— Après Manhattan (Vacoas) et New York (Phœnix) désormais aussi célèbres que moqués, place à San Francisco (Port Mathurin)
— Observations intéressantes de l’urbaniste Nando Bodha sur le Town Planners Council
À part le nombre d’obstacles placés par le Speaker sur la route du leader de l’opposition pour limiter ses questions sur le prix des médicaments sans grand succès, Steve Obeegadoo a réussi à faire mieux que Pravind Jugnauth en répondant à plus d’une question durant le Prime Minister’s Question Time, tandis que les débats sur le Town Planners Bill ont été agrémentés de la participation éclairante de l’urbaniste Nando Bodha, mais aussi des piques politiciennes du Premier ministre par intérim et les références à Manhattan, Phœnix et San Francisco.
Le Speaker a fait barrage à toutes les initiatives du leader de l’opposition pour obtenir des informations plus précises sur le marché des produits pharmaceutiques. Il a commencé très tôt à admonester Xavier Duval, qui avait à juste titre souligné que le ministre du Commerce et de l’Industrie s’engageait dans un rappel historique plutôt que de répondre aux questions précises qu’il lui a adressées.
En voulant voler au secours de Soodesh Callychurn, il va se rendre même un tantinet ridicule. Alors que le leader de l’opposition avait déjà posé une question supplémentaire, Sooroojdev Phokeer l’a brutalement interrompu pour lui demander d’attendre puisque le ministre n’en avait pas terminé avec sa réponse. Or, lorsqu’il demandera au ministre s’il avait fini avec sa réponse, le principal concerné dira que c’était effectivement le cas. Ce qui a provoqué quelques ricanements dans les travées de l’opposition. Sinon, c’est le slogan « temple of democracy » qui est revenu à tout bout de champ dans les interruptions intempestives de l’occupant du perchoir.
Les choses vont davantage se corser lorsque Xavier Duval va souligner que le comité censé étudier de près l’évolution des prix des médicaments n’a rien produit de probant pendant que les coûts explosaient. Il a alors cité le cas du représentant du ministère, M. Juwaheer, qui siège à cette instance et qui a été suspendu pour corruption. Soodesh Callychurn a confirmé que celui qui représentait son ministère a été remplacé par Mme Elahee.
Le leader de l’opposition, constatant que le ministre était sur la défensive et à court de réponses, a durci le ton et il a demandé pour quelle raison l’OMS et son représentant à Maurice n’ont pas été mis à contribution pour démocratiser le marché pharmaceutique avec les « parallel imports, generic substitution and regressive mark-up. » Est-ce que c’est pour protéger des « vested interests » ? a-t-il lancé.
Le ministre a rejeté les prétentions du leader de l’opposition et a répété qu’il appartiendra au comité technique mis sur pied de venir avec des propositions. Mais que le gouvernement se penche sur le « regressive mark-up » recommandé par la Competition Commissions de même que sur la baisse de la marge attribuée aux négociants et sur l’application des régimes différents pour divers types de médicaments.
Leçons de bonnes manières
La passe d’armes avec le Speaker va continuer de plus belle durant cette tranche de la PNQ. Sooroojdev Phokeer se permettant même d’administrer des leçons de bonnes manières à Xavier Duval en répétant tel un perroquet déréglé le terme « unbecoming. » Ne se laissant nullement intimider, le leader de l’opposition a insisté pour savoir à quelle date la lettre du ministère du Commerce a été adressée à celui des Affaires étrangères pour initier des démarches en vue d’amender les textes sur la propriété intellectuelle afin de pouvoir avoir accès à des médicaments génériques.
Allant plus loin, Xavier Duval a révélé s’être rendu le matin même à une pharmacie où le Nexium, médicament administré pour combattre le reflux gastrique, était en vente à Rs 55 le comprimé, alors que le Nexmezol, un médicament identique mais générique, se négociait à Rs 14 l’unité. D’où son insistence pour que le recours au générique soit plus poussé, ce qui soulagerait les consommateurs. Soodesh Callychurn a alors créé une diversion en disant que le Dr Boolell avait récemment, en sa qualité de leader de l’opposition, denoncé la mauvaise qualité de produits génériques venant de l’Inde.
