Notre ancien collègue Khalid Atchia, atteint de sclérose en plaques, a souhaité partager son vécu et ouvrir ses portes à nos lecteurs. Il nous raconte ses souffrances, ses envies, ses angoisses et ses craintes. La plume et l’esprit derrière la chronique “Les humeurs de Chloé” que vous pouviez lire dans nos colonnes pendant une quinzaine d’années, ne peut plus apporter ses réflexions et son sarcasme sur l’actualité en raison de la progression de sa maladie qui lui mine l’existence depuis 2007.
T.R
Chers lecteurs, vous l’avez noté : depuis une année, Chloé n’est plus au rendez-vous dans les colonnes de Scope où sa chronique a été publiée pendant une quinzaine d’années. Notre “rédactrice” espiègle aux histoires rocambolesques qui savait inventer les expressions pour commenter l’actualité autrement a, bien malgré elle, apporté un point final à ses Humeurs. Khalid Atchia, notre ancien collègue et le concepteur de cette rubrique, n’ayant plus la force physique et l’énergie pour insuffler la vie à son personnage. “Je commençais à réfléchir dès vendredi. Et lettre après lettre j’écrivais la chronique péniblement pendant le week-end. Ça me prenait tout mon week-end de façon très intense. Quand je finissais le texte j’étais vidé, il me fallait 3 jours pour récupérer”, explique-t-il. La sclérose en plaques, maladie incurable dont il souffre depuis 2007, a fait taire sa plume et bien de ses rêves.
“Chloé a été pour moi un appui, plus qu’une canne…”
Voilà un an qu’il ne se mue plus en Chloé et le sentiment qui l’anime est un peu paradoxal. Khalid Atchia, 40 ans, est tiraillé entre cette liberté qu’il avait de dépeindre l’actualité à sa manière et le soulagement de ne plus avoir à mettre son corps et son esprit à l’épreuve chaque week-end. “Chloé a été pour moi un appui, plus qu’une canne, un appui intellectuel qui m’a permis de continuer le travail de journaliste. Aujourd’hui, je regarde toujours l’actualité, les idées me viennent mais je n’ai plus la force pour l’exprimer. Mais c’est tant mieux que je n’ai pas à le faire, c’est un soulagement pour moi.” Durant ces dernières années, ne pouvant se déplacer, de chez lui qu’il travaillait.Mais compte tenue de la progression de sa maladie il a choisi de démissionner en février 2021.
Il faut dire que sans cette maladie, Chloé n’aurait probablement jamais existé. Khalid Atchia avait rejoint la rédaction de Scope en 2003 et avait rapidement fait ses preuves. Alors qu’il a découvert sa maladie en 2007, les symptômes sérieux sont apparus progressivement après 3 ans. “À un moment je me rendis compte que je ne pourrais plus aller sur le terrain. Je me suis rabattu sur les fonctions culturelles, voir des spectacles. Ça correspondait d’avantage à ce que je pouvais donner physiquement. Chloé est née des suites de ma maladie. En prévision de çà, je me suis dit que je devais faire une chronique. J’ai commencé sur un ton ‘nunuche’” L’histoire de cette jeune journaliste qui découvrait la vie et l’actualité gagna rapidement en popularité tandis qu’ils devenaient de plus en plus nombreux à vouloir connaître l’identité de l’auteur. Khalid, qui était le premier à feindre ignorer le secret s’en souvient : “J’ai appris à comprendre les vrais enjeux de cette rubrique. Ce personnage, qui n’est pas moi, mais qui est une part de moi, me permettait de dire tout ce que je pensai mais que je n’aurais pas pu dire en étant moi-même.”
“Je me sens tellement faible que je n’arrive pas à tenir debout”
Affalé sur son canapé, qu’il ne délaisse que très rarement, notre ancien collègue et ami habille s’occupe comme il peut. Personnage de grande culture doté d’une fine plume, il passe le plus clair de sont temps à écouter des livres-audio. “J’ai le temps, j’essaie de me cultiver.” Mais s’il avait eu le choix, il concède qu’il serait dehors, qu’il participerait à la vie active qui était la sienne auparavant. “Sortir, prendre le bus, dire bonjour aux gens, marcher dans la Rue St Georges, vivre la vie de bureau, la pression de la rédaction. Ces choses-là me manquent. Je suis en vacances mais ces vacances commencent à me peser.”
