Titulaire d’un doctorat en génie moléculaire avec une spécialisation en immuno-ingénierie, Chitavi Maulloo a été recrutée pour analyser les actions des sociétés de biotechnologie à Wall Street. Elle guide ainsi les investisseurs dans leurs décisions. Elle a aussi créé et dirigé une start-up dans le domaine des allergies alimentaires par le biais du programme NSF 1-Corps, d’une collecte de fonds auprès du Food Allergy Fund, du Compass Deep Tech Accelerator et du très compétitif New Venture Challenge. Chimiste de formation, dans sa thèse universitaire, elle développé des formules pour des vaccins inverses ciblant les ganglions lymphatiques, prévenir et traiter les allergies alimentaires. De New York, où elle vit, Chitavi Maulloo se raconte…
Chitavi Maulloo, vous êtes titulaire d’un doctorat qui vous mène vers les affaires et la finance dans l’industrie biotechnologique. Pourquoi ce choix de carrière ?
À mi-chemin de mon doctorat, j’étais consciente que je ne voulais pas continuer dans le milieu universitaire et la science fondamentale. J’étais attirée vers l’industrie biotechnologique et le processus de commercialisation qui consiste à faire passer un produit du laboratoire au chevet du patient.
Ma plus grande aubaine, je la dois à mon directeur de thèse, le Dr Jeff Hubbell, qui est lui-même un entrepreneur en série, avec beaucoup d’expérience en la matière et qui m’a donné l’occasion extraordinaire de diriger une entreprise (Phlaxis) issue de mon projet de thèse. J’ai eu beaucoup de plaisir à faire cela pendant un an, et j’ai réalisé que ce que je voulais faire après avoir obtenu mon diplôme se situait à l’intersection de la science et des affaires dans le monde de l’entrepreneuriat.
Pendant mes études de doctorat, j’ai également effectué un stage dans le domaine de l’investissement en biotechnologie. J’ai beaucoup apprécié. Ce qui a renforcé mon intérêt pour l’investissement et la finance. La recherche sur les actions était pour moi une voie parfaite pour obtenir le meilleur des deux mondes. Je peux utiliser les connaissances scientifiques et techniques que j’ai acquises au cours de mon doctorat pour aider les investisseurs à investir dans des sociétés et des actions biotechnologiques spécifiques.
Mon équipe couvre un large éventail de sociétés dont les technologies sont à la pointe de la science. Et je suis reconnaissante d’avoir mon mot à dire sur les technologies de nouvelle génération qui bénéficieront aux patients dans les dix prochaines années.
Une femme à Wall Street, cela ne court pas les rues. Racontez-nous votre cheminement dans cette sphère et votre contribution ?
En effet, j’étais déjà sous-représentée en tant que femme dans le milieu universitaire et dans mon programme d’ingénierie à l’université de Chicago et cela a définitivement plus compliqué dans une banque d’investissements à Wall Street.
Le département de recherches sur les actions de Jefferies (la banque où je travaille) compte 30% de femmes, y compris à des postes de direction et d’analystes Senior, ce qui est bien mieux qu’au sein de certaines autres banques. Et c’est l’une des raisons qui m’ont poussée à rejoindre cette société.
C’était un véritable défi lorsque j’ai commencé à travailler chez Jefferies. J’étais la seule femme de mon équipe et la première que mon directeur avait engagée. La barre était placée très haut. Chaque fois que l’on m’avait demandé de diriger un projet, on m’avait déjà traitée d’opportuniste, d’agressive ou de trop émotive, et cela s’est reproduit au sein de mon équipe. J’ai confronté la personne qui s’est rendu compte qu’elle était sexiste.
Je me suis également entourée d’un groupe extraordinaire de mentors féminins au sein de l’entreprise, qui avaient connu des problèmes très similaires tout au long de leur carrière. Ce qui m’a aidée à renforcer ma confiance dans le monde de la finance. Les choses se sont beaucoup améliorées après les six premiers mois et maintenant que j’ai l’expertise du travail et que j’ai fait mes preuves auprès de mon manager et du cabinet, j’ai l’impression que ma voix est davantage entendue. J’ai rejoint le conseil des associés afin de m’assurer que les nouvelles recrues féminines bénéficient d’une transition plus aisée vers Wall Street.
Je fais également partie d’un comité qui fait passer des entretiens aux stagiaires d’été, chez Jefferies. Et je suis fière que la dernière cohorte que j’ai interviewée ait compté une grande majorité de femmes très talentueuses.
