Que nous enseigne la crise économique au Sri Lanka ?

« Half of Sri Lanka’s public procurement contracts are corrupt » [Maithripala Sirisena, ancien Président du Sri Lanka]

- Publicité -

Dr AVINAASH MUNOHUR

Politologue

Il n’aura échappé à personne que le coût de la vie est en constante augmentation depuis quelques mois. Tellement même, que certains députés déclarent en souffrir malgré des salaires bien au-dessus de la moyenne nationale.

Il y a plusieurs raisons à cette augmentation vertigineuse du coût de la vie. Les économistes nous diront que la dépréciation de la Roupie, nos réserves en FOREX qui ont fondu comme neige au soleil (ce qui enraye notre capacité à tempérer l’inflation et donc l’augmentation du coût de la vie), notre niveau d’endettement qui devient trop important pour nos capacités de production, notre trop grande dépendance aux importations qui nous expose aux risques des disruptions mondiales, notre balance commerciale qui est déficitaire, ou encore la productivité qui est en baisse sont les indicateurs qui démontrent que notre économie est dans une situation extrêmement sensible.

Les outils et les concepts des sciences économiques peuvent parfois sembler abstraits et dépourvus de sens, mais ils traduisent une réalité sociale bien réelle et qui est vécue de manière violente par un nombre croissant de Mauriciens.

Bien évidemment, la pandémie de la COVID et la situation incertaine que produit la guerre en Ukraine ont forcément un impact direct sur notre situation actuelle. Mais il serait trop facile de ne voir que cela. La réalité est plus complexe, et nous force à un constat qui devrait être froid et sans équivoque : notre pays a pris la pente descendante depuis longtemps déjà, et la crise mondiale engendrée par la COVID ne fait qu’accélérer une tendance qui était déjà présente.

Mais pourquoi cette tendance vers le bas ? Laissons nous aller à un petit exercice comparatif en s’intéressant un peu à ce qui se passe depuis une vingtaine d’années au Sri Lanka. Il s’agit bien évidemment d’un autre pays – avec une autre culture et d’autres problèmes – mais à y regarder de plus près, nous réalisons en fait qu’il y a beaucoup de ressemblances avec Maurice.

Le Sri Lanka est pris dans une spirale vers le surendettement depuis au moins 15 ans. Cette dernière a atteint la barre des 110% du PIB cette année, et ne cesse de grimper. Parallèlement à cela, la Roupie sri lankaise se déprécie constamment, et les réserves en FOREX du pays ne cessent de diminuer à cause d’une trop grande dépendance aux importations. La Covid-19 a également durement touché le pays, et le secteur touristique notamment, produisant une baisse des revenus nationaux. La réponse apportée par le gouvernement à ces problèmes fut d’augmenter l’endettement du pays, afin que ce dernier reste à flot. Après d’âpres négociations avec le Fonds monétaire international (FMI), le gouvernement sri lankais s’est finalement tourné vers d’autres partenaires – et la Chine notamment – afin de pouvoir emprunter à des taux préférentiels.

Au début des années 2010, le gouvernement chinois a financé la construction du port de Hambantota – le second plus grand port du pays après celui de Colombo. La dette pour la construction de ce port était tellement importante que le gouvernement n’a eu d’autre choix que de céder la gestion du port aux Chinois pour une période de 99 ans en 2017 – abandonnant ainsi aux mains d’une puissance étrangère un actif d’une importance hautement stratégique pour le pays – avec très certainement une stratégie hautement agressive du gouvernement chinois pour mettre la main sur ce port (ce que certains analystes nomment la « Chinese debt trap diplomacy »).

Parallèlement à cela, au sortir d’un début de siècle encore mouvementé par des violences civiles, le pays a retrouvé de la stabilité politique, mais à l’immense prix de la mainmise d’une famille sur l’appareil d’État. En effet, les frères Rajapaksa et leur clique contrôlent les deux plus grands partis politiques du pays – le Sri Lanka Freedom Party et le Sri Lanka Podujara Peramuna. D’ailleurs, Mahinda Rajapaksa fut président du Sri Lanka de 2005 à 2015 alors que son petit frère Gotabaya Rajapaksa est, lui, président depuis 2020 (mais sans doute plus pour encore longtemps). La mainmise des Rajapaksa sur les institutions nationales est telle que l’ancien président Maithripala Sirisena déclarait ouvertement, en 2016, qu’au moins la moitié des marchés publics octroyés par le gouvernement sri lankais était teintée de corruption.

Résumons donc. Du début des années 2000 où le pays apparaissait en bonne voie de développement et avait des perspectives encourageantes à aujourd’hui, le Sri Lanka a glissé dans une spirale négative à cause d’un endettement incontrôlé, du déclin des réserves en FOREX, du niveau de corruption qui paralyse le bon fonctionnement de l’appareil d’État (qui a fait perdre au pays des actifs considérables) et de la pandémie qui a mis le secteur touristique à genou. Il faut également rajouter à cela des décisions politiques mal avisées, notamment dans le secteur de l’agriculture.

Le résultat de ce cocktail explosif de corruption, de dynastie politique, de mauvaise gestion des affaires publiques et d’incompétence : le Sri Lanka est aujourd’hui au bord de la faillite et les Sri Lankais glissent dans une misère qui devient insoutenable. D’ailleurs, les instabilités sociales se multiplient laissant pressentir de sérieux troubles si des solutions politiques ne sont pas trouvées rapidement.

La situation de Maurice est bien évidemment différente. Nous avons nos particularités, et nous avons toujours notre destin entre nos mains. Ce petit cas d’étude comparative ne tient que par les similitudes que nous voulons bien reconnaître (ou nier). En tout cas, une chose est certaine : les outils et les concepts des sciences économiques, qui peuvent parfois sembler abstraits, reflètent des réalités sociales bien réelles ; et les indicateurs économiques de Maurice sont actuellement sur la même tendance que celles du Sri Lanka en 2010. Et il se pourrait bien qu’en observant ce qui se passe de l’autre côté du bassin indo-océanique, nous soyons en train d’observer notre avenir si rien n’est fait pour enrayer la dynamique actuelle.

- Publicité -
EN CONTINU

l'édition du jour