Dériverait-on vers un « État voyou » ? Prions sincèrement que non ! Néanmoins, beaucoup de signes avant-coureurs sont là. L’incident dont a été victime le président du Bar Council, Me Yatin Varma, le gros imbroglio autour du Champ-de-Mars et de la reprise de la saison hippique, et, dans le rétroviseur, ces Mauriciens de partout qui sont descendus dans les rues… Tout cela n’est pas très rassurant. Et avec un Pravind Jugnauth qui esquive les médias, le climat de “social unrest” ne peut que s’amplifier, hélas !
Seuls ceux qui optent pour ne pas « get realite an fas nou figir », et donc de se voiler la face, ne pensent plus aux vives tensions du vendredi 22, où des heurts avaient éclaté dans différentes localités du pays. De Port-Louis à Résidence Mangalkhan, en passant par Camp-Levieux, Trou-d’Eau-Douce, Barkly, Chemin-Grenier, Vallijee, Baie-du-Tombeau et Cassis, une foule de compatriotes ont en effet dit « Assez ! ». Et ça, on ne peut pas dire qu’on ne le voyait pas venir…
Instantanément, des scènes de février 1999 sont revenues en mémoire. À Barkly, vendredi dernier, des policiers ont même fait usage de balles, faisant des victimes parmi la foule. Du côté des agents également, on a dénombré des blessés. Mais heureusement, pas de morts. La colère gronde de plus en plus, et la rue n’hésite désormais plus à se faire entendre.
D’ailleurs, cette révolte sourde et silencieuse demeure latente. Elle ne s’est pas envolée avec la libération sous caution de Darren Activiste. Parce que cette tension monte dangereusement au fond d’une foule grandissante de Mauriciens, toutes communautés confondues, depuis beaucoup (trop ?) de jours déjà. Et elle a commencé à exploser avec les augmentations, coup sur coup, en 24 heures, du gaz ménager et de l’essence. Deux commodités de base pour l’ensemble de la population, utilisées au quotidien pour se nourrir et subvenir aux besoins des familles.
De ce fait, prendre le parti, comme l’ont fait les élus de la majorité, de tout mettre sur le dos de « quelques politiciens et stratèges », et d’établir des parallèles avec les « émeutes Kaya », pour mieux pointer du doigt un ou plusieurs adversaires politiques, relève d’une tentative plutôt maladroite. La source de la grosse colère des Mauriciens part d’une mauvaise gestion du gouvernement en place. Sertie, surtout, d’un manque total de dialogue !
Ces deux années de Covid-19 ont poussé à bout les Mauriciens. Les confinements ont révélé leurs lots de plumage du peuple par quelques proches du pouvoir sans scrupule. Une culture d’impunité pour ceux-là, en comparaison avec une police éclair et brutale envers ces rares citoyens qui osent élever la voix, ajouté aux bouleversements économiques découlant du conflit russo-ukrainien, et on obtient un cocktail explosif.
Aussi longtemps que le gouvernement de Pravind Jugnauth se murera dans son refus de dialoguer avec le peuple, ce qui est perçu comme une arrogance du pouvoir, cette pression augmentera. Lentement, mais sûrement. Il n’y a pas de formule magique. Le chef du gouvernement et ses bouledogues du jour peuvent cibler autant qu’ils veulent des personnes qui sont peut-être derrière certains agissements (encore faut-il le prouver). Mais tant qu’ils persistent à camper sur ce statu quo et à prendre certaines mesures sans consulter ni le peuple, ni la société civile, notre situation ne peut hélas qu’empirer.
Le Premier ministre a prouvé qu’il a entendu le peuple en énonçant des mesures prises mardi au Parlement. Soit. Mais évidemment, c’est loin d’être suffisant. Et insinuer que ceux qui ont manifesté leur colère sont « manipulés », c’est insulter l’intelligence de tout un chacun. Ce peuple attend en effet de Pravind Jugnauth qu’il ait l’humilité de venir à sa rencontre, en toute simplicité. Comme le ferait un leader soucieux du bien-être des siens, pour discuter de plans et de mesures rapides à prendre, dans un respect total des uns et des autres, et en mettant de côté les querelles partisanes. Ce n’est ni le moment, ni l’endroit. Cette crise actuelle est inédite.
Ventre affamé n’a point d’oreilles. Nous n’en sommes pas trop loin. Autant mettre rapidement en place des projets solides et sérieux destinés à remplir l’estomac de ceux qui souffrent le plus. Et surtout, d’éviter que des enfants dorment le ventre vide !