La douleur de parents de perdre leur enfant est immense. Ils souhaitent tous, avant tout, que leurs enfants, qu’ils soient en bas âge ou adultes, voire mariés et eux-mêmes parents, soient toujours présents. Inimaginable pour des parents que leur enfant meurt. Pourtant, certains voudraient « qu’ils partent avant nous. » Un cri du coeur de nombreuses familles qui comptent un enfant avec un handicap mental. Non pas que ces parents n’ont pas de cœur. Au contraire. C’est parce qu’ils s’inquiètent de l’avenir de leur enfant, après eux. D’autres, toutefois, ont trouvé la solution: placer leur enfant dans un foyer, spécialement dédié pour les personnes en situation de handicap intellectuel. C’est le projet d’AFReSH, une nouvelle association de parents qui se mobilisent pour établir une maison « où nos enfants seront pris en charge. »
Maryse a 75 ans. Veuve, elle est maman de cinq enfants. Si tous sont en situation maritale, son troisième enfant, Michaël, ne l’est pas. Il a fêté ses 50 ans la semaine dernière, mais physiquement et mentalement, c’est comme-ci Michaël avait fêté ses 10 ans. Depuis sa naissance, il souffre d’un handicap intellectuel. Certes autonome, pouvant manger seul, se laver, se brosser les dents, s’habiller, il a quand même besoin d’assistance. Et sa mère est là pour lui, depuis 50 ans. Ses frères et sœurs, aussi. « Michaël est aimé de tous. Auprès des voisins, ou mêmes des étrangers, il est populaire. Il a la tchatche… », raconte Maryse, les yeux brillant de fierté.
« Mourir avant moi »
Pourtant, Maryse a un gros chagrin au cœur. « Il n’y a pas un jour sans que je ne pense à ce qu’il adviendra de lui quand je ne serai plus là », dit-elle. Elle a beau ressasser différents scénarios : elle ne voit pas qui s’occupera de son fils. Ses frères et sœurs? Ils sont nombreux et pourraient se passer le relais? « Non, ils ont leur vie », soupire Maryse, qui ne souhaite pas « imposer mon fils à quelqu’un d’autre. » Certes, la famille proche est prête et disposée à s’occuper de Michaël, mais Maryse ne s’y résigne pas. « Mes enfants sont très soudés et adorent leur frère, mais ce serait un trop grand sacrifice pour eux », pense-t-elle. Plus elle y réfléchie, plus elle se dit que la solution est « qu’il meurt avant moi. » Non, ce ne serait pas cruel, dit-elle, du bout des lèvres. « Au moins, je serai rassurée qu’il est bien là où il est. »
Ne pas imposer son enfant aux autres
Cette hantise de savoir ce qu’il adviendra à leur enfant handicapé intellectuellement est le quotidien de nombreuses familles. C’est le cas de Clive Casse, père de Sébastien, 32 ans, porteur d’un handicap intellectuel et scolarisé à l’Association des Parents d’Enfants Inadaptés de l’île Maurice (APEIM). « Depuis qu’il est tout petit, j’y pense. Je m’étais dit que ses sœurs s’occuperont de lui. Puis un jour, l’une est partie étudier et s’est mise en couple là-bas, et l’autre, la benjamine, vient d’entreprendre ses études. Si je le leur demande, elles n’hésiteront pas à prendre la charge de leur frère, mais est-ce la solution? Est-ce que je peux leur demander cela? », dit-il. C’est ainsi que depuis quelques années, Clive Casse songe à l’avenir de son fils après lui. Lors d’une conversation avec un parent d’enfant avec un handicap intellectuel, lui aussi élève de l’APEIM, il y a quatre ans, Clive Casse réalise qu’il n’est pas seul à s’inquiéter de l’avenir de son enfant. « Sebastien est autonome, mais il reste limité et nous devons être à ses côtés pour le guider. Qui fera cela après nous? », demande-t-il. Vient l’idée de monter un groupe des parents, membres de l’APEIM, pour « prendre les choses en main et s’organiser pour l’après nous. »
Née, alors, l’initiative d’un foyer pour les enfants avec un handicap intellectuel. « Non, ce n’est pas une maison de retraite que nous souhaitons, mais un lieu de vie où nos enfants seront chez eux, comme à la maison », explique Clive Casse.
Rs 2,5 M
À l’époque, après maintes réunions avec les parents dans la même situation que lui, il se rend à La Réunion et visite les locaux de l’Association Pour les Adultes et Jeunes Handicapés (APAJH) qui gère une structure pour les personnes à situation de handicap. L’association réunionnaise lui promet d’apporter son aide et d’assurer la formation de ceux qui seront responsables du foyer qui pourrait être mis en place à Maurice. Si à La Réunion, ce type de foyer est aussi subventionné par l’État, à Maurice, de telles structures n’existent pas.
C’est ainsi que ces parents qui ont formé l’Association Foyer Résidents en Situation de Handicap (AFReSh) commencent à réfléchir pour mettre sur pied un projet pour leurs enfants. « Le tout n’est pas de mettre ces enfants dans une maison. Il faut qu’ils y vivent comme à la maison. Il faut un personnel, un encadrement. Il leur faut se sentir bien », précise Clive Casse. Alors que le projet, au coût de Rs 2,5 M, est établi en 2019, le Covid-19 ralentit les plans d’AFReSH. Cependant, les parents n’ont pas baissé les bras. Ils ont, récemment, trouvé le lieu à Pointe-aux-Sables pouvant accueillir, pour l’heure, six résidents. « C’est une maison que le propriétaire avait mis en vente, mais en entendant parler de notre proje, il a décidé de nous la louer », raconte Clive Casse. Si bien qu’AFReSH ne souhaite pas attendre davantage pour lancer son projet. « Nous démarrons sur une base pilote pour pouvoir donner le maximum à ces enfants et voir comment se passe l’évolution. Certains parents sont âgés, d’autres sont malades. On doit pouvoir soulager leur besoin de voir leurs enfants entre de bonnes mains, avant qu’il ne soit trop tard, avant leur départ», dit Clive Casse.
Afin de réunir le budget nécessaire pour son projet, AFReSH s’est liée à l’organisation Small Steps Matters. En attendant de pouvoir réunir la somme totale à travers le sponsoring et autres levées de fonds, espèrent-ils, les parents ont mis la main à la poche pour la location du foyer dans les premiers mois. Ces parents seront encadrés par l’APEIM dans la mise en route de ce nouvel établissement, en ce qu’il s’agit de l’encadrement et de la formation psychologique du personnel. Ils bénéficieront, de même, du soutien de l’association réunionnaise APAJH.