SeDEC – Extended Programme : l’alphabétisation comme outil pour les enseignants

Dr Jimmy Harmon : « On s’y retrouve avec des profils tellement différents que les enseignants ont beaucoup de difficultés à les encadrer »

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Les enseignants de l’Extended Programme des collèges du Service diocésain de l’éducation catholique (SeDEC) ont suivi cette semaine une formation en alphabétisation, selon la méthode d’alphabétisation fonctionnelle de Caritas. L’objectif étant de leur donner des outils pour mieux encadrer ces enfants, qui arrivent souvent en Grade 7 sans savoir ni lire, ni écrire. Une première expérience au Collège Père Laval, à Sainte-Croix, a d’ailleurs donné des résultats encourageants. Pour le Dr Jimmy Harmon, responsable du secondaire au SeDEC, l’Extended Programme est le baromètre de la mission de l’éducation catholique.

« Choquée et révoltée. » C’est ce que dit avoir éprouvé une enseignante lorsqu’elle a rencontré ses étudiants de l’Extended Programme pour la première fois. « Quand j’ai constaté que beaucoup ne savaient ni lire, ni écrire, je me suis demandée : Qu’est-ce qu’ils ont fait à l’école primaire pendant six ans ? » Tout de même, relève-t-elle, ces adolescents sont dotés d’une « grande intelligence qu’on n’a pas su développer et canaliser », en ajoutant « Nous apprenons beaucoup d’eux. »

« Cette situation nous pousse, en tant qu’enseignants, à nous remettre en question. Nous nous sommes demandés comment nous allions procéder pour qu’ils comprennent ce que nous voulons leur enseigner », poursuit-elle. Ces interrogations n’ont pas été soulevées uniquement par les enseignants, mais par tous ceux concernés par l’éducation de ces jeunes qui, jusqu’ici, ont essuyé des échecs. C’est dans cette optique, justement, que Caritas a proposé son aide au SeDEC, en vue de donner des outils supplémentaires aux enseignants dans leurs tâches.

Josian Labonté, responsable de l’alphabétisation à Caritas, explique : « Caritas compte 30 années d’expérience dans l’alphabétisation. Au départ, nous avions démarré avec des enfants qui avaient échoué au CPE à deux reprises. À l’époque, il n’y avait pas de structures comme le Prevoc, ou maintenant l’Extended Programme. Nous avions pris l’option d’une méthode non traditionnelle, avec l’aide de pédagogues mauriciens. Caritas étant une organisation internationale, nous avons reçu le soutien d’une psycho-pédagogue, Elise Ways, qui est venue nous aider pendant six ans à peaufiner cette méthode. »

L’alphabétisation fonctionnelle consiste à montrer aux adolescents comment lire, et non pas leur apprendre à lire. « Caritas fait une distinction entre l’alphabétisation et l’apprentissage d’une langue. On leur fait découvrir comment fonctionnent le codage et l’encodage. C’est une méthode globale, et non pas syllabique. Tout se fait à partir d’exercices ludiques. Par exemple, on ne va pas leur enseigner b-a ba, mais on leur apprend à reconnaître le mot banane. Cela aide à bâtir leur Self-Esteem. Car nous parlons ici d’adolescents. En même temps, ils se disent : Mo kapav. »

Josian Labonté ajoute qu’une telle méthode peut être utilisée à la fois pour l’anglais, le français et le kreol morisyen. En proposant son aide au SeDEC, Caritas retrouve le même public qu’à ses débuts. Car au fil des années, avec la loi sur la scolarisation obligatoire jusqu’à 16 ans, l’organisation s’était surtout consacrée sur l’alphabétisation des adultes. « Nous avons pris connaissance des difficultés des jeunes dans l’Extended Programme et nous avons voulu mettre notre expérience à leur disposition. Surtout qu’ils devront passer l’examen du National Certificate of Education après quatre ans. Nous avons déjà fait un projet pilote avec le Collège Père Laval, et les enseignants disent que les outils que nous leur avons donnés sont très intéressants pour ce public », fait-il comprendre.

Il ajoute que l’objectif est de pouvoir remettre les adolescents de l’Extended Programme sur les rails et de réunir les conditions nécessaires à cet effet, malgré la charge curriculaire. « Si au moins on peut les aider à être Literate, c’est déjà une bonne chose. Nous avons donné les outils aux enseignants lors d’une formation pendant deux jours. Le SeDEC verra par la suite comment il va appliquer cela. »

