S’il fallait faire le plus succinct possible, la reprise des travaux parlementaires de mardi dernier pourrait ainsi être résumée : enn seans gaspiyaz. Oui, tout ou presque tournait, ce mardi, autour de la dilapidation des fonds publics avec le nouveau rapport toujours un peu plus accablant du directeur de l’Audit, qui a non seulement tiré la sonnette d’alarme sur la gestion des finances publiques, grandement dépendant de l’endettement du pays, mais il a surtout procédé à un réquisitoire implacable contre l’énième énorme gaspillage de l’argent du public à presque tous les ministères, mais plus particulièrement à la Santé, où le prétexte du Covid a occasionné tous les hold-ups.
Il n’y avait pas que le document du directeur de l’Audit qui a retenu l’attention, il y avait aussi la Private Notice Question du leader de l’opposition sur un nouveau scandale : les travaux de rénovation du Waterpark de Belle-Mare, rebaptisé Splash n Fun Leisure Park, entamés depuis 2018 pour la somme de Rs 350 millions, mais qui n’a toujours pas été complété. Maneesh Gobin, qui répondait à cette PNQ en sa qualité de ministre de l’Agro-Industrie et de responsable du Sugar Investment Trust et de sa subsidiaire SIT Leisure Ltd, a admis que l’auditeur interne a, depuis l’année dernière, réclamé un rapport détaillé sur les dépenses liées à ce projet de rénovation et que l’affaire a désormais été référée à l’Independent Commission against Corruption pour enquête.
N’hésitant pas à qualifier cette affaire de Splashgate, Xavier Duval a déclaré avoir effectué une visite des lieux récemment pour constater que le projet de boomerango, qui est un « eyesore », a déjà englouti Rs 76 millions et qu’il faudra entre Rs 35m et Rs 50m supplémentaires pour qu’il soit opérationnel. Malgré les explications du ministre sur le statut privé de la compagnie et les difficultés causées par la pandémie, le leader de l’opposition, visiblement bien renseigné, a rappelé que le boomerango était censé avoir été installé depuis décembre 2019, trois mois avant le premier confinement.
Très bien renseigné, Xavier Duval a assommé Maneesh Gobin à coups de chiffres : l’auto-tamponneuse est hors service et requiert des réparations de l’ordre de Rs 20 millions, le cinéma en 7D ne devrait être opérationnel qu’après une remise en état au coût de Rs 14 m à Rs 15 m tandis que d’autres équipements doivent être réparés à des prix élevés, ce qui, a-t-il dit, arrive à un total de Rs 400 millions pour un projet en panne.
Si le ministre a constamment insisté pour souligner le caractère privé de la compagnie, le leader de l’opposition a, lui, mis l’accent sur le fait que deux représentants de son ministère siègent au conseil d’administration du SIT et que le rapport de l’audit interne évoque des paiements totalisant Rs 22,7 millions, sans aucun appel d’offres, pour divers frais comme Rs 3,5 millions pour des séjours, nourriture, boissons pour des visiteurs étrangers.
Face à ces informations précises du leader de l’opposition, Maneesh Gobin se contentera de souligner qu’il n’a pas de contrôle direct sur les décisions et le fonctionnement du SIT et que, comme l’ICAC a déjà été saisie de cette affaire, il n’en dira pas plus.
Enfonçant le clou, Xavier Duval a fait ressortir que, malgré tout cela, le président du SIT Preetam Boodhun, qui a supervisé tout ce bazar, a même été promu président du conseil d’administration de Landscope où, a-t-il dit avec une pointe d’ironie, il y a « three times more assets to deplete than the Sugar Investment Trust ». Contestant la mention du nom d’un individu qui n’est pas dans l’hémicycle pour se défendre, le ministre de l’Agro-Industrie a réitéré le fait que son contrôle du SIT reste limité, dans la mesure où cet organisme n’est pas un département du gouvernement.
Le leader de l’opposition a alors parlé de la peau de chagrin à laquelle a été réduit le SIT, qui avait pourtant un chiffre d’affaires de près de Rs 1,3 milliard et qui n’enregistre plus qu’un maigre Rs 200 millions. Il y a va du sort de 55 000 petits planteurs et artisans, a déclaré Xavier Duval. Le ministre a alors annoncé que des discussions sont en cours sur la restructuration du SIT à laquelle il est favorable et qu’il faudra déterminer si cela se fera au moyen d’un texte spécifique ou s’il sera inclus dans le prochain Finance Bill. Il n’a, par contre, pas accédé à la requête du leader de l’opposition pour l’institution d’une commission d’enquête, dans la mesure où l’ICAC a déjà démarré une investigation sur cette affaire.
Une seule et unique question sur les Chagos pour le Prime Minister’s Question Time. Les années changent, mais la stratégie de Pravind Jugnauth reste la même : absorber la totalité des 30 minutes qui sont imparties au PMQT pour ne répondre qu’à une seule question et, bien entendu, profiter pour régler quelques comptes politiques avec ses adversaires.
