Un communiqué du ministère du Commerce et de la Protection des Consommateurs, daté du 18 mars 2022, limitant la vente d’huile comestible à deux litres par personne à partir de cette même date a suffi à mettre en panique les consommateurs mauriciens. Dès le lendemain, les photos des rayons des supermarchés vidés de leurs sachets/bouteille d’huile faisaient le tour des réseaux sociaux. Ce type d’annonce suscite toujours ce genre de réaction dans notre pays. La peur prévaut toujours sur la raison. Et dans le contexte actuel, les craintes sont peut-être plus compréhensibles.
Mais en même temps, comme dirait l’autre, le consommateur mauricien vit aujourd’hui dans une angoisse permanente. Son panier s’allège de plus en plus en sortant du supermarché alors que la note, elle, grimpe quasiment quotidiennement. Une réalité dont tous les Mauriciens parlent depuis de longs mois déjà et le phénomène ne faiblit pas. Les chiffres du Central Statistics Office confirment cette hausse constante : l’indice des prix à la consommation (IPC) est passé de 104 points en juillet 2019 à 118 points en février 2022. Rappelons que l’IPC est l’instrument de mesure de l’inflation car il permet d’estimer, entre deux périodes données, la variation moyenne des prix des produits consommés par les ménages. En une ligne, le taux d’inflation des denrées alimentaires dépasse aujourd’hui la barre des 16%, soit une hausse de plus de 10% en une année.
Il n’y a pas que le prix de l’alimentation qui marque une hausse considérable, principal poste budgétaire des ménages modestes, c’est-à-dire, la grande majorité des Mauriciens, il y a invariablement le coût du pétrole qui flambe partout dans le monde. Son impact sur les familles, de la classe populaire et moyenne vient rajouter un nœud à la corde qui nous étrangle. N’oublions pas que les postes alimentation, transport, eau et électricité constituent plus que 50% du panier des dépenses des ménages.
Tensions géopolitiques
Ainsi, la guerre qui se joue à des milliers de kilomètres de chez nous, sur un continent éloigné de nos plages, nous rappelle que Maurice n’est qu’un confetti qui subira toujours les rafales de ce que les grands de ce monde décident. Surtout quand nous ne nous évertuons à ne pas nous préparer aux dangers et aux alertes maintes fois répétées. Ces avertissements, qu’ils soient d’ordre climatiques ou économiques, ne bousculent en rien l’appétit féroce de chaque gouvernement qui s’est succédé ces trente dernières années à courir à l’enrichissement personnel de ses membres et laquais plutôt que de considérer l’avenir de notre jeune République. Les tensions géopolitiques donnaient déjà des sueurs froides sur le prix du gaz dans le monde depuis le dernier trimestre 2021 en Europe. La guerre en Ukraine a poussé le prix du baril de pétrole à plus de 139 dollars alors que les cours du gaz naturel s’envolent de plus de 50% sur le marché de Rotterdam, ceux de l’aluminium et du blé sont, eux, montés à des niveaux historiques. Si ailleurs certains pays européens reconsidèrent avec la pandémie leurs dépendances alimentaires et industrielles… Si ces États se posent des questions urgentes sur leurs dépendances énergétiques avec la guerre qui se joue à ses portes, qu’avons-nous reconsidéré ici depuis 2019? Quel est le projet du gouvernement en matière de politique alimentaire ? Quelles réflexions portent les partis politiques, tous bords confondus, de ce système usé jusqu’à la corde sur notre Maurice de demain ? Enlisés dans le jeu du pouvoir, les politiciens se battent pour les titres/postes qui ne valent plus grand-chose dans une démocratie en perte de vitesse. Ils regardent couler le navire. Quelles réflexions font naître les nouveaux arrivants sur la scène politique en matière de réduction de notre dépendance alimentaire et énergétique ? Ils préfèrent aller s’assurer d’être portés par une alliance que de choisir la voie difficile de la pensée et des propositions. Serait-il possible que quelqu’un dans nos ministères, ou chaque fonctionnaire se bat pour le PRB afin de s’assurer son confort personnel, pense au bien commun, à notre avenir. Demandons à ce patriote, s’il existe, de sortir des tiroirs les propositions du Professeur Joël de Rosnay qui, il y a dix ans déjà, expliquait à nos décideurs comment prendre la voie d’une production énergétique verte (éolienne, solaire, houlomotrice et le bioéthanol qui convainc aujourd’hui de nombreux automobilistes partout dans le monde qui choisissent de transformer leur voiture pour utiliser ce carburant beaucoup moins cher et plus propre pour la planète). La facture de nos centrales à charbon et à l’huile lourde pour payer notre électricité va grimper sans conteste. Si nos gouvernements avaient investi dans une énergie plus verte, possible ici chez nous, pour réduire drastiquement notre dépendance à une électricité générée par les énergies fossiles, alors nous serions peut-être aujourd’hui moins impactés ! Quel électeur tient compte de ces arguments avant de foncer déposer un bulletin dans l’urne ? Nous payons, tôt ou tard, les mauvaises décisions et le manque de courage des politiques qui refusent de réfléchir sur le long terme pour notre île. La transition écologique et la réduction de dépendance alimentaire seront notre radeau de sauvetage. Qui en rit aujourd’hui, en pleura demain !
En attendant, le retour de l’inflation dans une économie mondialisée et ultra concurrentielle invite tous les économistes qui le jugeait inconcevable à revoir leurs copies. À Maurice, elle a atteint les 9% rien que pour le mois de février, comparé à 7,4% en janvier 2022. Les experts prédisent que la situation sera pire dans les mois à venir. Le 6.6% projeté pour 2022 par les spécialistes ne sera qu’une mauvaise estimation (source : Statistics Mauritius et Le Trading Economics Website.) Mais combien douloureuse pour la population.
Il est utile de dire qu’au-delà des causes conjoncturelles citées plus haut, soit la pandémie du COVID et l’invasion en Ukraine, nous souffrons ces dernières années d’un manque de vision et de volonté à contenir des facteurs structurels qui minent notre économie. Le niveau record de l’endettement public, le vieillissement de notre population, la gestion approximative de la pandémie COVID-19, l’investissement lourd dans l’infrastructure routière utile mais pas prioritaire dans le contexte actuel de crise, une politique monétaire pas réfléchie qui a scié la vigueur de la monnaie locale, notre incapacité à faire démarrer un nouveau secteur pilier pour venir au secours du dépérissement inévitable de l’industrie de la canne, sans parler du textile qui va bientôt être rangé dans le tiroir des souvenirs sont autant de poussières envoyées sous le tapis. Cadeau empoisonné livré sur un plateau à la génération qui aura la tâche d’assurer notre futur. Un jour, il faudra rendre des comptes !