Vous avez aussi créé une équipe de start-up dans le domaine des allergies alimentaires par le biais du programme NSF 1-Corps. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Oui ! C’est probablement la chose la plus excitante que j’aie faite à l’école doctorale. Après avoir eu mon premier moment Eureka pour mon projet de doctorat, le Dr Jeff Hubbell et moi avons discuté des applications translationnelles potentielles du résultat et pensé qu’il pourrait présenter un avantage révolutionnaire en tant que vaccin prophylactique pour les allergies alimentaires.
Pour situer le contexte, mon projet consistait à développer un vaccin inverse pour traiter les maladies auto-immunes (comme le diabète de type 1 ou les allergies. Un vaccin traditionnel (comme le vaccin contre le Covid) active votre système immunitaire pour qu’il produise des anticorps et une mémoire immunologique capable de combattre rapidement l’infection lorsque vous y êtes exposé.
Un vaccin inverse fait l’inverse – il supprime votre système immunitaire aux auto-antigènes ou aux allergènes de sorte que vous ne développiez pas de réaction la prochaine fois que vous êtes exposé à l’allergène ou qu’il atténue considérablement la réaction dans le cas d’une maladie auto-immune où votre corps est exposé de façon chronique à l’auto-antigène.
Cependant, un grand point d’interrogation subsistait quant à la possibilité de créer une entreprise autour de l’idée d’une vaccination prophylactique pour les enfants ou les nourrissons présentant un risque élevé de développer une allergie alimentaire.
Existe-t-il un marché ? C’est la question à laquelle j’ai tenté de répondre dans le cadre du programme I-Corps, financé par la National Science Foundation des États-Unis. J’ai constitué et dirigé une équipe qui a testé l’idée en interrogeant des experts et des leaders d’opinion dans le domaine des allergies alimentaires, mais aussi des parents d’enfants souffrant d’allergies alimentaires.
Vous évoquiez aussi à un certain moment de l’interview le taux alarmant des allergies alimentaires aux États-Unis. Comment remédier à cette situation ?
Aux États-Unis, les taux sont alarmants et ont doublé au cours de la dernière décennie : un enfant sur 12 souffre d’une allergie alimentaire (soit environ deux par classe) et deux enfants sur cinq souffrant d’allergies alimentaires sont envoyés aux urgences pour une réaction anaphylactique potentiellement mortelle chaque année. Et il n’existe actuellement aucune solution pour les prévenir.
Nous avons reçu une réponse extrêmement positive de la part de la communauté, ce qui nous a confortés dans l’idée qu’il existe un marché et que la mise sur le marché d’un vaccin aussi novateur ferait une réelle différence dans la vie de ces personnes. Nous sommes ensuite allés chercher USD 400 000 comme fonds de démarrage pour soutenir notre recherche en laboratoire.
Chimiste animée par une passion pour le développement thérapeutique dans les sciences de la Santé, vous avez aussi un doctorat en génie moléculaire avec une spécialisation en immuno-ingénierie. Ce qui vous a permis aussi de développer des vaccins ciblant les ganglions lymphatiques. En quoi votre contribution a-t-elle été essentielle ?
Le domaine des vaccins est un domaine très ancien et pourtant toujours très passionnant à l’heure actuelle. La pandémie de Covid-19 a été et reste un grand témoignage de cela. Les vaccins sont utilisés pour générer une mémoire qui sert ensuite à nous empêcher de tomber malades lorsque nous sommes exposés au véritable agent pathogène. Plus le vaccin est efficace, mieux c’est évidemment. Et il existe de nombreuses façons de rendre un vaccin plus efficace.
L’une d’entre elles consiste à cibler le vaccin sur les ganglions lymphatiques par le biais d’une injection sous-cutanée, afin d’accéder à des populations spécifiques de cellules qui ne sont pas accessibles par une injection intramusculaire ou intraveineuse.
Dans le cadre de mon travail de doctorat, j’ai montré que le ciblage d’un glyco-vaccin (vaccin dont le squelette est constitué de polymères de sucre) sur les ganglions lymphatiques permet d’accéder à d’importantes populations de cellules qui peuvent ensuite diriger une réponse immunitaire suppressive (vaccin inverse).
Cette technologie a des implications importantes dans la prévention et le traitement des allergies et des maladies auto-immunes. Mes travaux mécanistiques ont été publiés en 2021 : https://www.frontiersin.org/articles/10.3389/fimmu.2021.714842/full
Avec le Covid, votre expérience des vaccins peut-elle être d’un apport positif ?
