Victime du système de Sale by Levy – Christiane Rousseau : « Le ciel m’est tombé sur la tête »

l Sa maison et son usine ont été saisies par la DBM

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l Elle paie les pots cassés de l’emprunt de Rs 6 millions contracté par son époux, décédé en 1997

Les victimes du système de “vente à la barre” (sale by levy) ne se comptent plus depuis belle lurette et témoignent de manière poignante des situations extrêmement difficiles dans lesquelles elles se trouvent. C’est le cas notamment de Christiane Rousseau, qui a vu sa vie basculer du rêve au cauchemar après le décès de son époux, Emmanuel, en 1997. Son visage hagard est symptomatique du calvaire auquel elle est confrontée depuis plus de 20 ans, qui a culminé à la saisie de ses biens, dont sa maison, sise à Mont-Roches, et son usine mises en vente à la barre. L’emprunt de Rs 6 millions contracté par son époux auprès de la Development Bank of Mauritius (DBM) en 1994 qu’il n’a jamais pu rembourser est à l’origine de cette mésaventure qui hante son esprit du matin au soir. Prenant son courage à deux mains, la veuve continue de dénoncer ce qu’elle qualifie de « méthodes peu conventionnelles » adoptées par le créancier. Sauf que sa démarche s’apparente à la lutte du pot de terre contre le pot de fer.

« Le ciel m’est tombé sur la tête » ont été les premiers mots prononcés par Christiane Rousseau au moment de nous accueillir, mercredi, à son domicile à Mont-Roches. On constate d’emblée que le danger se situe surtout du côté du toit qui menace de s’effondrer sur sa tête compte tenu de son état de délabrement avancé et des sceaux d’eau qui parsèment le sol de cette maison, typique des années 1970, qu’a fait construire l’homme qu’elle a épousé en 1967. « Rénover cette maison ne sera pas une mince affaire compte tenu du marasme financier dans lequel je suis empêtrée depuis plus de 20 ans et aussi parce que j’ai appris qu’elle ne m’appartenait plus et que je risque d’être ordered out comme nos députés de l’opposition ! » Christiane Rousseau a beau exceller dans l’humour, mais face à ce qu’elle considère comme étant « une cabale menée par un clan contre ma famille », la septuagénaire soutient que cet épisode douloureux a porté un rude coup à sa santé.

Pour comprendre la genèse de cette affaire, il faut remonter à l’année 1984. 17 ans après avoir convolé en justes noces et une décennie après avoir pris ses quartiers dans sa nouvelle demeure, le couple Rousseau acceuille  son premier enfant, de sexe masculin. « C’étaient les jours heureux, d’autant que mon époux semble s’épanouir et connaître une ascension professionnelle fulgurante. En atteste l’achat de notre maison et d’un terrain à Pailles. La naissance de mon fils a été l’élément déclencheur qui a conduit mon époux à viser encore plus haut. On a eu trois autres enfants par la suite », souligne Christiane Rousseau. En effet, après avoir tour à tour exercé en qualité de travailleur indépendant dans le secteur de la métallurgie et sous la houlette d’une grande firme manufacturière, Emmanuel Rousseau prend du galon, au point de décider de voler de ses propres ailes en 1993 en créant son usine.

Pour ce faire, il contracte un emprunt de Rs 6 millions auprès de la DBM, dont Rs 3 millions pour construire son usine sur un terrain à Pailles, laquelle entre en opération un an et demi plus tard. Le reste de l’argent est injecté dans l’achat d’équipements et de machines en Inde, où Emmanuel Rousseau s’est rendu en amont. Bien mal lui en a pris, puisque commence alors la descente aux enfers. « Il s’est fait berner par les Indiens, qui lui ont fait parvenir des équipements qui étaient non seulement défectueux, mais qui n’étaient pas conformes aux travaux qu’allait entreprendre l’usine », souligne son épouse.

Rs 3 millions qui partent en fumée ! C’est la douche froide. Christiane Rousseau souligne avoir vainement tenté, à l’époque, de convaincre son époux de jouer la carte de la prudence. « Je lui avais suggéré, en vain, de procéder par étape et de solliciter un prêt d’uniquement Rs 3 millions dans un premier temps. Rien ne laissait présager, en revanche, une telle mésaventure, tant il avait les compétences et la hargne pour amener son projet à bon port. » Sous la menace d’une de épée Damoclès, Emmanuel Rousseau, qui souffre de diabète et d’hypertension, sombre alors dans la dépression eu égard à ses affaires qui battent de l’aile et, forcément, il éprouve toutes les peines du monde pour honorer ses dettes auprès de la DBM, qui enclenche alors des actions légales pour tenter de récupérer son argent.

Des sanglots dans la voix, Christiane Rousseau confie qu’elle ignorait tout de l’engrenage dans lequel était empêtré son époux, avant d’être mis au parfum après avoir reçu un appel de l’huissier en mai 1996. « J’ai eu le choc de ma vie lorsque l’huissier m’a annoncé que l’usine de mon mari était en passe de faire l’objet d’une saisie. Emmanuel a voulu porter seul le fardeau. C’est mon plus grand regret, car je me dis que s’il m’avait dit la vérité, je lui aurais apporté tout mon soutien et qu’il serait encore de ce monde aujourd’hui. » Les ennuis de santé de son époux, qui a entre-temps appris qu’il souffrait d’un cancer du côlon, s’envenimeront au fil des mois. Il rend l’âme à l’aube de ses 60 ans, le 14 décembre 1997.

