« Panic Buying » (« achats de panique »), voilà un terme que même les moins de 20 ans connaissent. Ne soyons pas hypocrites, personne n’est à l’abri du péché d’achat de panique. Que celui qui n’a jamais été tenté de rouler sa petite voiture jusqu’à la station-service, à 22 heures, dans l’espoir de faire le plein avant la cruelle augmentation à minuit, jette un billet de 500 roupies par la fenêtre ! Comble de malchance ces rumeurs de hausse de prix, nous les recevons souvent le soir via notre newsfeed ou des messages WhatsApp, des captures d’écrans de documents officiels qui ont « fuité ». Pas de conférence de presse grandiose comme celles dont on nous gratifie le samedi matin. Non, les coups bas à notre portefeuille nous les subissons en douce, comme un voleur qui ferait irruption la nuit ou encore un petit ami pervers narcissique qui romprait par texto. « Le manque d’informations peut aussi les inciter à imiter la majorité qui achète sous l’effet de la panique. De plus, un niveau élevé de méfiance sociale envers la communauté ou les autorités gouvernementales peut inciter certaines personnes à réagir et à faire des achats de panique. »
Pas de hausse cette fois, mais un rationnement. Si cette mesure partait d’une bonne intention, c’est-à-dire prévenir le panic buying, la démarche a eu l’effet contraire. Samedi dernier des milliers de citoyens prenaient d’assaut les supermarchés alors que l’ACIM entamait son rallye contre l’augmentation des prix. Combien se sont fait avoir en faisant deux heures de file d’attente pour deux bouteilles d’huile, et parfois de qualité inférieure; certains supermarchés profitant de l’aubaine pour écouler leur stock de marques les moins populaires. Combien ont fait le tour des supermarchés de landrwa, pour engranger le plus de bouteilles possibles? Le panic buying synonyme d’égoïsme? À noter qu’au rayon des bouteilles d’huile d’olive aucun engouement! Le Mauricien n’achète pas de l’huile d’olive pour frire son poisson ou préparer ses farata! Donc pas de rationnement sur ces bouteilles d’huile de luxe. Les clients à l’affut de bouteilles gro delwil, passaient à côté de ces bouteilles “plus saines” avec désintéressement, voire dédain. Les plus aisés peuvent être rassurés.
« L’achat de panique est un comportement de masse (comme appelé aussi parfois un ‘comportement de troupeau’). La désinformation et la propagation de rumeurs (par exemple, des rumeurs concernant les ruptures de stock et des chaînes d’approvisionnement) peuvent influencer les individus à acheter massivement. »
Ce comportement de troupeau, on en a tous fait l’expérience cette semaine ou pendant le confinement. Sur le moment, nul besoin d’acheter de l’huile mais de voir tous ces hommes et femmes, à la caisse, arborant fièrement les petites bouteilles dorées, tels des héros ayant réussi leur quête, nous pousse à nous diriger nous aussi vers les rayons déjà bien dégarnis. On subit le magnétisme des rayons aux produits rationnés. Les employés de rayon guettent au loin. Visiblement des consignes ont été données.
On critique aisément la population en les qualifiant de moutons de Panurge. Qu’est-ce qui est à l’origine de cette peur de manquer ou de cette folie acheteuse? Pourquoi avoir imposé cette restriction du jour au lendemain sans réelle communication alors que le lundi 21 mars une raffinerie émettait un communiqué afin de rassurer la population.
Parlons de ceux qui sont incapables du délit de panic buying; les plus démunis. Dépenser des centaines de roupies sur des bouteilles d’huile après le 15 du mois, alors qu’on ne prend qu’un repas par jour? Le panic buying affecte encore plus ceux à faible revenu. Si le produit est disponible mais trop cher pour notre bourse, cela nous frustre. Alors, comment anticiper? Bloke garde! On commence par la bouteille d’huile et bientôt ce sera peut-être le lait. Cette situation prend des airs de déjà-vu; cette période de confinement où on acceptait l’augmentation comme une fatalité. De plus, en période de crise, on ne peut réfléchir, coincé dans l’émotionnel. Peur du virus, peur du manque.
On parle de transformer des villes mauriciennes en Manhattan ou New York. Parle-t-on uniquement de l’infrastructure ou aussi des conditions de vie des habitants? Imagine-t-on de “belles” villes pour accueillir des touristes mais où les gens se disputeraient le dernier sachet de lait. En 2021 il y a des enfants qui décrochent de l’école faute d’une bonne alimentation. Nos députés sont-ils conscients de la réalité de nombreuses familles; on meurt littéralement de faim après avoir payé les factures! Attention à ne pas juger trop promptement; il s’agit bien de familles où on travaille dur. Économiser? Voilà une valeur difficile à inculquer aux enfants quand il n’y a pas assez pour vivre. Ne se trompe-t-on pas en matière de développement? Le progrès signifie-t-il seulement bâtiments, technologie dernier cri, moyens de transport modernes ? Nos dirigeants trouveront-ils les solutions pour réduire cette dépendance sur l’importation? N’oublions pas qu’hélas la corruption est un frein à l’autosuffisance alimentaire – qui nécessitera un réel bouleversement. Nous attendons les mesures budgétaires avec un sentiment mitigé.
Petite Anecdote
Une jeune femme mauricienne de la ville, diplômes en poche, s’installe à Rodrigues. Loin des centres commerciaux et des fast-foods, elle découvre l’élevage et l’agriculture. Désormais, elle élève de fringantes petites poules. Bien sûr, elle ferme les yeux quand on met fin à leur vie pour que les poules prennent place dans la casserole. Le samedi, elle va à la pêche avec son mari. Ils sont des amateurs dans le lagon, mais quelle satisfaction de rapporter « enn ti kari, enn ti karang lake zonn » ! Elle a son petit potager, rien de bien sophistiqué mais elle récolte fièrement des giraumons, des bringelles qu’elle a nourri d’épluchures de bananes ou de son compost maison. On leur demande comment ils ont fait pour grandir des arbres fruitiers dans cet endroit où l’eau est rare et précieuse. Très simple: on ramasse, à l’aide d’une installation rustique mais efficace, eau de pluie et eau usagée de la machine à laver. Pour cette jeune femme c’est cela le développement; d’avoir quitté une vie de prêt-à-manger, de légumes riches en pesticides. Et elle attend avec la même impatience le moment de récolter le maïs et les haricots cultivés par la famille. On frit le poisson à l’extérieur, au feu de bois. Le maïs remplace le riz. Les haricots rouges « pe soufle dan tempo, salad papay ver fini pare ». Une vie panic buying free.
Sources
Psychology Today. The science of panic buying and how to stop it: Economic research demonstrates the best course of action. 24 March 2020.
https://www.mcmastervieillissementoptimal.org/blog/detail/blog/2020/09/23/pand%C3%A9mies-et-achats-de-panique