— À Barkly, la SMF ouvre le feu et blesse grièvement un habitant, François Gowind, au menton
— À Camp-Levieux, l’arrestation de Darren L’Activiste met le feu aux poudres, avec cocktails Molotiv des manifestants contre gaz lacrymogène de la SMF
— Casernes centrales : vers 23h, la situation dégénère, avec des éléments de la SSU, pris à partie par les manifestants, répliquent avec du gaz lacrymogène et des coups de matraque
La double augmentation de prix à hauteur de 33,3% des prix des produits pétroliers à la pompe et du gaz ménager en l’espace de 24 heures en début de semaine dernière a débouché sur de vives tensions. Après de premiers signes de nervosité, relevés au niveau de Camp-Levieux dans la soirée de mercredi, des dérapages conséquents sont survenus dans la soirée de vendredi, avec des craintes pour la soirée d’hier. En tout cas, les hotspots et les flashpoints à travers l’île se sont multipliés dans la nuit de vendredi à samedi, voire aux petites heures du matin hier. Devant les risques d’une nouvelle dégradation de la situation du law and order, la police a mis en garde en rappelant les dispositions de la loi pour le délit de taking part in an unlawful assembly dans une tentative de dissuader les velleités de join the bandwagon d’actes de vandalisme.
Dès vendredi soir, face aux manifestants, qui avaient ajouté une nouvelle revendication, soit la remise en liberté de Darren L’Activiste, à leur liste de récriminations dans ce contexte d’attaques systématiques au pouvoir d’achat, les forces de l’ordre n’ont pas hésité à avoir recours à leurs armes. Ainsi, un coup de feu a été tiré par la Special Mobile Force (SMF) devant le poste de police de Barkly, blessant un habitant de la localité, François Gowind, âgé de 28 ans, qui a été admis au Princess Margaret Orthopaedic Centre (PMOC), ou encore de l’usage du gaz lacrymogène, que ce soit à Camp-Levieux, devant les Casernes centrales à Port-Louis ou encore à Bois-Marchand, Terre-Rouge, Cité Mangalkhan, Floréal, pour disperser la foule, qui s’en prenait au mobilier routier, soit des feux de signalisation et autres panneaux en bordure de route.
En tout cas, depuis mercredi soir, avec les premières confrontations devant le poste de police de Camp-Levieux, avec Dominique Seedeeal, aussi connu sous le nom de Darren L’Activiste, montant en première ligne pour réclamer au gouvernement de faire marche arrière par rapport aux hausses abusives des prix du litre d’essence et de la bonbonne de gaz ménager, la tension était palpable dans certains quartiers. Ces échauffourées de mercredi ne devaient pas rester sans suite, que ce soit pour l’activiste sur les réseaux sociaux ou encore pour la police.
Dès vendredi matin, Darren L’Activiste avait annoncé la couleur en postant sur sa page Facebook un ultimatum par rapport aux prix arrivant à échéance à 15 heures. Dès lors, les Casernes centrales ou encore l’Hôtel du Gouvernement, en l’absence du Premier ministre, Pravind Jugnauth, en voyage officiel en Inde, étaient sur le qui-vive sur ce qu’allait devenir le reste de la journée. Les faits et gestes de Darren L’Activiste étaient suivis de près.
Dès 15h, Darren L’Activiste avait été vu s’adressant à un groupe de personnes, munies de pancartes devant le poste de police de Rose-Hill. Quelques minutes auparavant, il avait consigné une Precautionary Measure pour faire comprendre qu’il n’avait invité personne à se joindre à lui pour manifester contre la majoration de prix de commodités de première nécessité.
Moins d’une demi-heure après, un nouveau tournant devait être abordé avec l’arrestation de Darren L’Activiste, transféré sur-le-champ au poste de police de Rose-Hill pour son interrogatoire. La nouvelle de ce développement devait circuler comme une traînée de poudre et déjà une cinquantaine de personnes étaient massées devant le poste de Rose-Hill.