Désormais veuve avec quatre enfants à sa charge et n’ayant jamais travaillé de sa vie, Christiane Rousseau sait qu’elle devra faire preuve de résilience, dans la mesure où elle s’est mariée sous le régime de la communauté de biens, qui stipule que toute dette qui est contractée par l’un des deux membres du couple est liée à l’autre membre qui devient « solidaire. » Elle a forcément été rattachée à la dette souscrite par son défunt époux dès l’origine de la demande de crédit. Sachant que le couple s’est engagé, dans la convention d’hypothèque, à remettre à la DBM 470 toises (1785 m²) de son l’usine en cas de défaut de paiement, Christiane Rousseau se retrouve dos au mur, même si au bout d’âpres négociations, elle obtient un sursis d’un an de son créancier pour tenter d’éponger ses dettes sous peine que ses biens soient « put on sale by levy. »

Durant ce laps de temps, la veuve joue son va-tout dans une tentative désespérée de se dépêtrer de ce marasme. Hélas, elle a beau chercher un acquéreur ou un locataire pour son usine lui permettant de rembourser ses dettes, rien n’y fait. Le couperet tombe le 28 octobre 1999 : l’usine est saisie et mise en vente à la barre. La DBM avait, au préalable, envoyé une missive à Christiane Rousseau dans laquelle il ressort que “the bank exceptionally approved freezing of interests and penalties on the loan account in 1997 to prevent arrears from increasing.” Livrée à son sort, Christiane Rousseau voit le monde s’écrouler et elle ne sera pas au bout de ses peines en apprenant, quelques semaines plus tard, que c’est la DBM, elle-même, qui a acquis l’usine pour un montant de Rs 5 millions ! « Zot inn aste mo lizinn pou dipin-diber. Où est la logique ? Mes biens valent le double », s’insurge Christiane Rousseau, qui sonne la charge par le biais de son avocat, mais la DBM fait la sourde oreille aux contestations.

La veuve voit une lueur d’espoir apparaître au terme d’un entretien qu’elle a avec l’avocat de la DBM, qui lui aurait confié qu’ « il ne pouvait pas tolérer une telle vente pour Rs 5 millions, dans la mesure où l’usine valait au moins Rs 15 millions. Il m’avait promis qu’après la vente de l’usine par la DBM, il ferait en sorte que je bénéficie d’une part d’argent pour pouvoir subvenir aux besoins de mes enfants. » Son espoir fut, néanmoins, de courte durée, car l’avocat de la DBM mourra quelques mois plus tard. Et comme si cela ne suffisait pas, Christiane Rousseau tombe des nues lorsqu’elle apprend, en 2008, que la DBM a fait l’acquisition de sa propriété (house & land) sise à Mont-Roches, également sous forme de sale by levy, pour une somme d’environ Rs 1,1 million. Cette procédure, adoptée en 2007, enfonce davantage la vulnérabilité des Rousseau. Pour justifier cette saisie, la DBM souligne, dans une lettre, que « the bank received an amount of Rs 5, 4 M only against the loan amount of 6, 8 M and liabilities of Rs 8,8 M. Furthermore, following freezing of interest/penalties, as from 1997, the bank has already foregone a considerable amount exceeding Rs 10 M. »

14 ans se sont écoulés depuis que sa maison ne lui appartient plus et Christiane redoute qu’à sa mort, ses enfants et ses petits-enfants soient jetés à la rue. « Je ne pense plus à moi pour vous dire franchement, mais qu’adviendra-t-il des membres de ma famille qui doivent payer les pots cassés aujourd’hui ? Ils ont autant souffert que moi. Mo lakaz pe koule et j’éprouve toutes les peines du monde à régler mes factures, dont celle du CEB, qui a atteint Rs 108 000. » Parmi les nombreuses demandes adressées par la famille Rousseau à la DBM, elle retient « le ton condescendant avec lequel des cadres de la banque m’ont accueillie. Ils n’ont pas eu une once d’humanité et étaient animés d’un sentiment de revanche, j’ai l’impression », souligne la septuagénaire. À noter que le bâtiment abritant ladite usine est loué par la DBM à une entreprise du secteur métallurgique… comme ce fut le cas jadis.

L’incertitude plane toujours sur le sort qui lui sera réservé, mais Christiane Rousseau n’est pas prête de jeter l’éponge. Elle s’est mêlée au combat orchestré par Harish Boo-dhoo et Salim Muthy pour les victimes du système de sale by levy et s’évertue à marquer sa présence aux rassemblements organisés en ce sens, allant même jusqu’à entamer une grève de la faim pour enjoindre les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir d’instituer une commission d’enquête qui devient une réalité en mai 2012, sous le gouvernement PTr-PMSD. Un rapport est rendu public quatre ans plus tard et repose sur treize recommandations, qui comprennent notamment qu’une maison familiale… ne puisse être offerte en garantie, sauf pour l’achat d’un terrain pour y construire une résidence familiale. Reste qu’un long chemin semé d’embûches attend les familles lésées avant qu’elles puissent retrouver une once de dignité.

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