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Smart City : Roches-Noires, mine d’or ou terrain miné…

Encore une fois, ce petit village du nord-est fait parler de lui, et pas toujours pour les bonnes raisons… Il y a une semaine, des citoyens engagés ont tiré la sonnette d’alarme sur un énième projet de construction en gestation à Roches-Noires : la Roches Noires Smart City (RNSC). Pas moins de 358 hectares de forêts vierges, d’étangs et de caves seront remplacés par un hôtel de 90 villas de luxe dans un premier temps et une ville intelligente dans un deuxième temps. Le promoteur, PR Capital, subsidiaire du groupe français City Group, qui a fait la demande en 2021 pour un Smart City Certificate auprès des autorités concernées, a obtenu une letter of comfort en mars 2022 lui permettant de soumettre son Master Plan ainsi que son Environment Impact Assessment (EIA) dans l’attente d’obtenir le feu vert pour démarrer les travaux. Les citoyens, eux, n’ont que deux semaines pour tenter de raisonner l’un ou l’autre.

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15h. Le village de Roches-Noires est presque vide. Sur la route côtière, après la petite église, des villageois prennent l’air marin, tandis qu’un pêcheur s’affaire à nettoyer sa prise du jour, un peu plus loin près du barachois. Un spectacle comme on n’en voit plus à Maurice, entre plages bondées, hôtels de luxe et grands magasins huppés. « Développement oui, mais développement comment ? » se demandent ceux qui ont décidé d’agir après avoir eu vent de ce projet. Ainsi, sur les réseaux sociaux, de nombreux collectifs citoyens se sont mis en place pour dénoncer et aussi informer le public sur ce qui est at stake avec un tel projet.

Bernard Cayeux, citoyen engagé et membre du collectif Mru 2025 et du groupe Protégeons l’écosystème de Roches Noires regroupant plusieurs habitants de la région, est de ceux-là. Il nous attend sur le pont. « Toute cette partie sauvage que vous voyez, y compris le pont en pierres, sera sans nul doute transformé en quelque chose de luxueux, peut-être une marina », nous dit-il. En effet, il est de ceux qui suivent cette affaire depuis de nombreuses années, car ce n’est pas la première fois que l’on fait de l’œil à cette partie de l’île. D’ailleurs, les premières tentatives remontent à 2005, où une entreprise sud-africaine Elan Group avait reçu un certificat IRS pour Roches Noires Resorts and Residence Ltd (voir encadré). Depuis, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts.

358 hectares : un État dans un étang

« C’est une ex-Coastal Forest qui est différente des forêts endémiques à Maurice. Il y a le potentiel ici de refaire la Coastal Forest de Maurice entièrement. Il y a 15 variétés de plantes en danger et il suffit d’enlever les parasites pour laisser faire », nous dit-il. En effet, Bernard Cayeux comme beaucoup d’autres qui s’élèvent contre ce projet, regrette que les autorités et promoteurs ne voient pas le réel potentiel de cet espace, soit le potentiel de développer une nouvelle forme de… développement durable, et par conséquent une nouvelle forme de tourisme durable. Outre les wetlands, il y a aussi à Roches Noires des bassins, des caves, des tunnels laviques qui forment « un tout. » « C’est un État dans un étang », explique-t-il. « Cette partie est connectée à tout le système de la Plaine des Roches. »

Une mine d’or géologique, mais aussi pour les habitants de la région qui connaissent chaque cave, chaque bassin, chaque tunnel par cœur. « Un jour, nos avons vu un vieil homme qui s’était cassé le genou se baigner dans un des bassins et qui pensait que l’eau allait l’aider à guérir », raconte Bernard Cayeux. Ainsi, les villageois de Roches Noires, Pointe des Lascars et Poudre d’Or ont construit tout un folklore autour de ce site qui, pour info, appartenait au groupe Fon Sing (352 hectares), à la Société Yajna (4,22 hectares) et S. Ghurburrun (0,7 hectare). Bernard Cayeux explique ainsi que tous les travaux de construction qui se tiendront sur le site auront inévitablement un impact sur la vie sociale de ces habitants qui dépendent pour beaucoup de la pêche.

« Tout ce qui va arriver là va impacter là-bas. Une wetland n’est pas isolée, mais hyperconnectée à tout ce qui l’entoure, en bref ici c’est un gruyère de systèmes, c’est de grands écosystèmes qui communiquent entre eux, et il n’y a pas beaucoup d’endroits comme ça à Maurice, sauf peut-être à Pointe d’Esny. » Il regrette ainsi qu’un tel projet d’envergure ne puisse pas prendre cela en considération. « L’autre problème du projet, c’est qu’il n’est pas nécessaire », et surtout pas ici dans cette région qui reste relativement sauvage, au même titre d’ailleurs que le sud de l’île. Il ne comprend pas « pourquoi vouloir transformer l’est en Grand-Baie. Et pourquoi ne pas profiter de notre retard pour faire différemment ? »

« Rien qui sera économiquement une vache à lait »

Bernard Cayeux est ainsi d’avis que cet espace qui a vu passer de nombreux promoteurs, dont le dernier qui a rasé une partie de la forêt, devrait être utilisé à bon escient. « Nous ne sommes pas contre le développement, mais quelle est l’utilité de construire un hôtel ou de faire une smart city ici ? Faire une smart city à Rose-Hill, oui, pourquoi pas ? » Il soutient qu’il aurait été plus ingénieux de « mettre à disposition des terres agricoles comme à Ferney ou alors créer un espace récréationnel qui serait géré par le privé et l’État. » De plus, il souligne que dans le rapport EIA soumis par le promoteur, il ne fait pas mention de la smart city, mais uniquement de l’hôtel. « Il faut qu’il soumette tous les EIA maintenant pour prendre une décision. Dans son état actuel, ce n’est pas clair du tout, il n’y a aucun design à part des lubies », déplore-t-il.

