Un des impacts sociaux les plus importants de la crise sanitaire ayant secoué le monde ces deux dernières années est bien celui qui a touché l’École de plein fouet. Au moment où il a fallu la faire redémarrer à distance, comme pour les entreprises, notre École publique à Maurice n’a pas su s’adapter. Déjà affaibli par une administration sclérosée, peu transparente et visiblement très peu réactive, notre système d’éducation nationale a montré au grand jour ses failles. Elle ne communique que très peu avec le corps enseignant. Les décisions de reprises ou d’arrêt, l’école en ligne qui a été une catastrophe générale car tellement inégale pour tous les enfants de notre République, la vaccination des jeunes, les procédures à mettre en place si un cas de Covid est détecté, le calendrier maintes fois modifié : les enseignants n’ont cessé de dire qu’ils ne peuvent pas être les derniers mis au courant. Dans la tour d’ivoire à Phoenix, on n’en a cure ! À toute cette cacophonie engendrée par la COVID est venue se rajouter ces dernières semaines la décision du ministère de l’Éducation de proposer uniquement aux enfants nés entre le 1er janvier 2015 et le 31 mai 2015 de passer en une classe supérieure (Grade 2) alors que ceux nés à partir du 1er juin jusqu’à la fin de l’année sont systématiquement bloqués en Grade 1.
Cette mesure n’a pas fait l’objet d’une réelle consultation. La majorité des enseignants a été mise devant le fait accompli. Les parents, eux, n’ont jamais été consultés. Comme pour les mesures prises en temps de Covid, on impose sur les citoyens sans la moindre explication. Et les autorités s’offusquent que les enseignants en soient contrariés, que les parents soient en colère et crient à une injustice flagrante et que certains enfants de notre pays se sentent lésés ! Les têtes pensantes du ministère de l’Éducation leur nient même ce droit !
Mais que dit tout ceci de notre école publique ? Qu’on ait des enfants ou pas, qu’ils soient concernés ou pas, chaque Mauricien doit se pencher sur cette fabrique qu’est l’École publique. C’est la fabrique de l’île Maurice de demain.
Depuis de nombreuses années, nos écoles publiques souffrent d’un niveau d’apprentissage en chute libre. Personne ne mentira ici sur l’état d’esprit de nos enseignants qui subissent eux-mêmes le programme sans pouvoir appliquer une méthode avec plus d’empathie. Qui parle de la frustration, sinon de la souffrance des enseignants ? Tout le monde sait que par exemple avec l’introduction de la nine-year schooling pour contrer le CPE, le remède tant espéré n’a eu que très peu d’effet. Les leçons particulières restent un fléau qui ronge nos enfants. Les parents ayant des moyens financiers choisissent les écoles privées pour leurs progénitures ou les enseignants les mieux côtés pour les cours privés. Il s’agit que leurs enfants restent dans la course de cette élite que l’École publique produit sans se soucier de ceux dépourvus des moyens de cette alternative. La pandémie est venue creuser cet écart. Les cours diffusés à la télévision nationale pour les élèves en primaire au moment des confinements successifs ont soulevé un tollé par leur qualité affligeante ! Pour d’autres, l’École publique proposait des cours en ligne. Soit. Mais qui se souciaient de ceux qui ne sont pas équipés de tablettes ou d’ordinateur pour ce faire ? C’était une promesse de gouvernement que certains n’ont jamais vu venir !
L’École publique, celle que j’ai moi-même fréquentée et qui a aidé à construire la femme que je suis aujourd’hui, est devenue ces dernières années le symbole même des inégalités et de la ségrégation scolaire endémique au système mauricien.
Il serait utile de mesurer aujourd’hui l’impact de la création des écoles en Zone d’éducation prioritaire (ZEP) sur les enfants et les familles de régions concernées. Quelle ligne a-t-on fait bouger ? Que ce soit mis clairement sur papier et chiffré !
Ces établissements, qui en théorie étaient censés assurer aux enfants de milieux défavorisés une chance égale pour intégrer la société plus tard, sont restés une voie de garage subie pour les classes populaires.
Faites l’exercice de localiser ces écoles sur une carte géographique du pays, regardez de près le taux d’absentéisme dans ces écoles, observez les enseignants qui y vont volontairement et faites une enquête pour comprendre qui sont ceux qui y sont transférés, analysez les moyens mis à disposition des enseignants et des enfants de ces établissements, jugez du contenu pédagogique qui leur est proposé… Vous verrez de plus près une part de la réalité de notre pays.
On regarde « échouer », c’est-à-dire arriver en Grande 6 sans maîtriser les fondamentaux que sont lire, écrire et compter, des centaines d’enfants mauriciens sans réagir. On trouve normal que les parents s’éreintent au travail pour payer des leçons particulières. Quelle est donc la mission de l’École publique? Elle se doit d’être bienveillante tout en assurant la maîtrise des fondamentaux pour le plus grand nombre ? Plus on s’éloigne de cette conception de l’École publique, plus on favorise une compétition stérile. C’est une vision à court terme : la société a intérêt à soutenir ceux qui sont désavantagés par leur milieu social face aux apprentissages initiaux. L’île Maurice de demain a besoin de générations qui partagent un langage et un savoir communs.
Le dernier rapport de l’UNESCO est éloquent sur cette école à deux vitesses que nous cautionnons. Jugez : en 2020, comme les années précédentes, plus 15000 enfants ont pris part aux examens du PSAC (sanctionnant le cycle primaire). Cette même année, comme les années précédentes, seulement quelque 7 800 jeunes ont pris part aux examens du HSC (sanctionnant le cycle secondaire). Cela veut dire que depuis des années plus de la moitié de nos jeunes quittent le système scolaire avant la fin des études du cycle secondaire. Rien ne nous alerte ?
L’École publique est censée poser un socle national dans l’optique d’une idée « d’égalité de savoir ». Elle est devenue malheureusement une machine de reproduction sociale. Aujourd’hui, elle en arrive même à discriminer sur une question de date de naissance les enfants de notre République.
Nous sommes à un moment historique : les inégalités s’accroissent, la précarité s’amplifie, le dérèglement climatique et la fragilité sociale sont des épées de Damoclès au-dessus de nos têtes; nous avons le devoir de réclamer auprès de ceux qui s’avancent en politique de faire émerger une nouvelle ambition pour notre société et notre jeunesse. La transparence doit guider les décideurs. La bonne gouvernance doit guider les institutions. L’émancipation et l’épanouissement des individus doivent être les maîtres-mots qui guident notamment nos politiques éducatives.
Idéal Démocrate demande la tenue des assises de l’École publique. Nous voulons d’une vraie et grande concertation pour une refonte des écoles publiques. Que les enseignants soient écoutés, que l’avis des parents compte, que la direction des écoles bénéficie d’une certaine autonomie ! Nous appelons à ce que les discriminations qui condamnent des enfants de notre pays, moins chanceux dans des parcours précaires, soient réellement combattues. Que chacun regarde sans hypocrisie quel citoyen notre école contribue à construire pour demain !
Un échec scolaire dans notre pays, c’est celui de l’enfant et de la famille. Dans d’autres pays, c’est aussi l’échec de ceux et celles qui décident de la politique éducative !