Après la voix citoyenne, place à la voix des experts en géologie. La Roches Noires Smart City (RNSC), qui devrait couvrir 358 hectares de forêts vierges, d’étangs et de tunnels de lave, est en gestation. L’échéance du 30 avril pour soumettre les commentaires publics approchant à grands pas. Week-End a reçu l’avis d’experts locaux et internationaux qui tirent la sonnette d’alarme sur un des plus « jeunes » sites de coulée de lave à Maurice et sur l’urgence de préserver les « cathédrales géologiques ».
« Roches-Noires et la Plaine-des-Roches sont connectés, et c’est la région la plus récente, la plus jeune en termes géologiques de l’île Maurice », déclare Prem Saddul, géomorphologue. Il est catégorique : il faut à tout prix préserver ces sites qui représentent une véritable mine d’or.
« Les coulées de lave présentes sur ces deux sites qui, je le redis, sont connectés, proviennent de Mont Piton et du volcan L’Escalier du côté de Nouvelle Découverte. Elles n’ont que 25 000 ans ! Lors d’études, j’avais prélevé des échantillons de roches que j’avais ramenées à l’université de Virginie aux États-Unis et nous avons découvert que ces coulées de lave sont plus fluides, car elles sont alcalines et pas acides », explique-t-il. Prem Saddul indique aussi que lors de leur expédition avec des collègues experts, dont Gregory Middleton (voir encadré), « des vagues de lave y ont été observées. » Preuve que cette région est encore fragile…
Des cathédrales sous-terraines
Le géomorphologue se désole que de telles découvertes ne soient pas prises en compte par les autorités, car elles représentent pour lui un « véritable patrimoine géologique » qui raconte l’histoire de la création de l’île. « Nous avons répertorié 110 tunnels de laves et les plus impressionnants se trouvent à Roches-Noires/Plaine-des- Roches. Ces tunnels ressemblent littéralement à des cathédrales ! » Il ajoute que ce sont « des indicateurs des coulées de lave à Maurice et qui jouent un rôle important, car le Mont Piton et le volcan L’Escalier ont dessiné toute la côte est de l’île. » Pour le géomorphologue, il faut préserver ces sites qui, rappelle-t-il, « sont des chapitres géologiques clairs qui expliquent la création de l’île. »
Par ailleurs, il soutient qu’il existe à l’intérieur de ces tunnels des micro-features, notamment des sortes de « draperies », des stalagmites (ndlr : concrétion de même nature que les stalactites, qui se développe de bas en haut à partir du plancher d’une cavité souterraine) et des « swiftlets » ou des « rondelles » uniques au monde et présents dans les tunnels à Maurice. Des bijoux géologiques que l’on pourrait montrer aux générations futures. Il ajoute que les tunnels de lave sont partout dans le monde de vraies attractions touristiques, alors qu’à Maurice ils sont transformés en dépotoirs. « À cause de l’ignorance des autorités et de l’incivilité de la population, ces petits trésors disparaissent. » regrette-t-il.
Des dégâts irréparables
Prem Saddul confie aussi avoir écrit auparavant plusieurs correspondances aux autorités pour leur demander de classer la Plaine-des-Roches et Roches Noires en tant que patrimoine géologique. En vain. « Pour beaucoup ce sont que des trous et ils ne réalisent pas ce qu’ils représentent. »
Il avait aussi tiré la sonnette d’alarme sur un projet routier dans la région de La Nicolière qui passait au-dessus de tunnels de lave. « Les roches sont encore fraîches, car comme je l’ai dit, la coulée de lave est encore très récente. Les plafonds de ces caves font à peine 2 mètres d’épaisseur et sont donc fragiles et sujets aux fêlures. D’ailleurs, les tunnels au cimetière de Plaine-des-Roches se sont effondrés… »
C’est aussi ce que pensent les experts étrangers qui ont eu l’occasion d’étudier la géologie de l’île. Dans deux correspondances qui ont été transmises à Week-End et que nous publions verbatim plus loin, Dr Julian P. Hume de la Natural History Museum de Londres et Gregory Middleton de Hobart appellent à la raison. « Ces caves ne sont pas uniquement intéressantes du point de vue géologique. Elles racontent l’histoire d’un monde perdu », écrit Julian Hume, auteur de Lost Land of the Dodo et dont l’apport est considérable dans la recherche sur l’île Maurice et le Dodo. Il souligne qu’un tel projet d’envergure sur ce site causera des dégâts irréparables, d’autant que le monde et l’île subissent les conséquences du réchauffement climatique.