Il en fut ainsi de la question de Richard Duval sur la virée scientifique organisée à bord du Bleu de Nîmes à Salomon et Peros Banhos. Comme à son habitude, pour gagner du temps, le Premier ministre est revenu sur la genèse, pourtant connue de tous, de l’advisory opinion de la Cour internationale justice délivrée en 2019 quant à la souveraineté de Maurice sur l’archipel des Chagos avant d’en venir à la question précise du député du PMSD.
C’est suite aux objections des Maldives sur la délimitation des frontières maritimes avec les Chagos que le pays a dû préparer son dossier en vue du procès devant le Tribunal de la Mer, a expliqué le chef du gouvernement. Et c’est dans ce contexte que la visite scientifique a été décidée et le Bleu de Nîmes affrété parce qu’il correspondait aux exigences de la traversée. La location du Bleu de Nîmes a coûté Rs 48 millions, le vol spécial Maurice/Seychelles Rs 1,3 million et celui du retour des 14 participants à Maurice depuis les Seychelles à Rs 366 655, les assurances à Rs 46 552.25 et les honoraires de Rs 7 2 millions pour les deux experts maritimes étrangers. Soit un total de Rs 58 millions.
Le coût total n’a pas encore été évalué, les réclamations n’ayant pas toutes été effectuées, a encore indiqué le Premier ministre, qui a aussi précisé que les journalistes étrangers participants ont contribué aux frais de l’expédition.
Autres informations fournies comme réclamé, le Bleu de Nîmes est la propriété de Chemba Ltd enregistrée à Gibraltar, tandis que le yacht lui-même l’est aux îles Cook. Pour justifier l’absence de tout appel d’offres préalable avant de retenir ce yacht, Pravind Jugnauth a invoqué la sécurité nationale, celle de la mission elle-même, la rareté des offres pour de telles expéditions pour soutenir le choix du Bleu de Nîmes en dehors des critères de sélection sous la Public Procurement Act.
Le ton a vite tourné au vinaigre avec les questions supplémentaires. Le Premier ministre a expliqué que c’était avant tout un voyage de collecte d’informations scientifiques et que priorité a été accordée aux médias ayant un retentissement international, mais il a quand même ajouté qu’à la prochaine occasion, les journalistes locaux pourraient faire le déplacement.
Si le chef du gouvernement a répondu de bonne grâce à sa députée Subashnee Luchmun-Roy, il se montrera bien plus agressif à l’endroit de la députée du MMM Arianne Navarre-Marie, qui n’avait fait que lui poser la simple question de savoir si un plan a déjà été arrêté pour le retour des Chagossiens sur leurs îles natales. Pravind Jugnauth a alors fait son petit meeting politique pour critiquer Paul Bérenger parce que ce dernier aurait qualifié l’expédition de « bluff » et « d’hystérique » plutôt qu’une mission « historique ». Il a néanmoins qualifié l’interpellation de la députée du MMM de « good question », tout en l’invitant à ne pas être à « double face ». De la hauteur comme d’habitude !
Se revendiquant « émotionnel » sur le sujet, le Premier ministre a dit sa fierté que des Chagossiens aient pu revoir île où étaient nés leurs ancêtres. Comme à son habitude et pour obtenir la reproduction de ses monologues sur les antennes de sa télé, la MBC, le Premier ministre s’est aussi fendu d’une déclaration sur les Chagos au Statement Time.
La tranche des questions aux ministres a une nouvelle fois mis en exergue la légèreté de certains lorsqu’il s’agit soit de l’argent du public, soit de la santé des Mauriciens. Renganaden Padayachy a indiqué, en réponse à une question de Deven Nagalingum, que c’est pas moins de Rs 372 millions qui ont été recueillies au moyen de la ponction de Rs 2 sur le litre d’essence vendu à la pompe pour acheter des vaccins anti-Covid.
Le ministre de la Santé Kailesh Jagutpal a été soumis à un vrai barrage de questions sur le Fact Finding Committee institué sur la mort, l’année dernière, du Covid de 11 patients dialysés malgré son refus de rendre le rapport du Fact Finding Committee public. Reza Uteem n’a pas manqué de rappeler que le ministre était aussi contre l’institution même de ce FFC et que les parents des disparus ainsi que le pays ont le droit de savoir comment ces dialysés ont attrapé le Covid.
Comme parade pour justifier son manque de transparence et de respect pour les familles affligées, Kailesh Jagutpal a énuméré toutes les mesures prises suivant les préconisations du rapport d’enquête et a annoncé qu’il y a aussi un volet des observations qui a été référé au Medical Negligence Committee.
Au menu de cette réunion de rentrée, les motions du ministre des Finances pour un recensement du logement et de la population. Dans le premier cas, pas de grosses objections, le but étant de mieux cibler les régions en détresse et en attente de l’agrandissement du parc immobilier mais, dans le second, les députés de l’opposition, à l’instar de Reza Uteem, décidément sur tous les fronts, sont revenus sur le besoin pour les parlementaires de connaître le contenu du questionnaire qui sera adressé aux Mauriciens.
