu pour en garder jusqu’au bout le cachet authentique.
Les six filles ne sont pas au bout de leur surprise. Elles se familiarisent graduellement avec les bois divers, teck, chêne, palissandre. Toutefois, le coup de cœur de toute la bande ira vers la chambre à coucher d’Émilie Wiehe, la femme de Christian. Pour y accéder, il faut gravir les marches d’escalier décorées de moulures. La rambarde aide à marquer une pause, histoire de récupérer son souffle, avant l’entrée dans la chambre d’Émilie composée d’un lit à baldaquin, d’un prie-Dieu, de son secrétaire où elle écrivait ses lettres à ses enfants. Nabihah Bibi Gunnoo trouve que la chambre principale confère une touche féminine unique avec ses papiers peints. De plus, le rôle de la maîtresse de maison est fortement mis en avant à travers le choix de la décoration de sa chambre.
Au final, les filles ont eu l’impression d’avoir parcouru les pages d’un roman victorien. Mais ce n’était pas de la fiction, le rêve était réel. Elles sont reparties non sans avoir fait une halte dans les vergers de Labourdonnais, une autre au musée sucrier souterrain. Elles ont aussi appris qu’une distillerie se trouve sur le parcours, mais avec la pandémie, nul visiteur ne peut franchir le lieu. Elles sauront aussi que la fabrication de rhums agricoles se maintient sous deux formules, classique et fusion, qui sont proposées à la dégustation lors de la visite. Cette visite restera pour les six amies un souvenir mémorable, une histoire à raconter aux générations suivantes.
Impressions des élèves
Shazia Mutty : « Véritable immersion dans l’art de vivre du 19e siècle »
« C’est intéressant d’apprendre que le château de Labourdonnais était une maison remplie d’amour et de rires, où tous les enfants jouaient dans l’immense cour. Et certains jouaient même au domino, car il n’y avait pas de télévision. C’était la maison des Wiehe avec toute la famille vivant sous le même toit. Alors que tous les domestiques et ouvriers avaient aussi leur propre logement dans la cour. La pièce qui retient l’attention est celle de la chambre de Christian et d’Émilie Wiehe, où Émilie avait choisi pour papier peint des oiseaux et une fleur qui représente l’amour et la paix.
Hormis le berceau à moustiquaire, nous n’avons aucune idée de la disposition de la chambre des enfants, de leur type de lit et de déco. Je retiens que le domaine de Labourdonnais est l’un des lieux culturels les plus attractifs à visiter. L’ensemble du domaine, en particulier le château, constitue une véritable immersion dans l’art de vivre mauricien du 19e siècle. Bordé de part et d’autre d’arbres d’Intendance, le chemin menant au château convie les visiteurs à découvrir un lieu magique et culturel où l’histoire, la nature, la gastronomie et le savoir-faire mauricien se côtoient. »
Ruzainah Shaik Abdul Cader : « L’histoire mise en relief »
« C’est un endroit idéal pour se familiariser avec le mode de vie mauricien du 19e siècle. Cet endroit a été bien préservé et restauré et constitue un excellent moyen d’avoir un aperçu de l’histoire de cette belle île. Moi, personnellement, j’ai aimé la salle à manger qui peut accueillir 25 personnes à la fois autour d’un déjeuner ou d’un dîner, et qui préserve l’esprit de famille. »
Nabihah Gunnoo : « La chambre de Mme Wiehe est unique »
« J’ai appris l’histoire et la vie des membres de la famille Wiehe et comment ils vivaient dans ce château. J’aime beaucoup la chambre principale car la décoration intérieure est très féminine et assez unique. »
Aïsha Osman : « Beauté et antiquité se côtoient »
« J’ai bien retenu l’histoire de Christian Wiehe, descendant d’un immigrant danois. J’ai retenu cet esprit d’élégance de cette famille qui a conféré à ce lieu une touche qui allie beauté et antiquité, notamment pour la chambre, le salon, sans oublier le jardin. Ma visite au château s’insère dans le cadre d’une meilleure connaissance de l’endroit et de son histoire pour notre présentation qui aura lieu le 16 juin, pour le projet de Travel and Tourism pour les examens du HSC. »