Par ailleurs, il explique que sur ce site, avec un tel projet comme le RNSC qui propose la construction de villas classiques et de terrains de golf, « il n’y a rien qui va marcher, il n’y a rien qui sera économiquement une vache à lait, car qui serait assez fou pour aller investir dans un hôtel post-Covid. Ce qu’il faut faire, c’est capitaliser sur la nature. » Comme beaucoup de contestataires, il s’étonne aussi qu’un tel projet soit d’actualité. « Nous avons demandé au tourisme de nous réinventer, oui, mais alors comment laisser de telles choses se passer ? » s’interroge-t-il. « Un projet touristique qui marcherait, c’est un very light covering, avec un projet bien intégré où l’on se déconnecterait de tout, développant tout le reste pour le nature lover. C’est cela faire du développement durable, du tourisme durable. Le béton ne veut pas dire développement. Le développement, c’est développer des marchés niches, et inventer des concepts », regrette Bernard Cayeux.

Avec uniquement deux semaines, soit jusqu’au 30 avril, pour revoir les 500 pages du rapport EIA du promoteur, il explique que lui et quelques bénévoles soumettront des commentaires pour essayer de faire changer certaines choses. « Nous n’avons pas les connaissances techniques ou légales pour faire ce que nous faisons, ce qui n’est pas juste, car dans le camp adverse, eux ont eu une année pour préparer ce rapport. Cela étant dit, nous serons prêts pour présenter nos arguments et surtout pour essayer de comprendre ce qu’il en est réellement de ce projet. »

Il faut noter que Week-End a tenté de contacter les promoteurs, en vain. Affaire à suivre…

Gregory Middleton :« The greatest concentration of caves »

Le site est considéré comme une zone environnementale sensible, riche en espèces animales et végétales, et comportant de nombreuses zones marécageuses, mais aussi de nombreuses caves… dont la plus connue, « la cave madame ». Dans un document daté de 1998, intitulé Lava caves of the Republic of Mauritius, Indian Ocean, le chercheur Gregory J. Middleton indique que la Plaine des Roches connectée avec Roches-Noires a « the greatest concentration of caves », avec à l’époque plus de 29 caves répertoriées. La plus grande cave a été découverte en 1991 à 520 mètres. Elle est un tunnel de 10 à 15 mètres de large et de 10 mètres de hauteur qui abriterait la plus grande colonie de chauves-souris de l’île ainsi que des colonies d’oiseaux. À l’époque, l’auteur mettait en garde contre les pratiques néfastes à la survie de ces caves, qui représentent de véritables mines d’or en biodiversité, et tirait la sonnette d’alarme sur les activités humaines, dont l’agriculture, la pollution, et même la sorcellerie. Il était loin de se douter que les villes intelligentes allaient un jour s’ajouter à la liste…

Chronologie des événements

Roches-Noires, l’objet de toutes les convoitises

En 2015, Roches-Noires était sur toutes les lèvres. Pas pour ses villas, dont l’une devenue mythique, mais surtout pour ces nombreuses tentatives de “développement”. En effet, l’affaire Roches-Noires faisait l’objet d’une question parlementaire posée par le leader de l’opposition d’alors Paul Bérenger et à laquelle répondait le ministre des Finances Vishnu Lutchmeenaraidoo. Dans la réponse de ce dernier, tous les projets sont cités, y compris le projet de construire une deuxième piste d’atterrissage qui finira par être abandonné en 2015. Nous retraçons ci-dessous la chronologie des événements. À savoir que depuis quelques années, les derniers propriétaires en date, soit le YIHE Group, sont en difficulté financière…

– 15 septembre 2005 : le Board of Investment (actuellement Economic Development Board) reçoit une application de Roches Noires Resorts and Residence Ltd pour l’obtention d’un IRS Certificate pour la construction de deux hôtels, d’un terrain de golf, de chalets, d’une marina et d’un Business Park sur une étendue de 352 hectares de terre. À l’époque, c’est l’entreprise sud-africaine Elan Group qui décide d’investir en rachetant les terres des propriétaires mauriciens, Grand Lake Ltd représenté par Fon Sing Group.

l 6 décembre 2005 : Elan Group obtient une « letter of comfort »

l 9 octobre 2006 : Elan Group décide de se retirer pour laisser place à un consortium dirigé par Jean Marie Bain

l 30 avril 2007 : Le BOI demande à Roches Noires Resorts and Residence Ltd un nouveau Master Plan du projet incluant la marina

l 30 mai 2007 : Le projet obtient son permis EIA et son certificat IRS le 13 novembre 2007.

l 30 octobre 2007 : les 358 hectares de terre sont rachetés par le consortium

l 11 février 2010 : Le consortium informe le BOI de ses difficultés financières et fait une demande pour vendre 90 hectares à des investisseurs locaux pour la construction d’un morcellement. La demande est rejetée.

l 3 mai 2011 : La compagnie passe sous administration et en avril 2011, MM. Bonieux et Lutchumun sont nommés « receivers and managers » de Roches Noires Resort and Residence Ltd.

l 5 avril 2012 : La compagnie perd son certificat IRS

l 4 septembre 2012 : Enter le groupe chinois YIHE Group

l 1er mars 2013 : YIHE Group crée Island Summer Palace Ltd, projet IRS en trois phases : la première un hôtel, une zone commerciale, une business zone, un convention centre et une marina ; la deuxième un terrain de golf, des villas de golf et un club-house et la troisième des low-side residential units, un retirement village et un education hub. Tout cela pour un total de Rs 44 milliards.

 

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