Bilan de la PNQ : des non-réponses d’un ministre dont l’impréparation était évidente, un Speaker pratiquant l’obstruction et un leader de l’opposition qui a réussi à marquer quelques points malgré les obstacles dressés sur sa route.
Quant au Prime Minister’s Question Time, il était évident que le titulaire au poste de Premier ministre n’était pas là puisque Steve Obeegadoo, qui assurait l’intérim, a pu répondre à trois questions sans que des backbenchers du gouvernement ne se mettent de la partie pour accaparer les 30 minutes sur une seule question.
Steve Obeegadoo a, en effet, répondu aux questions de Rajesh Bhagwan sur un voyage privé de Dick Ng Sui Wa en France, ce qui ne l’a pas empêché de rencontrer des officiels à Paris, d’Ivan Collendavelloo sur la nécessité d’accélérer les procédures au niveau de l’État civil afin que des personnes lésées puissent être rétablies dans leur droit et à Arvin Boolell et Deven Nagalingum sur l’affaire de la tractopelle et ses 85 kilos de cocaïne valant Rs 1,4 milliard saisis le 10 juillet 2019.
C’est sur cette dernière question qu’il y a eu quelques échanges après que le Premier ministre par intérim eut indiqué l’itinéraire du convoi de la pelleteuse qui a été embarquée au Brésil et qui a été débarquée au Maroc pour être réexpédiée en direction de Maurice. La police compte soumettre un rapport intérimaire au Directeur de poursuites publiques sur cette affaire en vue de déterminer la marche à suivre. C’est lorsque le chef de file du PTr a commencé à évoquer une enquête qui traîne que les échanges sont devenus plus âpres. Steve Obeegadoo a demandé au Speaker de veiller que Arvin Boolell ne s’excite pas, étant donné que c’est, selon lui, mauvais pour la santé.
Tirade sur les postures
Mais le député visé a complètement ignoré cette invitation pour ironiser sur la revendication d’une lutte sans relâche contre la drogue. Steve Obeegadoo s’est alors embarqué dans une tirade sur les postures, l’intimidation, le harcèlement et sur la courtoisie. Tout ça pour enfin reconnaître que l’enquête est compliquée, qu’elle n’a pas abouti et qu’il n’y a eu aucune arrestation.
Les questions aux ministres ont, par ailleurs, permis d’obtenir quelques informations utiles. La ministre de l’Éducation, Leela Devi Dookun-Luchoomun, qui répondait à une question du député du PTr Mahen Gungapersad, a révélé que c’est pas moins de 1 505 élèves de tous âges qui ont été testés positifs au Covid sur la période du 10 février au 15 avril 2022.
Il y a eu 80 cas de cas de négligence médicale, dont 20 concernant le département néonatal, qui ont été référés au Medical Negligence Standing Committee depuis 2019, a par ailleurs indiqué le ministre de la Santé, Kailesh Jagutpal, en réponse a une question de la députée du MMM Karen Foo Kune-Bacha.
Le ministre de l’Administration Publiqu,e Vikram Hurdoyal, a, lui, déclaré à Aadil Ameer Meea qui l’interrogeait que, sur un total de 1 148 employés du service postal, 53 n’avaient pas de statut vaccinal complet et que 51 ont été interdits de travailler depuis le 19 avril dernier.
Quelques piques ont aussi émaillé cette tranche de questions aux ministres. Lorsque Patrick Assirvaden bombardait Joe Lesjongard de questions supplémentaires sur le CEB Facilities Co. Ltd, Vikash Nuckcheddy a cru pouvoir faire l’intéressant en lançant au député « aret fer palab do ! » Le président du PTr a exigé auprès du Speaker, qui n’était pas intervenu, qu’il ordonne au perturbateur de retirer ses propos. Soooroojdev Phokeer n’a eu d’autre choix que d’obtempérer. Vikash Nuckcheddy a ainsi dû retirer ses remarques déplacées.