Zakiyyah Boodhumeah : « Le jardin est impressionnant »
« J’ai appris beaucoup de choses au château de Labourdonnais, des anecdotes propres au lieu. J’ai beaucoup aimé le jardin, il est vraiment immense et servait aussi autrefois de terrain de jeu pour les enfants. Le jardin renferme une cinquantaine de variétés de plantes. C’était une aventure unique. »
Ruzainah Shaik Abdul Cader : « Ce patrimoine est une vraie attraction touristique »
« J’ai appris que c’était une grande maison familiale construite en 1859. Le château de Labourdonnais est l’une des attractions touristiques les plus populaires de Maurice. C’est un endroit idéal pour se familiariser avec le mode de vie au 19e siècle. Cet endroit a été bien préservé et restauré et constitue donc un excellent moyen d’avoir un aperçu de l’histoire de cette belle île. Le château était jadis entouré de champs de cannes à sucre, à l’origine de l’histoire du domaine où de nombreuses personnes y ont travaillé. La chambre est bien stylée et le salon est bien décoré avec des miroirs, de la tapisserie dans son originalité. C’est une visite qui fait partie de nos projets au collège et cela a été très enrichissant. »
Trésors horticoles des vergers de Labourdonnais
Outre des plantes endémiques, le parc recèle une cinquantaine de variétés de manguiers, des arbres à épices et des arbres fruitiers exotiques. Selon Bernard Maurice, Christian Wiehe a fait venir un horticulteur de La Réunion, M. Paillette, qui avait procédé à des greffes sur des arbres. D’où le succès. Pour commémorer la naissance de Pierre Poivre, le domaine avait organisé un événement en 2019.
Il existe deux vergers, l’un pour la production fruitière, et l’autre pour le visuel. Plus loin, près du vieux parc, on aperçoit Jeremy, la tortue d’Aldabra des Seychelles, âgée de 70 ans, et Polochon, une autre tortue mâle et trois tortues femelles qui se prélassent. Bernard confie que très prochainement une activité supplémentaire s’ajoutera à la liste.
Musée sucrier souterrain de plus de deux siècles
La nouvelle activité du département loisirs et événementiel est le musée souterrain, situé à côté de la vieille cheminée. Il faut y faire halte pour découvrir l’histoire sucrière de plus de deux siècles dans l’île. Tout a commencé par des tours en pierre qui apparaissaient dans les champs de canne et de formes rectangulaire ou ronde, bâties en pierre de lave noire finement taillée à près de 30 mètres. Ces vieilles cheminées d’usine ont été conservées pour leur valeur symbolique et historique et datent du milieu du 19e siècle.
Sur place, on aperçoit d’anciens couloirs d’usine appelés « carreaux » dans lesquels des chaudières étaient enterrées en haut des fourneaux. Bernard Maurice explique que, comme on apportait le blé au moulin pour qu’il devienne farine, on transportait aussi la canne aux moulins pour en extraire le jus et produire ces petits cristaux délicieux, le sucre.
Telle une sentinelle dans le paysage mauricien, ce musée sucrier souterrain est le témoin du riche passé des habitations sucrières. Ces bâtiments des plantations sucrières font partie intégrante du patrimoine de la période préindustrielle.
Billetterie
Sur présentation d’une carte de permis de résidence ou de la carte d’identité mauricienne, le tarif adulte pour la visite du château est de Rs 200, et celui des enfants est de Rs 100. La réduction s’applique également pour les autres activités. Ainsi, pour le musée souterrain, le tarif est de Rs 200 pour les non-résidents et de Rs 100 pour résidents. Pour les établissements éducatifs et les associations, le tarif est de Rs 100.