Un véritable défi

Le Dr Jimmy Harmon, directeur adjoint du SeDEC et responsable de l’éducation secondaire, parle de la nécessité d’équiper les enseignants face aux défis de l’Extended Programme. « Nous nous retrouvons avec des profils tellement différents, au sein de l’Extended Programme, que les enseignants ont beaucoup de difficultés à les encadrer. Avec le temps, nous sommes parvenus quand même à identifier trois groupes : d’abord, ceux qui pourront se rattraper, avec un encadrement adéquat. Il y a un autre groupe un peu moyen, qui nécessitera beaucoup plus d’efforts. Ensuite, il y a un troisième groupe, et c’est la majorité, qui ne sait ni lire, ni écrire, ni compter. Et c’est cela le véritable défi », fait-il ressortir.
Pour l’heure, ajoute-t-il, le kreol morisyen est une langue, et non pas un médium d’enseignement. Il faut donc trouver d’autres moyens pour l’apprentissage. « La méthode de Caritas, c’est d’aborder la question de comment faire lire. C’est un outil supplémentaire que nous avons voulu donner à nos enseignants. » Les formations sont aussi des espaces de partage et chacun peut échanger sur les bonnes pratiques. « Ce qui se passe dans l’Extended Programme est le baromètre de notre mission. L’objectif est de mettre l’enfant debout. Surtout les plus faibles », affirme-t-il.
Jimmy Harmon explique que les jeunes de l’Extended Programme ne peuvent évoluer dans un cadre rigide. C’est pour cela que les enseignants sont appelés à être créatifs. « Bien sûr, il y a un programme national à respecter, mais les adolescents de l’Extended Programme ne peuvent rester assis à remplir des fiches. Les enseignants ont donc la liberté d’adapter. C’est comme un maçon qui a ses outils. C’est à lui de voir comment il va travailler sur le chantier », conseille-t-il.
Dressant un constat du parcours après quatre ans, Jimmy Harmon confie que les étudiants de l’Extended Programme ont été les plus affectés par les chamboulements occasionnés par le Covid-19. « Les cours en ligne, tout çela, ce n’est pas très adapté pour tous. Beaucoup viennent également de milieu social très difficile, où il n’y a pas de moyens nécessaires. Tout de même, les enseignants ont trouvé d’autres moyens pour rester en contact avec leurs élèves. Nous avions préparé des Lesson Packs que les parents sont venus chercher. Mais même là, cela a été très difficile. Déjà en classe, c’est difficile », confie-t-il.
Quant à savoir si ces élèves sont prêts pour le National Certificate of Education, en octobre prochain, le responsable du secondaire au SeDEC ne cache pas ses inquiétudes. « Beaucoup disent que le programme du mainstream n’est pas approprié pour l’Extended, même pas sur quatre ans. Il nous faut un programme différent. Il y a eu déjà des adaptations, mais cela reste le programme du mainstream », confirme-t-il.
Il ajoute qu’il faudra aussi attendre de voir quelle forme d’examens et quel type de certification seront adoptés pour l’Extended Programme pour se faire une meilleure idée.

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Brian Pitchen (coordinateur EP, collèges diocésains) : « Leur donner au moins le minimum vital »
« Cette formation sur l’alphabétisation vise à donner aux enseignants les ressources nécessaires pour travailler avec les enfants de l’Extended Programme. Surtout pour les nouveaux. C’est un fait que ce groupe d’étudiants a beaucoup de difficultés d’apprentissage, car une bonne partie ne sait pas lire ni écrire. Si à travers l’alphabétisation, on peut au moins leur donner le minimum vital, c’est déjà quelque chose. Nous allons voir comment nous pouvons appliquer cette méthode dans les classes. »

Samuel Lam (enseignant, BPS Beau-Bassin) : « Ils ont besoin de notre aide »
« Cette initiation à la méthode d’alphabétisation fonctionnelle de Caritas a été très enrichissante et nous aidera certainement dans notre travail. Le seul souci, c’est que nous avons trois groupes avec trois niveaux différents dans la classe. Il faudra peut-être chambouler le programme établi et s’adapter. Par exemple, l’enseignant d’anglais peut préparer ses notes et remettre au Facilitator, qui pourra encadrer les deux groupes ayant une certaine notion, pendant que lui fait l’alphabétisation avec le groupe le plus difficile.
« Après 18 années d’expérience – j’ai d’abord travaillé avec le Prevoc –, je constate que ces étudiants ont un certain potentiel. Il faut être passionné pour pouvoir travailler avec eux. Ils ont besoin de notre aide. Le talk and chalk ne marchera jamais dans l’Extended Programme. C’est pour cela qu’il faut développer d’autres méthodes. Si vous arrivez à leur témoigner un peu d’amour, vous aurez leur respect. »

Martine Caëtane-Marie : « Une grande tristesse de voir certains abandonner »
« Après 22 ans d’expérience dans l’enseignement, je constate qu’il y a toujours de nouveaux challenges avec des types d’élèves différents. Dans ce contexte, la formation en alphabétisation est certainement un plus pour nous aider dans notre tâche. Surtout que nos élèves n’ont pas accès aux spécialistes pour identifier leurs problèmes.
«Chaque année, sur un batch de 20 à 25 élèves qui arrivent dans l’Extended Programme, trois à cinq abandonnent dès le Grade 7. C’est une grande tristesse de les voir abandonner sans savoir comment ils vont se débrouiller. Beaucoup arrivent en Grades 9 ou 9+ et ne savent toujours pas lire. C’est pour cela que l’alphabétisation m’intéresse, car j’aimerais pouvoir les aider. »

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