Si le Premier ministre, Pravind Jugnauth, accepte le défi de Sheila, une mère de famille de Camp-Levieux en situation de précarité, elle lui céderait volontiers sa place. Le temps, dit-elle, qu’il comprenne le quotidien des plus pauvres du pays. Il comprendrait alors, affirme-t-elle, pourquoi des hommes et des femmes dans la même situation qu’elle “inn fer dezord” la semaine dernière pour manifester contre l’augmentation des prix de produits de consommation. Ils ont manifesté, crié, bloqué les rues…, mais il n’y a pas eu grand-chose de changé.
“Je l’invite à vivre notre quotidien. Qu’il vienne vivre dans les mêmes conditions que nous. Je parie qu’il ne tiendra pas un jour”, scande Sheila, une mère de famille et habitante de Camp-Levieux. “Il”, c’est le Premier ministre, Pravind Jugnauth. “Mo pa kone si li li’nn tann nou”, dit-elle déçue. La déception après la déclaration du chef du gouvernement qui commentait les événements sociaux, de l’Inde où il était en visite la semaine dernière, a été grande à Camp-Levieux. Pravind Jugnauth avait associé les manifestations à Camp-Levieux et ailleurs à des personnes dont l’objectif visait à mettre en péril la paix dans le pays. “Li’nn dire nou’nn fer dezord. Wi, nou’nn fer dezord. Nou ti fer dezord parski nou ti ankoler”, poursuit la mère de famille.
Tous, nous disent des habitants, croyaient que le Premier ministre aurait compris l’inquiétude des foyers face à la montée des prix de produits de consommation. “Il n’y a que les riches qui ne vont pas ressentir ce que nous devons vivre tous les jours. Au lendemain même des manifestations, j’ai été acheter des couches pour mon enfant. Mo ti pe pey kous baba Rs 500. Sa zour-la mo trouv pri inn ariv preske Rs 700”, confie encore Sheila.
A Camp-Levieux, les débris, traces visibles de la colère des résidents qui avaient exprimé leur sentiment de ras-le-bol contre la hausse des prix de produits de consommation, ont été enlevées.
Barkly demande à Ganoo de l’écouter
Les rues ne grondent plus. L’écho de la voix des mères indignées et impuissantes face à leur pouvoir d’achat en chute libre ne résonne plus. Mais dans les appartements de la NHDC et des maisons, la frustration ne s’est pas pour autant estompée. En haussant le ton, brandissant des pancartes, brûlant des pneus et un vieux matelas, ils ont attiré l’attention de tout un pays. Des foyers au bas de l’échelle, de la classe moyenne, voire de la classe moyenne supérieure se sont identifiés dans leurs griefs.
Depuis, rien n’a changé dans la vie de ceux qui ont scandé halte à l’augmentation des prix du carburant, du gaz ménager et des produits alimentaires. “Comme on ne nous a pas entendus, rien n’a changé. Il ne nous reste qu’à attendre et voir si le prix du pain va augmenter” expliquent des habitants de la région. “Nous pensions qu’il y aurait une baisse de prix de certaines commodités. Mais nous n’avons pas protesté pour rien”, affirment des habitants de Camp-Levieux. “Boukou lizie fi’nn ouver lor problem ki gagne pou aste manze”, poursuivent-ils. Les patrouilles par des éléments de la Special Mobile Force et de la Special Support Unit de la police se font régulièrement. Cette présence, pour dissuader toute tentative de soulèvement populaire, est perçue comme une mise en garde. “Cependant, avance Sheila, je crois que s’il faudra encore descendre dans les rues, nous le ferons à nouveau.”
Plus loin, à Barkly (Beau-Bassin), où la nuit du 22 avril a été mouvementée, on demande aux autorités, plus précisément au ministre ministre du Transport et du Métro léger, Alan Ganoo, de faire preuve d’attention à leur demande. “Nous aurions souhaité participer au projet pour embellir l’alignement du métro à Barkly”, disent-ils. Ce projet pour un environnement vert s’étendra de Rose-Hill à Port-Louis. “Mais nous pensons que le contracteur qui a décroché le contrat pour le landscaping ne fera pas appel à nous. Soit ! Mais il est question d’installation d’échoppes à proximité des stations. Que les autorités donnent l’occasion aux habitants de Barkly de participer dans les activités économiques liées au passage du métro chez nous”, poursuivent-ils. Cette même demande avait été formulée auprès du prédécesseur d’Alan Ganoo, en l’occurrence Nando Bodha. Cependant, ce dernier n’avait pas donné suite à la requête des habitants avant son départ du gouvernement.
Barkly, nous confie-t-on encore, attend que la mairie de Beau-Bassin/Rose-Hill ou toute autre autorité de l’Etat s‘occupe de l’ancienne foire où une structure en décrépitude et le terrain à l’abandon sont un eye-sore pour le quartier. Si les actes de révolte à Barkly ont pris une autre tournure, allant jusqu’à agacer certains habitants, il n’empêche que les résidents estiment qu’en intégrant la communauté dans des projets publics, non seulement l’Etat lui démontrerait de la consideration, mais cela encouragera le sentiment d’appartenance à la région. “On s’en prendra moins aux infrastructures”, avance un père de famille.
Dans la journée de dimanche dernier, des habitants de Barkly avaient retroussé leurs manches pour enlever des pierres et nettoyer les rues où il y a eu des foyers d’incendie. Les pompiers leur ont prêté main-forte et ont lavé le bitume. La tension à baissé. Avec une équipe de volontaires, le père Jean-Claude Veder avait sillonné le quartier pour être à l’écoute des résidents le week-end dernier. De cette tournée, il ressort que Barkly veut à tout prix être partie prenante de son développement. C’est le message qu’il veut faire passer après les dernières manifestations.