Nouveau déplacement du suspect vers les Casernes centrales, où déjà à 17h10, selon la déposition de l’assistant-commissaire de police Mannaram, Divisional Commander de Port-Louis, se trouvaient une vingtaine de personnes brandissant des pancartes avec des slogans, dont « L’espace 3 jours Dip so bann zom finn 1. britaliz ek trap enn mama, 2. donne Darren coup de poing », ou encore « Libere Darren li innocent », « Brutalite policière bizin ena sanction sinon commissaire Dip bizin resign ! », « Ferme ban lapolice tappeur », « Non a augmentation prix exazere », « Pinok Vladimir Putin local. No to dictatorship ».
Foule hostile
Au fil des minutes, la foule devait grossir pour atteindre entre 200 et 300 personnes. Peu avant 21h30, des éléments de la Special Supporting Unit avaient été déployés en renfort devant la principale porte d’accès des Line Barracks en vue de parer à toute éventualité. La sommation intimant l’ordre à la foule de se disperser et d’évacuer les lieux, en l’occurrence : « Sa rasambleman la li ilegal. Lapolis pe dir zot disperse ale, sinon nou pou servi la fors. Par lafors ve dir lapolis pou servi baton, gaz ek mem fizi », fut répétée en quatre fois.
La réaction de la foule a été hostile envers les forces de l’ordre. La sortie de l’enceinte des Casernes centrales de Me Rama Valayden suivi d’autres conseils légaux n’allait nullement aider à décanter la situation. La nouvelle était que Darren allait passer la nuit en cellule policière en dépit des démarches entreprises.
Dans la nuit de vendredi à samedi, Darren a été transporté sous forte escorte policière au Sir Seewoosagur Ramgoolam National Hospital pour des traitements vu qu’il saignait suite à des actes allégués de brutalité policière. Entre-temps, la foule avait occupé la rue Lord Kitchner. Une déviation a dû être effectuée pour canaliser les usagers de la route vers l’autoroute pour ensuite gagner la rue Deschartes.
Au retour de Darren L’Activiste, peu avant 23 h pour sa détention à l’Alcatraz Detention Centre, la situation devait devenir incontrôlable devant le portail Dayal des Casernes centrales, avec la SSU dispersant les manifestants à coup de gaz lacrymogène et de matraques et les repoussant jusqu’à limite du pont du Ruisseau du Pouce le long de l’avenue John Kennedy.
La version officielle de la police indique qu’à ce moment de la nuit, des protestataires avaient commencé à lancer des roches sur les éléments de la SSU se trouvant à l’entrée principale des Casernes centrales et qu’ils auraient tenté d’y avoir accès. Un habitant de Petit-Verger, âgé de 37 ans, qui était parmi la foule devant le Casernes centrales, avait été appréhendé par la SSU.
Opérations jusqu’à
3h du matin
En parallèle, la soirée de vendredi a été encore plus agitée à Camp-Levieux, qui a vécu une réédition de mercredi soir, mais davantage plus virulente. La fin de la journée, suite à l’arrestation de Darren L’Activiste, fut marquée par un semblant d’accalmie. Mais le début de la soirée devait témoigner d’une nette déflagration avec le poste de police de la région lapidé et pris pour cible avec des jets de cocktails Molotov.
Des renforts de la Special Mobile Force (SMF) ont été dépêchés d’urgence peu avant 22 heures. Vu la gravité de la situation, le haut commandement de la SMF, soit l’Officer in Charge Budhoo, et deux Deputy Commissioners of Police Beekun et Rassen, étaient sur le terrain à Camp-Levieux pour coordonner les opérations. L’ordre d’avoir recours à du gaz lacrymogène à volonté a été donné pour disperser la foule et les opérations ont été menées jusqu’à 3 heures du matin samedi.
Par ailleurs, les réseaux sociaux faisaient état d’un autre point chaud qui s’était développé devant le poste de police de Barkly, avec la foule n’hésitant pas à lancer des pierres en direction du bâtiment. Il était environ 22 heures et la SMF a été appelée pour encadrer les policiers de service et sous menace. D’ailleurs, un habitant de Barkly, François Gowind, âgé de 28 ans, a été blessé par un coup de feu tiré par un membre de la SMF (voir détails plus loin). Il a été admis au PMOC où son état est jugé sérieux. Les circonstances de cette affaire devraient faire l’objet d’une enquête.