Le député du MMM a voulu savoir pourquoi il sera demandé aux interrogés de décliner leur appartenance religieuse. Et c’est avec une pointe de perfidie qu’il est revenu sur les propos tenus par le ministre des Finances Pravind Jugnauth avant le dernier recensement de 2011 indiquant qu’il n’était pas question de demander aux Mauriciens qu’elle est leur religion. C’est au moment du résumé des débats sur cette motion que les piques vont pleuvoir. Renganaden Padayachy expliquait que le recensement religieux servait à déterminer la politique de subventions aux organisations religieuses et socioculturelles.
C’est lorsque le ministre réfutait les arguments de l’orateur précédent, Arvin Boolell, accusé de chercher à se réapproprier le poste de leader de l’opposition, qu’il y aura une référence faite aux savates dodo. Place ensuite à un match savate dodo/pâtes, le ministre des Finances n’étant pas familier avec le terme macaroni que les Mauriciens utilisent pour désigner les pâtes. Des références cette fois aux protégées du beau sexe supposées du ministre vont être sanctionnées par le Deputy Speaker Zahid Nazurally, Arvin Boolell enjoint de retirer ses remarques.
Une fois la motion votée de même que le Landlord and Tenant Bill, les travaux ont été ajournés au mardi 5 avril. Il faut noter qu’en tout début de séance, l’Assemblée nationale a rendu hommage à Karl Offmann, Ramnath Jeetah, Raj Dayal et Dinesh Mundil d’anciens élus décédés durant les vacances parlementaires.
Shakeel Mohamed : « Et l’auto-suspension de six séances de 2021… »
On sait qu’il n’est pas particulièrement apprécié ni dans son propre camp et encore moins dans le camp adverse. Shakeel Mohamed, qui s’est vu administrer une leçon sur la manière de présenter des excuses par le Deputy Speaker Zahid Nazurally, a dû adresser une nouvelle missive pour pouvoir retrouver son siège de député. Mais il n’est pas dit qu’il pourra être dans l’hémicycle à la prochaine séance.
Toutefois, ses propos pour justifier son retour n’ont pas été au goût de tous et surtout des soutiens des deux autres députés Paul Bérenger et Rajesh Bhagwan qui se retrouvent dans le même cas et qui ont gardé la même ligne de conduite : ils ne présenteront pas d’excuses au Speaker. Ils en font une question de dignité et de légitimité élective.
Or, lorsque Shakeel Mohamed, est venu avec l’argument que c’est immoral de ne pas siéger et de prendre son salaire, les commentaires ont commencé à fuser de toutes parts et même au sein de sa circonscription. « Est-ce moral d’aller sur les ondes d’une radio et de défendre son cousin le commissaire électoral Irfan Rahman dont la démission a été unanimement réclamée par l’opposition ? »
Ceux qui suivent de près les faits et gestes de l’élu travailliste ont aussi posé une autre question : « Et l’auto-suspension de six séances en 2021 ? Était-ce moral pour un élu de prendre des vacances à l’étranger pendant près de deux mois en pleins travaux parlementaires et être absent pendant que ses mandants étaient en confinement ? »
Comme quoi, faut toujours faire attention aux leçons que l’on s’autorise à faire aux autres, elles peuvent vous revenir un jour ou l’autre comme un boomerang en pleine figure !
Après les Chagos, Agaléga
Si la première question adressée au Premier ministre portait sur les Chagos la semaine dernière, c’est au tour d’Agaléga de se retrouver en tête de la série d’interpellations adressées à Pravind Jugnauth ce mardi. C’est Aadil Ameer Meea, le député de la lointaine circonscription qui en est l’auteur. Il entend obtenir du chef du gouvernement le détail des projets en cours de réalisation dans l’île et les dates auxquelles ils vont être complétés.
Pour le Premier ministre, des questions également sur les rallyes illégaux de motocyclettes, le rapport de Sandrine Valère sur l’incident Anooj Ramsurrun/Shyam Persand, les qualifications et conditions de service de l’actuel directeur général de la MBC, le poste d’Ombudsperson, le projet Safe City, Air Mauritius, le chauffeur endormi au volant d’un véhicule de Mauritius Duty Free Paradise, la drogue, la révision de la loi électorale, la brutalité policière et la saisie du navire près d’Agaléga.
Dubaï, vaccins et Covid, les Rs 100 aux pharmaciens, le rapport de l’Audit, l’évolution de la roupie, le tourisme, la sécurité alimentaire, la GRA, inondations et drains, les finances du CEB, la violence domestique, la résiliation du contrat de Kailash Trilochun de la FIU, l’accès aux produits de base, la CSG, l’eau accessible 24/7, l’achat de Molnupiravir : ce sont là les thèmes qui alimenteront la tranche des questions aux ministres.
Deux projets de loi seront soumis aux débats : le Revision of Laws (Amendement) Bill et le Town Planners Council Bill.