Il aura 100 ans le 3 avril. Antoine Tse Sun Lin s’estime heureux de tenir toujours sur ses pieds, et surtout, d’être autonome. Outre ses exercices quotidiens qu’il pratique depuis l’âge de 20 ans, ce Port-Louisien n’en démord pas que c’est le travail qui l’a conservé. D’ailleurs, le propriétaire et gérant d’Antoine Store, situé à l’angle de la Rue Labourdonnais et Volcy Pougnet, était toujours derrière son comptoir jusqu’à ses 95 ans.
A.R-M.
« Je n’ai pas encore 100 ans moi. Anou atann dimans 3 avril lerla nou guete”. Pas question pour Antoine Tse Sun Lin de mettre la charrue avant les bœufs. Il a encore deux semaines avant le grand jour. Deux semaines durant lesquelles il ne changera rien à ses habitudes. De la maison de retraite où il réside depuis deux ans, il s’y prépare et a fait suivre ses consignes aux enfants en vue de la fête prévue pour ses 100 ans. “J’ai toujours été quelqu’un de débrouillard. Mo pa kontan depann lor personn.” D’ailleurs : “Je disais toujours à ma femme que si elle mourait avant moi, j’irais vivre dans un home pour ne pas être un fardeau.” Il ne pensait pas vivre aussi longtemps. Mais Antoine Tse Sun Lin a bien une petite idée sur ce qui l’a mené aussi loin. « Non pas un secret”, dit -il, mais tout simplement le fait d’avoir toujours pris soin de sa santé physique. Une rigueur de vie qu’il s’applique depuis ses 20 ans lorsqu’il fut appelé à effectuer son service militaire : “Mes trois ans dans l’armée ont forgé l’homme bosseur et travailleur. Ça m’a permis aussi de comprendre l’importance de toujours me maintenir en forme pour être prêt à affronter toutes les situations.”
Une danse à plusieurs “temps”
S’il n’y avait pas la canne qu’il utilise, précise-t-il « par simple mesure de précaution” après une fracture du fémur, ses cheveux blancs et ses quelques rides ne font de lui un vieillard. Loin de là. Ses pas sont toujours alertes. Et de surcroit, Antoine Tse Sun Lin est très vif d’esprit. Il s’intéresse à tout et passe beaucoup de son temps libre à lire, de la première à la dernière page, des journaux sinwa et magazines, et suivre les informations. “Ça garde la mémoire intacte et jeune” indique-t-il. Il se souvient de tout. Des guerres, de l’arrivée du téléphone, de la radio, de la télévision en noir et blanc puis en couleur. Il nous confie s’être accommodé avec son temps. Cela même si ce n’est guère évident à suivre : « Le progrès, je ne suis pas contre, mais ça va trop vite. Des fois, ça va aussi trop loin et c’est ainsi que les nouvelles générations ont perdu certaines bonnes valeurs ancestrales.” Il ne veut pas s’y attarder davantage, et poursuit la conversation sur un autre sujet.
Celui de la danse. Car une anecdote lui est soudainement revenue à la mémoire. Son stratagème qu’il avait mis en place pour être au rendez-vous des après-midis dansants tous les samedis : « J’avançais les aiguilles de l’horloge pour que mon père ferme boutique plus tôt.” Rumba, cha cha cha, valse, tango, entre autres danses… Il n’en est pas peu fier d’avoir été excellent à faire virevolter plus d’une sur la piste de danse.
Un boutiquier actif
Puis, est venu le moment de “met enn serye dan lavi”, de prendre son envol et d’ouvrir sa propre boutique. De son union avec Ah Mee Moi sont nés 6 enfants, 8 petits-enfants et 2 arrière-petits-enfants. Si ça ne tenait qu’à lui, il serait encore derrière le comptoir d’Antoine Store, située dans le Ward 4 de la capitale. Aucune tâche ne faisait reculer ce boutiquier : « Ce n’était pas un travail pénible mais c’était prenant. Je n’ai jamais baissé les bras même quand ma première boutique à la rue Moka a pris feu en 1975 et que j’ai dû tout reprendre à zéro.” C’est grâce à ce travail qu’il a pu subvenir aux besoins de sa famille. Sa plus grande fierté : « J’ai pu payer des études de mes trois fils et offrir un beau mariage à mes trois filles.” Après tant d’années de dur labeur, impossible pour lui de rester inactif. Mais Antoine Tse Sun Lin redoute “le moment où je ne pourrai plus rien faire du tout. Ça arrivera, c’est sûr. Et ce sera très dur.” Aujourd’hui encore, il se réveille à 6h pour commencer la journée avec ses exercices. Côté nourriture, aucun régime ni restriction. Il apprécie aussi bien les mets à base de viande que les petites douceurs.
“Mon seul handicap, c’est ça”, dit-il en montrant ses oreilles tout en rajoutant : “J’ai mes yeux, je peux faire plein de choses.” Et quand on lui demande s’il aime sa vie, il répond “tant qu’elle continue à me bénir et mes enfants, je ne peux rien demander de plus. J’ai de la chance, je ne suis pas malade, je n’ai pas de douleur. Il ne me manque rien. J’ai tout ce qu’il faut.”
Le 3 avril 2022 sera donc à marquer d’une pierre blanche pour Antoine Tse Sun Lin. Un jour qu’il fêtera, en deux temps. D’abord avec les autres pensionnaires du Begonia Garden Retirement Home à Baie du Tombeau et le soir au restaurant en famille.