Devant la volatilité régnant dans la région de Barkly, Metro-Express Limited a cru nécessaire d’interrompre le service depuis hier matin, car la traversée de cette région constitue une étape critique sur la desserte Port-Louis/Rose-Hill. Techniquement, Metro Express, victime collatérale des protestations contre la hausse des prix, procédait hier à des vérifications sur le terrain avant de décider de la marche à suivre de la reprise du service…
À CITE-BARKLY
François Gowin, 28 ans, blessé par balle lors des heurts
Un trou de la taille d’une dragée est visible sur son menton. Sur son lit d’hôpital, en la salle E5 du Princess Margaret Orthopaedic Centre (PMOC), Jean-François Gowin, peine à bouger et ne peut prononcer le moindre mot. Son visage trahit la gravité de sa blessure. Une minerve a été placée autour de son cou afin de restreindre ses mouvements. Pour cause, la balle qui lui a perforé le menton n’a jusqu’à hier après-midi pu être extraite. « Oui, c’est bien une balle qu’il y a dans sa gorge », confient deux infirmiers souhaitant garder l’anonymat.
Le maçon de 28 ans, habitant Cité-Barkly et père d’une fille, a été blessé par balle dans la soirée de vendredi lors des heurts dans la région. « C’est pendant qu’il venait me chercher qu’il a reçu une balle », raconte sa belle-soeur Pascaline.
Résidant en face du poste de police de la localité, elle a été témoin des affrontements entre les membres des forces de l’ordre et des habitants descendus dans la rue pour protester contre la flambée des prix et l’arrestation de Darren L’Activiste. En vue de disperser la foule, des éléments de la SMF ont fait usage de gaz lacrymogène. Des bombes de gaz lacrymogène devaient atterrir dans l’arrière-cour de Pascaline.
Des émanations de gaz irritant se sont alors répandues à l’intérieur de sa maison de deux-pièces, où vivent ses trois enfants, âgés de deux, quatre et neuf ans. « Gaz ti pe rant andan e ti pe toufe. Mo bann zanfan inn larg lekor, pe toufe. Zot pa ti pe kapav », raconte-telle. Elle a alors téléphoné à son beau-frère « pou vinn pran nou » et les emmener à son domicile, loin du lieu des affrontements.
Jean-François Gowin se trouvait alors à une fête. Face à l’urgence de la situation, il s’est mis à courir en pleine rue, racontent ses proches. Des membres de la Special Supporting Unit et de la Special Mobile Force avaient entre-temps été appelés en renfort. Dans des vidéos circulant, des officiers sont aperçus dans la localité, armes à feu à la main, braquant certaines maisons. « Je suis moi-même sortie dans la rue pour leur dire d’arrêter de lancer du gaz lacrymogène dans ma cour. L’un d’eux a pointé son fusil en ma direction et m’a menacée », allègue Pascaline. Cette dernière montre un amas de feuilles où elle a jeté les bombes de gaz lacrymogène. « Tout cela se trouvait dans ma cour », fait-elle comprendre.
Il est environ 1h du matin quand Jean-François Gowin tombe à terre dans une rue non loin du poste de police de Barkly. Des vidéos mises en ligne montrent des manifestants battant en retraite avant qu’une explosion ne se fasse entendre. Un homme restera à terre, alors que des voix soutiendront que « li’nn gagn kout bal. »
« C’est nous qui l’avons emmené à l’hôpital dans la soirée même », raconte une des proches du jeune homme, pendant que celui-ci se rend en salle d’opération sur une chaise roulante. Un appareil devait être placé au niveau de sa gorge afin de l’aider à respirer. Difficile pour les médecins d’extraire l’objet, celui-ci s’étant logé dans une partie sensible de la nuque. « Lindi ki pou kapav fer enn zafer mo panse », soutient son frère Jean-Paul, profondément perturbé par cet incident.
