Inspiration – Art vernaculaire indien : créer et éduquer

« Faites que votre tableau soit une ouverture au monde » [Léonard de Vinci]

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PRAVINA NALLATAMBY

L’art nourrit, guérit et nous ouvre mille horizons. On devrait lui témoigner notre gratitude comme on le fait à nos parents qui nous élèvent et nous éduquent. En 2019, la date du 15 avril est officiellement proclamée « Journée mondiale de l’art » par l’UNESCO, en honneur de Léonard de Vinci, peintre italien né le 15 avril 1452. Afin de célébrer la créativité artistique dans le partage et le dialogue interculturel, allons découvrir un art vernaculaire qui se met au service de la pédagogie en saluant des artistes issus de tribus indiennes.

S’inspirant de croyances et de traditions, cet art aujourd’hui très vivant en Inde est particulièrement apprécié en Occident. Depuis une vingtaine d’années, en France, des expositions ont eu lieu à Paris, avec « Les magiciens de la terre » au Centre Georges Pompidou, « Les Autres maitres de l’Inde » au Musée du Quai Branly et au Salon du livre de l’Inde à la mairie du 20e arrondissement. Fervents admirateurs et associations diverses prennent le relais pour faire connaitre ce beau patrimoine dans d’autres régions de l’Hexagone. Le monde de l’édition propose aussi de mettre cet art à la portée du jeune public au travers de merveilleux albums pour enfants.

Art vernaculaire de quelques régions de l’Inde (1)

L’art des Kurumbas, à l’origine une tribu de chasseurs et de cueilleurs vivant dans les montagnes Nilgiris dans l’Etat du Tamil Nadu au sud de l’Inde, reflète leur profond attachement à la nature. Dans leur tradition, les arbres dotés de fonctions rituelles et médicinales sont largement représentés dans des fresques peintes sur les façades de leurs maisons au moment des grandes fêtes.

Art des Kurumbas : l’arbre au centre d’une fresque sur la nature

Chez les Gonds, un peuple d’aborigènes dispersés dans les régions du Centre-Est de l’Inde, cultivateurs et pasteurs pour la plupart, les fresques ornant les murs des maisons ont été valorisées dans les années 1980 par Jangarth Singh Shyam avec la création du musée Bharat Bhavan à Bhopal. La peinture Gond, véritable art tribal contemporain, met en lumière la mémoire collective qui est le fondement de l’art des tribus indiennes. Dans cette tribu, les Pardhan, bardes communautaires, transmettaient l’histoire de leur peuple et de leurs divinités par des contes mis en musique. La représentation picturale est venue relayer cette tradition orale. Caractérisé par une multitude de petits points, l’art gond met généralement en scène des arbres où séjourneraient des divinités, des oiseaux et des animaux qu’on pourrait qualifier de fantastiques.

Chez les Warlis (2), un peuple issu des millions d’Adivasis, anciennes tribus aborigènes de l’Inde, on retrouve des scènes variées qui, depuis toujours, tapissent les murs de leurs maisons en dévoilant la nature, la vie sociale et religieuse, ainsi que des légendes pittoresques. Des artistes vivant au nord de Mumbai, dans la région de Dahanu, réalisent de grandes fresques de la vie quotidienne et très souvent l’arbre sacré, le pipal, le symbole de la puissance de la nature chez les Warlis. Caractérisé par trois éléments géométriques majeurs, la ligne brisée, le cercle et le triangle, et réalisé par des pinceaux artisanaux faits de roseaux avec un mélange de farine de riz et de résine pour la couleur blanche et de pâte de terre et de la bouse de vache pour la couleur brune, l’art pictural chez les Warlis devient une véritable prière aux divinités qui les protègent. Nous touchant profondément avec leur côté rupestre et presque naïf, les multiples motifs semblent évoluer dans un continuel mouvement rappelant le cycle de la vie, inscrivant les tableaux dans une véritable atemporalité.

De la peinture à la pédagogie

Cette peinture vernaculaire transmise depuis des générations est aujourd’hui exploitée dans l’édition. Plusieurs albums pour enfants édités par Gita Wolf et Anushka Ravishankar ont été traduits en France par les éditions d’Actes Sud Junior et les éditions Rue du Monde. Un, deux, trois dans l’arbre, une fable-comptine, présente le cheminement de dix animaux ; l’ouvrage raconte qu’il y a de la place pour tout le monde dans un arbre qui abrite tous les animaux en multipliant le nombre de ses branches au fil des pages ! Les enfants ont le plaisir d’apprendre à compter avec ce support conçu avec des petits dessins faits de pointillés et de boucles colorés et doté d’un message de sagesse sur l’harmonie dans le monde mise en scène grâce à l’art traditionnel des Gonds. Je vais t’avaler tout cru, dévoile un exemple de l’art Mandna de la tribu des Mina vivant actuellement dans les états du Rajasthan et du Madhya Pradesh. L’art Mandna constitué d’images réalisées à la chaux blanche et à la main sur les murs et les sols des villages se pratique de mère en fille.

Dans un autre style, Faire met en scène les détails d’une grande fresque réalisée dans la tradition de la peinture des Warlis en redonnant un sens profond à des actions. Tout ce qui constitue notre vie et qui est à « faire » est offert aux enfants pour qu’ils s’approprient leur quotidien avec des petits dessins géométriques représentants des bonshommes vaquant à leurs multiples occupations comme « parler », « chasser », « boire », « cultiver », « manger »

L’art vernaculaire indien dévoile un art de vivre de génération en génération dans ces tribus anciennes. Leur adaptation (3) pour la génération actuelle montre leur caractère universel. La créativité et la fascination devant tout type d’art joueraient aussi un rôle didactique dans notre société pour nous faire prendre conscience de la condition humaine et de la place de l’homme vivant en harmonie avec la nature environnante.

Avec cet héritage esthétique qui dépasse le cadre géographique de la péninsule indienne, on peut se rappeler ce que disait Malraux : « L’art, c’est le plus court chemin de l’homme à l’homme. »

Notes

(1) Association Dupatta http://www.duppata.com

(2) La peinture Warli http://www.peinturewarli.com/

(3) Dans un ouvrage qui vient de paraitre chez les éditions Belles Lettres, une rencontre avec l’illustratrice Roshni Vyam, de l’ethnie des Gonds https://youtu.be/dtUjFH4-yR0

Et un extrait de l’ouvrage illustré Le Raghuvansha de Kalidasa,

Avril 2022

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