Jean Fanchette, poète du mitan

Le 29 mars 1992 disparaissait un poète mauricien installé en France depuis quatre décennies. Peu de temps avant sa mort, il avait composé un recueil émanant d’un parcours poétique primé et reconnu de son vivant. L’Île Équinoxe, le titre énigmatique, conjugue espace et temps. Au premier abord, l’Île évoque le pays natal de Jean Fanchette. C’est “l’arrière-pays de ces poèmes” comme il l’affirme lui-même. Cependant, à la lecture des titres présentés dans l’anthologie, l’image de l’île originelle semble se transformer. En équilibre entre le jour et la nuit, elle devient lieu de mémoire, de voyage et d’existence. En voici quelques impressions.

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“Le poème de l’arbre enfant”, “L’aventure de la mémoire”, “Hier la mer…”… Le recueil de poèmes est traversé par le souvenir. Rien d’étonnant, dirait-on, vu l’itinéraire de Fanchette : le neuropsychiatre naviguait en effet entre les eaux de “l’analyse psychanalytique et la création littéraire”. Loin de l’île physique de son enfance, le poète l’amplifie et la sublime en vaste lieu de mémoire. Non seulement pour y coucher des souvenirs d’exilé, mais surtout pour y conserver tout ce qu’il vit au gré du temps. Le titre “Archipels” indique la dispersion de la mémoire rattachée à une île unique pour accueillir le souvenir d’autres contrées réelles ou imaginaires. Les lieux de partance se sont multipliés depuis le premier départ de jeunesse. L’exil devenu une “habitude”, la mémoire est désormais le lieu auquel appartient véritablement le poète. Le temps d’une vie n’a cessé d’alimenter cette île métamorphosée.

“Terre de septembre”, “Rêves au jour le jour”, “Lieux-dits”, “Croisière”… La mémoire du poète tangue au rythme des voyages. Des voyages qui s’effectuent dans l’es pace et le temps. Un titre équivoque comme “Lieux-dits ; lieux communs ; non-lieux” répond à “Itinéraires” et “Carte postale” pour traduire la valeur accordée à l’espace dans la poésie de Fanchette. Une fois le lieu d’enracinement dépassé, le poète devient ambulant et se lance à la découverte d’un monde ouvert. Le pluriel dans l’intitulé “Exils” suggère une errance qui ne se rapporte plus à un seul lieu originel. L’île physique se mue alors en île-monde, un immense lieu de voyage. L’exploration de cet espace s’accompagne intimement d’un voyage dans le temps. Les noms de mois et de saison foisonnent dans les titres du poète : “Le cantique d’avril”, “Poème en novembre, “Automne”. Le temps passe et revient en cycles. Tout en se livrant à ce flux perpétuel, le poète paraît toutefois vouloir se placer dans un temps suspendu, quelque part entre “demain” et “hier”. Le voyageur et son oeuvre se tiennent ainsi en équilibre sur le fil du temps.

Osmoses, Les midis du sang, Identité provisoire… Outre les titres de poème, les noms des recueils qui nourrissent la sélection finale de Fanchette révèlent un profond questionnement identitaire. Comment se définir au sein de cet exil volontaire et dynamique ? L’île originelle s’est depuis longtemps transfigurée en lieu d’existence à la croisée du temps et de l’espace. Le poète semble avoir résolu l’énigme. Il ne choisit pas d’appartenir à un lieu ou un autre. Refusant tout ancrage, il se tient à la médiane. Son identité reste à définir de manière constante. Le poète ne peut et ne veut figer son identité car elle évolue avec l’espace et le temps. Fanchette, homme d’une terre d’origine doublée d’une terre d’adoption, se fond alors dans la figure universelle du poète, citoyen de toute part et de nulle part à la fois. Le poète du milieu devient tout naturellement poète équinoxe.

Le florilège de Jean Fanchette contient toute la force de son abondante oeuvre poétique produite entre 1954 et 1991. Un regard sur la table des matières nous permet d’en saisir quelques idées-forces : souvenir, exil, identité multiple. L’Île Équinoxe intrigue et enchante. Publié à titre posthume par les Éditions Stock en 1993 et Philippe Rey en 2009, il représente le legs d’un chantre de l’entre-deux qui a contribué au renouvellement de la poésie mauricienne. Fanchette disait que ces poèmes choisis lui avaient “appris à [se] lire”. Trente ans après sa mort, (r)ouvrir son ultime ouvrage nous permettrait de le lire et, par là même, de nous lire.

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