Ainsi donc, ce serait pour préserver la santé des Mauriciens que Pravind Jugnauth a fait re renvoyer les élections municipales à l’année prochaine. Ah bon ! On avait compris que grâce à l’expérience et l’engagement total du ministre de la Santé, excepté pour ses séances de karaoké et de danse, Maurice avait été le premier pays à vaincre le Covid. Que le nombre de cas était passé de quelques milliers à quelques centaines, ce qui avait permis au ministre du Tourisme de déclarer que Maurice était une destination touristique « covid safe . Et la santé de la démocratie, alors ? Pour tenter de justifier leur renvoi, le Premier ministre a ajouté qu’on ne pouvait organiser les municipales puisque les réunions de plus de cinquante personnes sont interdites. Personne ne lui a dit que les électeurs ne vont plus aux meetings depuis des âges. Et que les foules que l’on voit dans les grandes réunions sont importées et payées et sont parfois composées de travailleurs étrangers ? Toujours pour essayer de justifier le renvoi, Pravind Jugnauth a fait un joke. Disons qu’il a essayé d’en faire un. C’est parce que les partis de l’opposition n’arrivent pas à se mettre d’accord qu’il a renvoyé les municipales pour leur donner une année pour faire l’entente. Mais depuis quand est-ce que l’organisation des élections municipales est devenue le bien personnel de Pravind Jugnauth au point où il se permet de choisir les raisons – plus futiles les unes que les autres – pour les renvoyer ? Et dire que son père a fait partie des politiciens qui, en 1982, ont amendé la Constitution pour qu’on ne puisse plus renvoyer des élections à Maurice…
Mais tout le monde l’a compris, ce n’est pas pour des raisons sanitaires ou pour faire une fleur à l’opposition que le PM a renvoyé, une fois de plus, les élections municipales. La vraie raison est qu’il sait que, même si elle est actuellement divisée, l’opposition peut trouver un terrain d’entente en quelques jours et remporter ces élections. En dépit de tout ce que les ministres de la Santé et des Finances peuvent raconter, la gestion de la situation sanitaire et celle de l’économie est restée en travers de la gorge des Mauriciens. Ils n’ont pas oublié l’amateurisme qui a régné à la Santé où l’on s’est surtout préoccupé, pendant les confinements, d’attribuer des contrats à des copains de la kwizin pour des équipements médicaux et des médicaments payés à prix d’or. En ce qui concerne la situation économique, les Mauriciens se fichent de savoir ce que Xavier-Luc Duval ou Rama Sithanen ont fait quand ils étaient aux Finances. Ce qui les intéresse est de savoir ce que M. Padayachy fait pour gérer la situation économique d’aujourd’hui. Ils auront retenu que le lendemain de la déclaration du ministre des Finances affirmant qu’il n’y a avait pas de pénuries de devises étrangères à Maurice, la Banque centrale a mis 200 millions de dollars sur le marché… pour mettre fin à la pénurie ! Le Mauricien électeur n’est absolument pas satisfait de la gestion du pays et commence à le faire entendre de vive voix aux ministres, députés et autres maires en utilisant un mot qui est devenu pour la police synonyme d’outrage à une personnalité politique : gopia. Pour l’avoir prononcé à l’encontre de deux ministres, obligés de quitter une réunion sous protection policière, trois conseillers du village de Plaine-Magnien ont passé la nuit au cachot. C’est exactement le même sort qui a été réservé à un responsable d’ONG qui, selon un seul témoin, aurait traité le maire de Vacoas de « gopia » lors d’une émission radiaphonique en public au cours de laquelle les élus du gouvernement ont été hués par la foule. Il semblerait que le mot gopia est subitement devenu une insulte passible d’arrestation policière, d’une nuit en prison et d’une accusation d’outrage. Ce n’était pas le cas quand Mme Hanoomanjee, la Speakrine, utilisait le même mot pour designer les élus du Parlement…
Les nombreuses réactions suscitées par ces arrestations sur les réseaux sociaux, les radios privées et dans la presse donnent une idée du mécontentement des Mauriciens. Par ailleurs, alors qu’ils doivent faire face à une grave crise économique qui a fait baisser le pouvoir d’achat et augmenter les prix, ils voient les membres du gouvernement se rendre par délégations entières à l’Expo de Dubai avec des allocations princières. Et quand les députés de l’opposition veulent savoir combien ont coûté aux contribuables ces visites ministérielles en temps de crise économique, le ministre des Finances refuse de répondre. C’est en raison de cette colère grandissante et de la situation économique qui ne peut que s’agraver que Pravind Jugnauth a renvoyé les municipales pour éviter le vote sanction qui lui pend au nez. Pour une fois, je suis d’accord avec Paul Bérenger : en renvoyant les élections, « Pravind Jugnauth pé sové » ! D’autres, plus directs, diraient « li finn bour en désordre ! »