J’ai une certaine expérience de travail avec les vaccins traditionnels qui sont conçus pour défendre notre système immunitaire contre les infections, mais mon travail était spécifique à l’ingénierie d’un vaccin inverse comme je l’ai décrit ci-dessus. Donc, aucune application directe aux vaccins Covid.
Vous êtes actuellement à Wall Street, New York. Comment la Mauricienne que vous êtes a-t-elle réussi à s’affirmer et faire la fierté de son île natale ?
Ce n’était pas facile d’être presque toujours le seul Mauricien à l’école ou au travail – c’est comme si nous étions ce Pokémon rare – avec des capacités et des pouvoirs spéciaux. Je suis incroyablement reconnaissante envers mes mentors, tant dans mon pays qu’aux États-Unis, de m’avoir donné des occasions incroyables de démontrer et de développer mon talent, et surtout de m’avoir guidée dans les différentes étapes de ma vie.
À titre d’exemple, j’ai reçu une bourse complète de la prestigieuse université de Rochester pour étudier ce que je voulais (pour moi, c’était la chimie), une bourse sans laquelle je n’aurais jamais pu me permettre de réaliser mon rêve d’aller aux États-Unis.
La clé est de trouver un système de soutien fiable et digne de confiance, et, je suis heureuse d’avoir pu le faire grâce à des mentors et des amis à Maurice, aux États-Unis et dans différents coins et recoins du monde. Sans omettre le soutien inconditionnel de ma famille qui m’a toujours encouragée à viser haut et à poursuivre ma passion. Je sais que je l’ai rendue fière et que je continuerai à le faire. La construction de ma marque est encore un travail en cours et il y a encore tellement de choses à accomplir.
Sur quel projet travaillez-vous actuellement ?
De nombreux projets ! Je travaille toujours chez Jefferies, c’est donc mon principal centre d’intérêt pour le moment. En dehors du travail, je me concentre sur la création d’une marque, le recrutement de femmes de talent dans la société, le travail en équipe pour trouver des moyens concrets d’améliorer la culture de Wall Street, la sensibilisation aux allergies alimentaires et la contribution à davantage de publications scientifiques sur le sujet.
Votre philosophie de vie se résume à quoi ?
Ma philosophie de vie est d’être heureuse, dans chaque petite et grande chose que j’accomplis chaque jour et de ne pas avoir peur de prendre des risques et d’essayer de nouvelles choses.
Quels sont vos prochains défis ?
C’est une question passionnante. Je pense que mon prochain défi sera de trouver comment devenir encore meilleur dans ce que je fais et de me frayer un chemin jusqu’à la direction d’une entreprise de biotechnologie.
À un moment donné, j’ai également hâte de lancer un podcast de comédie scientifique, une activité parallèle que j’ai envie de faire depuis un certain temps déjà. J’aime beaucoup les comédies de stand-up et j’aime la science, et il n’y a pas de meilleur moyen de combiner les deux. Il y a malheureusement beaucoup de désinformation et de Fake News et cela représenterait un excellent moyen d’éduquer les masses sur la science d’une manière amusante.
Un message pour vos compatriotes mauriciens ?
As cheesy as that sounds, follow your true passion ! La vie est un défi, apprenez à l’embrasser. Donnez toujours la priorité à votre santé mentale et à votre paix intérieure. Et ne planifiez pas trop, soyez plutôt ouvert au changement et au pivotement parce que la vie est pleine de surprises. Et je pense que tout le monde a appris cette leçon de la pandémie.
Comment votre métier contribue-t-il à faire rayonner votre vie de femme ?
Le monde de la recherche sur les actions est fascinant, et j’apprends quelque chose de nouveau au quotidien. Pour moi, mon métier est une opportunité de briller tous les jours.
En dehors de votre vie professionnelle, en quoi consistent vos passe-temps ?
J’aime bien dire que je suis l’heureuse maman d’un corgi absolument adorable de dix mois. Taro, mon chien, est une telle joie de vivre – il est intelligent, drôle, aventureux et me rappelle toujours qu’il faut m’amuser et être heureuse.
En plus d’emmener Taro faire de longues promenades au bord de la rivière Hudson, j’apprécie un cocktail bien préparé dans un bar ensoleillé sur le toit de la ville, les clubs de comédie, le karaoké et les guerres de jeux vidéo Nintendo avec mes amis. Je suis également obsédée par les émissions de pâtisserie sur Netflix.
S’il fallait vous décrire en quelques mots…
Une bosseuse optimiste et loyale.
Quel est le message qui vous tient le plus à cœur en ce moment ?
C’est un honneur de figurer dans Le Mauricien, un journal avec lequel j’ai grandi et que j’apprécie beaucoup pour ses informations pointues.