Gregory Middleton abonde dans le même sens et souligne le potentiel de ces tunnels de lave « qui présentent des paysages spectaculaires et qui abritent des populations d’oiseaux rares et de chauves-souris menacées.
Avec un bon encadrement et une bonne gestion du site, plusieurs parties de ces caves peuvent être développées pour le Tourisme. » Pour lui, le pays aurait tout à gagner en investissant dans la mise en place d’un parc naturel… qui rejoint d’ailleurs la demande de nombreux collectifs écocitoyens.
Affaire à suivre…
Pour rappel Roches-Noires l’inaccessible
Cela va faire plus de 15 ans depuis que des porteurs en tout genre font de l’œil à Roches-Noires. Petit bijou naturel du nord-est de l’île, il s’est retrouvé sous le feu des projecteurs en 2005 pour la construction de Roches-Noires Resorts and Residence Ltd comprenant la construction de deux hôtels, d’un terrain de golf, de chalets, d’une marina et d’un business park sur une étendue de 352 hectares de terre. À l’époque, c’est l’entreprise sud-africaine Elan Group qui décide d’investir en rachetant les terres avec les propriétaires mauriciens, Grand Lake Ltd, représenté par Fon Sing Group. En 2010, après que le projet a été vendu à un autre groupe d’investisseurs, une demande est faite pour vendre 90 hectares à des investisseurs locaux pour la construction d’un morcellement. La demande est rejetée. Puis, en avril 2012, enter le groupe chinois YIHE Group pour Island Summer Palace Ltd, projet IRS en trois phases : la première un hôtel ; une zone commerciale, une business zone, un Convention centre et une marina ; la deuxième un terrain de golf, des villas de golf et un club-house et ; troisièmement des low-side residential units, un retirement village et un education hub. Tout cela pour un total de Rs 44 milliards. Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, avec les promoteurs s’étant retrouvés dans de beaux draps financiers et récemment un nouveau promoteur français bien décidé à construire une ville intelligente au milieu d’un des sites géologiques d’une valeur inestimable.
Quand l’université de La Réunion s’intéressait à « l’île Maurice, un volcan oublié »
Rares sont ceux qui se souviennent de leurs leçons d’EVS et du mythique Atlas que tous les enfants trimballaient dans leur sac. Et pourtant, cette connaissance géologique de l’île, qui est restée dans les pupitres des salles de classe du primaire, est essentielle. Dans un documentaire de l’université de La Réunion réalisé en 2006, intitulé « L’île Maurice, un volcan oublié », l’on parle de ces richesses géologiques et géographiques oubliées du grand public et des autorités. « Le troisième travail sur les volcans de l’océan Indien a amené l’équipe de tournage du Centre Multimédia sur le territoire mauricien à la recherche des quelques traces résiduelles d’une activité volcanique aujourd’hui disparue. Ce film décrit comment la population mauricienne vit un quotidien complètement en marge de l’histoire géologique de son île, à tel point que, très probablement, une partie non négligeable de la population locale oublie qu’un jour, l’île Maurice, aujourd’hui totalement tournée vers la mer, ait pu être un volcan en furie. En résumé, que reste-t-il du volcan mauricien? Comment l’homme vie cette réalité? Tels sont les enjeux de ce documentaire. Autant qu’une description purement physique de ces structures, les réalisateurs se sont attachés à mieux faire comprendre comment, sur des terres qui furent un jour totalement inhospitalières, les hommes peuvent maintenant prospérer sur une terre généreuse », est indiquée sous la vidéo disponible sur YouTube et qui parle notamment du fameux volcan L’Escalier.