Un seul texte examiné et voté ce mardi : le Town Planners Bill, présenté par le ministre du Logement, Steve Obeegadoo. Un projet de loi plutôt consensuel, dans la mesure où il vise à mieux réglementer la profession des urbanistes, mais cela n’a pas empêché que l’auteur du texte n’utilise cette occasion pour faire des commentaires politiciens et personnels.
Le premier intervenant de l’opposition était Osman Mahomed, qui a bien fait son homework et suggéré qu’un institut des urbanistes soit créé. Il a ainsi fait référence à la toute première association des ingénieurs, dont le premier président n’était autre que Raymond Bérenger, le grand-père de la députée Joanna Bérenger. Le député rouge a préféré sauter une génération, celle du fils, qui n’est autre que Paul Raymond Bérenger.
Autres participants aux débats, Dorine Chukowry, Anjiv Ramdhany, le PPS Prakash Ramchurrun, le député du PTr Ranjiv Woochit, Rajanah Dhaliah, Vikash Nuckcheddy
Le dire et le faire
À coté des lectures fastidieuses, il y a aussi eu les observations intéressantes d’un Nando Bodha, lui-même urbaniste, qui a bifurqué dans la communication, le droit et la politique. Le député a évoqué l’importance de l’aménageur dans la planification des projets, d’autant que le pays ne fait que 2 400 kilomètres carrés pour 1,4 million d’habitants.
De loin, l’intervention la plus construite et la plus aboutie, le leader du Rassemblement National, Nando Bodha, a déclaré que « nous n’avons plus de Pas Géométriques… les smart cities ne devraient pas être des zones d’urbanisme isolées. Il ne faut pas qu’il y ait une rupture, c’est l’aménagement des territoires qui fait qu’il n’y ait pas de rupture entre les régions aisées, les régions de prospérité et les régions modestes. Et c’est le rôle de l’urbaniste justement de réconcilier ces zones. »
Nando Bodha a cité les exemples d’Henrietta, qui va se transformer avec la construction de la route La Vigie/Beaux Songes, et de Barkly, qui a connu une transformation avec l’arrivée du métro. Il a plaidé pour une politique « dirigiste et volontariste comme c’est le cas en France où c’est le pouvoir public qui a le dernier mot sur l’aménagement du territoire. »
Les débats allaient bon train jusqu’à l’intervention du député de l’OPR Francisco Francois, qui s’est décrit comme un « suveyor-planner technician » et qui a cité son « good friend » Gilbert Bablee et sa désormais fameuse référence à Manhattan et celle de Showkutally Soodhun qui avait dit que Phœnix serait transformé en New York. Des références qui lui ont valu quelques piques des bancs de l’opposition.
Pour lui, c’est l’avènement du métro qui va provoquer la régénération de ces agglomérions à l’horizon 2050. Celui qui l’a succédé à la tribune, Aadil Ameer Mee,a n’a pas raté l’occasion de lancer une pique amusante à l’intention du député Francisco François en disant qu’après avoir évoqué Manhattan et New York, il s’attendait que le député annonce que Port Mathurin deviendrait un nouveau San Francisco, ce qui a suscité des ricanements de tous les côtés de la chambre.
Dans son résumé des débats, le « professeur » Steve Obeegadoo a tenu à faire la leçon à l’opposition eu égard à « ses commentaires négatifs. » Il a par contre salué le « very interesting intervention de Nando Bodha » pour ajouter aussitôt un commentaire politicien en affirmant « que je me suis dit qu’il doit amèrement regretter sa décision de quitter la majorité pour passer dans l’opposition. » Il a enchaîné sans être rappelé à l’ordre par le Speaker qui, normalement, aurait dû l’inviter à s’en tenir au contenu du projet de loi pour parler de gouvernement et d’opposition, et confronter le « dire » et le « faire. »