Hier matin
L’agitation gagne des régions périphériques de la capitale
— Roche Bois, Pailles, Cité-Vallijee et Baie-du-Tombeau perturbés
— L’autoroute M2 à partir du rond-point Quai D jusqu’à celui de Riche Terre fermée aux automobilistes jusqu’en début d’après-midi
Des faubourgs de la capitale ont vécu un samedi matin mouvementé et agité avec les protestations animées contre l’arrestation de l’activiste Darren en marge des protestations contre les hausses de prix au détail. À Pailles, les manifestants ont obstrué la route principale et ont mis le feu à des pneus usagés, contraignant la police à déployer de gros moyens en y envoyant des membres de la Special Supporting Unit (SSU) pour tenter de rétablir la situation.
« Les gens étaient en colère par la manière dont les choses se sont déroulées depuis vendredi après-midi avec l’arrestation de ce garçon qui a osé dénoncer publiquement la flambée des prix. Finalman, la polis finn vini, in resi met lord. Pa finn ena tape. Pa finn ena exsitasion. Erezman ki dimounn inn konpran », laissait entendre un habitant de la localité. Bien qu’ils ont coopéré avec les forces de l’ordre, les manifestants n’ont pas arrêté de faire du bruit et aussi faire passer le message : « Inn ariv ler pou met zot deor » ou encore « Nou gouvernman pa bon. Pe fer nou tro mizer. Bizin tir zot partou. Dan N°1 nou met zot deor. Pa kapav kontinie koumsa. » Les pompiers ont dû être mandés sur les lieux pour nettoyer les débris étalés sur la rue et éteindre le feu.
Du coté de Roche Bois hier matin, le mood était des plus tendus. La circulation était interdite dans les deux sens sur ce tronçon de l’autoroute du Nord. Des manifestants avaient obstrué l’autoroute M2, à la hauteur du fly-over. Certains habitants laissaient entendre leur colère contre le gouvernement qui, selon eux, ne serait pas à l’écoute des plus vulnérables de la société. « Nou enn ban malere. Ek ti kas nou gagne, tir fre lakaz ek det. Gaz monte, lesans monte. Be ki nou reste pou manze ? Si pa proteste zot pa pou konpran », affirmait un père de famille. Il n’avait toutefois pas apprécié la forte mobilisation de la police dans ce quartier, notamment avec la présence intimidante de chars et d’éléments de la SMF sous le fly-over.
« Samem ki pou revolte dimounn-la plis ankor. Koumadir enn provokasion. Kouma zot ale partou pou retourn trankil », fait-il comprendre. Des manifestants avaient mis le feu sous la passerelle et avaient aussi brisé des bouteilles pour obstruer l’autoroute. Des panneaux de signalisation avaient été saccagés à plusieurs points et aussi des pierres lancées sur des véhicules et des projectiles lancés sur la tractopelle de la SMF tentant de déblayer l’autoroute.
Face à cette situation tendue, la police a pris la décision de bloquer la M2 à partir du rond-point Quai D jusqu’à celui de Riche-Terre. Les automobilistes sortant du Nord en direction de la capitale ont été déviés sur la Riche-Terre Branch Road pour emprunter l’ancienne route de Terre-Rouge et ceux quittant Port-Louis la route Militaire et la route Nicolay pour rallier Terre-Rouge, provoquant un embouteillage monstre à cette partie de la capitale.
En fin de matinée, les pompiers étaient toujours mobilisés au fly-over de Roche-Bois pour le nettoyage de l’autoroute. Finalement, c’est vers 13h que cette partie de l’autoroute du Nord a été rouverte aux usagers encore sous le choc psychologique de ces graves incidents.
Le paysage était encore plus hostile à Baie-du-Tombeau suite aux accrochages entre les manifestants et les forces de l’ordre. Un autobus a été saccagé dans la matinée d’hier, alors que des rochers jonchaient la route, avec la police tentant de ramener un semblant d’ordre sur la voie publique.