En dépit des différents traitements qu’il a suivis ici et à l’étranger, la maladie n’a cessé de progresser. Désormais, sa canne anglaise ne le quitte jamais. Sans elle, il ne peut guère se déplacer. Mais même là, tout mouvement demeure difficile. “J’ai besoin de quelqu’un pour me soutenir malgré cette canne. Je me sens tellement faible que je n’arrive pas à tenir debout. Mettre un pied devant l’autre devient compliqué.” Il reste ainsi dépendant des membres de sa famille. “Me lever, mettre de l’eau à bouillir pour me faire un café m’est impossible. Je deviens très dépendant des autres. C’est assez réducteur en tant qu’humain, mais je ne peux pas faire autrement. Heureusement que ma famille me soutient. Je ne sais pas ce que je ferais sans elle.” D’autant plus que, de son propre aveux, il n’est pas très facile à vivre. “J’ai des crises de nerfs assez souvent, je deviens très sensible aux bruits, le moindre bruit de vaisselle peut m’énerver. Il peut y avoir des tensions, ce n’est pas évident de vivre avec quelqu’un comme moi.”
“Kouma mo leve, mo poz mo lipie anba, mo fatige.”
Il est torturé par cette fatigue chronique qui le pèse énormément. “Kouma mo leve, mo poz mo lipie anba, mo fatige. Kouma dir monn batt enn beton alor ki mo fek gagn witertan somey.” En parallèle, le bas de son corps a progressivement perdu en force et en muscles. Il faut savoir que la sclérose en plaques cause souvent l’atrophie musculaire, souvent aux membres inférieurs. Le muscle est tellement contracté qu’il ne fonctionne plus. “Avoir un muscle contracté en permanence est énervant mais la douleur est supportable.”
Seule parade contre cette maladie disponible à Maurice, son traitement à base de cortisone et d’immunosuppresseurs. Mais il comporte des effets secondaires néfastes. “Sans cortisone je ne tiens pas debout, il m’en faut une dose quotidienne. J’ai développé deux cataractes à cause de la cortisone. Quant aux immunodépresseurs, elles me rendent vulnérable à la moindre petite grippe. J’ai intérêt à bien me protéger, surtout contre la Covid-19.” Comme il a eu l’occasion de l’expérimenter en France, l’hydrocortisone a beaucoup moins d’impacts sur sa santé. “J’ai essayé pendant 6 mois et on est mieux au niveau du corps. Sauf qu’il n’est pas disponible à Maurice.”
Ses traitements lui coûtent très chers et ne sont pas remboursés par assurances. “Chaque 3 ans, j’ai des poussés de la maladie. Je n’ai alors aucun autre choix que d’aller en clinique pour une perfusion de 3 gramme de cortisone forte. Ce n’est que 3 à 4 jours après que je me sens mieux.” Sans compter les frais des thérapeutes dont il a besoin. “Il me faut un physiothérapeute pour le corps, un psychologue pour l’esprit et d’un neurologue pour me maintenir. Ce n’est pas donné.”
Quand il travaillait et qu’il insistait pour voyager par le bus, un parapluie qui lui servait d’appui pour marcher dans les rues de Port-Louis et à Beau—Bassin. Puis il y eurent les cannes. Khalid Atchia se sait destiné au fauteuil roulant. “J’ai peur du lendemain et de l’inconnu. Je sais que dans le pire des cas on finit au lit avec un appareil respiratoire. Je me dis que je vais y arriver un jour mais je préfère ne pas y penser. Je me refuse pour le moment au fauteuil roulant mais pour combien de temps encore ? Ça viendra, il va falloir accuser le coup psychologiquement. Je me regarde devenir handicapé.”
Si son quotidien est semé de difficultés, Khalid Atchia a choisi d’être philosophe et de ne retenir le positif. “À un moment, ça me travaillait le cerveau. Je commençais à me demander pourquoi ça m’était tombé dessus. J’étais désarçonné. Aujourd’hui, je suis obligé de composer avec, de me dire que c’est très compliqué mais que j’ai le choix entre m’apitoyer sur moi-même ou de continuer à faire des choses qui me plaisent et qui me disent que la vie vaut encore la peine d’être vécue. Le futur m’est incertain mais je sais que je dois continuer à avancer quoi qu’il advienne. ”